Fyctia

• Je m'appelle Skylar.

Le sex-appeal de son prénom me surprend tellement que je m’étouffe avec la fumée de mon bédo. Les larmes aux yeux, je tousse comme un cancéreux en phase terminale jusqu’à en avoir la gorge en feu et les poumons complètement vidés. Quand mon appareil respiratoire reprend enfin le contrôle de ses fonctions naturelles, je me rejette sur le dossier du canapé, les bras derrière la tête. Je prends le temps d’analyser cette nouvelle information sur elle, qui la définit profondément, qui a contribué à faire ce qu’elle est aujourd’hui.

Ce que ça m’évoque.

« Skylar… » murmuré-je à voix haute, pour voir comment ça sonne dans ma bouche.

Je ferme les yeux, me mords la lèvre inférieure presque jusqu’au sang pour éviter qu’il aille affluer ailleurs, bien plus bas. Je chasse les pensées que je ne dois pas m’autoriser.

Skylar.

La petite voix dans ma tête me souffle son prénom avec des accents de téléphone rose. Je serre encore plus fort la mâchoire. Mes dents protestent sous l'effort.

Skylar.

On dirait vraiment le pseudo d’une star du porno.

Fais chier. Je ne suis qu’un homme.

C’est plus fort que moi.

Je me suis promis de ne pas essayer de me représenter le physique qui s’accorderait avec son prénom, je me le suis même formellement interdit ; histoire de ne pas être déçu, de lui laisser toutes ses chances - de nous laisser toutes nos chances - quand arrivera l’étape de la photo de profil. Celle qui décidera si oui ou non je continue l'aventure. Si je me laisse convaincre par Oxymore et son concept hors du commun. Je n’ai pas du tout envie d’être aussi superficiel, d’accorder autant d’importance à l’apparence, pas quand ma démarche de me poser est sincère. Pas quand la science me garantit que c’est avec elle que je commencerai une vraie histoire d’amour.

Si tant est qu'une telle chose existe.

Ça fait bien longtemps que je n'y crois plus.

Mais bon, de toute façon, c’est trop tard. Mon imagination esquisse déjà les premiers traits de son visage.

Ses yeux verts et pailletés, cerclés d’or, étirés par un grand trait d’eye-liner qui donne un côté félin à son regard. Un nez fin, délicat. Peut-être refait, tellement il est parfait. Une bouche pleine, sensuelle, maquillée d'un rouge à lèvres marron foncé qui fait ressortir son teint hâlé. Des pommettes brillantes, qui captent la lumière. Sa poitrine généreuse sur laquelle ondulent de longues mèches roses pâles, soyeuses. Cette même crinière corail qui caresse le creux de ses reins, marque la cambrure de son dos. Une paire de fesses musclées et rebondies. Tout bonnement un corps de rêve, dont je devine tous les contours sous la nuisette blanche en soie légère, presque transparente, et voluptueuse, qui le recouvre.

Ses joues s'empourprent et elle me sourit timidement, dévoilant une rangée de dents blanches et parfaitement alignées. Elle passe lascivement sa langue trouée d'un piercing, remuant de nouveaux fantasmes dans mon bas-ventre, humecte ses lèvres sèches.

Sous le poids de mon regard brûlant, elle baisse la tête, intimidée, battant des cils. Son casque gaming à oreilles de chat glisse un peu sur ses cheveux colorés. Je m’approche d’elle, la dominant d’au moins deux têtes de différence, lui enserre le poignet. Elle lâche la manette qu’elle tenait à la main, celle avec laquelle elle se caressait. Je m’incline vers elle, enfouit ma tête dans sa crinière épaisse qui sent la fraise, lèche une tache de naissance dans sa nuque avant d’y planter mes crocs, tout en tirant sur les nœuds de sa nuisette dans son dos…

Le téléphone vibre sur mes genoux. Me ramène brutalement à la réalité. À cette fille dont je ne connais pas le visage qui se demande ce que je suis en train de branler - sans mauvais jeu de mot, bien sûr - et pourquoi je ne lui réponds pas pendant plus de cinq minutes alors que je suis toujours en ligne. Je m’ébroue comme un chien qui sort de l’eau.

• … Tu es là ?
• Oui, excuse.
• Moi, c’est Lorenzo.
• Enchanté, Skylar.

Tandis qu’elle écrit sa réponse, je me demande si elle aussi va essayer de s’imaginer le physique qui se cache derrière mon prénom. Si ça va lui donner aussi chaud que si elle m'avait devant elle en vrai.

• Le plaisir est pour moi.

Ça semble bien parti, en tout cas.

• J’ai connu un Lorenzo.
• C’était un vrai connard.

Cette meuf a vraiment le don de tout gâcher. Néanmoins, sa remarque a le mérite de me faire rire.

• C’est peut-être le prénom qui veut ça ;)
• Mais tqt, ça peut pas être moi, j’ai jamais connu de Skylar !
• Je m’en serai souvenu.
• Pourquoi ?
• Bah, c’est pas un prénom qu’on oublie.
• C’est la première fois que je le vois, en fait.
• Je connaissais vraiment pas.
• Ouais, normal...
• C’est un prénom à coucher dehors.
• Pas du tout.
• Je trouve ça très joli.
• C’est vrai ?
• Je ne mens jamais.
• Moi ;)
• Mdr !

[ **Lucie** : Opposés, désirez-vous que je vous appelle par vos prénoms respectifs, désormais ? ]

• Oui, je pense que ça sera mieux.
• Lorenzo, qu’est-ce que tu en penses ?

Je me surprends à sourire de contentement en la lisant m'interpeller par mon prénom.

• Je suis d’accord avec la dame, Lucie.

[ **Lucie** : Choix enregistrés, Opposés. C'est modifié. Vous pouvez revenir au paramètre par défaut à tout moment dans les options de votre application. ]

J’écrase le mégot de mon joint sur un coin de mon cendrier à poussoir en forme de ballon de football, puis le fait disparaître à l’intérieur. Je me sens déjà beaucoup plus calme, apaisé. Plus euphorique aussi, d’une certaine façon.

Je me frotte le visage énergiquement pour chasser la fatigue qui commence à me rappeler ma soirée d’hier soir, à mon extinction des feux que j’ai largement dépassé pour discuter avec mon match. Avec cette fille dont je ne connais que si peu de choses et qui arrive pourtant à me faire rire par messages, quand aucune autre n’y a déjà réussi en vrai.

Qui a le prénom d’une spécialiste de l’anal et de la tarte au sperme.

Je pouffe à cette pensée, tout seul comme un con, dans mon salon. J’ai envie de faire la remarque à mon match mais j’ai peur que l’intelligence artificielle me sorte tous mes historiques sur PornHub qui viendraient appuyer mes dires.

J’attends plusieurs minutes. Aucun message ne me parvient. Skylar - ça fait bizarre de ne plus penser Requin-Corail dans ma tête - est toujours en ligne, je le vois au voyant vert accolé à ce qui était autrefois la place de son pseudo, mais, fidèle à elle-même, elle ne relance pas la conversation. Lucie non plus, d’ailleurs.

Je fixe le petit cygne blanc dans le coin droit de l’écran, qui me rend mon regard avec intensité. J’ai même un petit frisson qui me remonte dans la nuque. Ses yeux noirs me lancent des éclairs, une lueur de défi brille dans ses iris couleur de suie. Son bec est tordu dans une espèce de sourire espiègle. L’avatar ouvre l’une de ses ailes, pointe quelque chose en bas de l’écran. Je suis la direction qu’il m’indique. Soupire.

C’est bon, saleté de piaf, j’ai compris.

• Bon, on joue à cette saloperie de mini-jeu, ou quoi ?