Fyctia
37 - Lorenzo.
Sérieusement ?
Donc, si je comprends bien, je me suis saigné aux quatre veines pendant deux jours à aiguiller ma conversation le plus finement possible avec Requin-Corail - qui est quand même une fille assez passive en matière de contribution à la discussion et qui se repose un peu trop sur ma tchatche et mes efforts - pour glaner un maximum d’informations et obtenir cette foutue première Plume ; tout ça dans le but d’avoir accès à de nouvelles fonctionnalités capables de pimenter un peu nos échanges. De nouvelles fonctionnalités comme… Un mini-jeu ? Un putain de mini-jeu, vraiment ? C’est pour ça que je me suis engagé à payer 9,99€ par mois ? Est-ce que c’est encore possible de se faire rembourser ? Non, parce que, franchement, qui - quiiiiiiiii - serait content d’avoir débloqué un truc aussi inutile, inintéressant, ridicule, dans le cadre d’une application de rencontre ?
Ah.
Bah, oui.
Évidemment.
Je me pince l’arrête du nez en expirant bruyamment. J’attends une ou deux minutes avant de lui répondre, histoire d’éviter - pour reprendre les mots d’une certaine intelligence artificielle qui déverrouille des fonctionnalités nulles à chier - qu’à cause de mon trait de caractère spontané qui peut se manifester dans mon trait de caractère franchise, je crache un venin amer que je pourrais regretter par la suite.
Quand je suis certain d’avoir ravalé suffisamment de déception pour ne pas envoyer chier cette nana passionnée de jeux-vidéo, avec ces cheveux de la couleur d’un étang de Camargue, son inclinaison aux petits mensonges inoffensifs, et, surtout, qui n’y est pour rien là-dedans, je tape une réponse dans la barre de texte de la chatbox, veillant à bien mesurer mes propos.
Oui, bon, on repassera peut-être pour la mesure.
Les trois petits points apparaissent à l’écran. Ils restent en équilibre plusieurs secondes, s’effacent, reprennent leur course.
S’interrompent.
Hésitent.
Volent dans ma direction par les fils invisibles de la Toile.
Je ne sais pas pourquoi la petite voix dans ma tête choisit de lire sa question sur une intonation penaude, blessée, presque triste. En tout cas, ça a le mérite de me faire culpabiliser sur-le-champ. J’essaye de me rattraper comme je peux, même si ce n’est pas mon point fort.
Non, je trouve que c’est de la grosse merde et qu’on se fait escroquer de dix boules par un putain de pigeon blanc codé par un gros porc boutonneux asthmatique derrière son ordinateur gluant de sperme.
[ **Lucie** : Affirmatif, Requin-Corail. ]
Requin-Corail.
J’ai été tellement déçu par la deuxième récompense de la première Plume, que j’en ai oublié la plus importante. La primordiale.
La base de tout.
Je fais claquer ma langue contre mon palais en signe de protestation.
Non, non, ma grande, tu ne vas pas t’en sortir comme ça.
Le téléphone vibre dans mes mains. Lucie débloque une nouvelle information sur moi, le trait de caractère "Rancunier" et je souffle du nez, un demi-sourire aux lèvres.
Sa répartie me fait éclater de rire, tout comme son expression qui doit dater de la prise de la Bastille.
Tout en me caressant lascivement les abdominaux, je fais un clin d'œil à l’écran de mon téléphone.
Réflexe de drague naturel. Instinct primaire de séducteur.
Inopinément, un autre instinct réagit à cette réponse. Plus animal encore que le premier. Beaucoup plus bas, aussi. Allongé sur le lit par-dessus les couvertures, j’analyse la bosse incongrue qui s’est formée dans mon caleçon.
Qu’est-ce que tu veux, toi ? Pourquoi tu te réveilles ?
Oula. Pas terrible.
Je m’empresse d’ajouter :
Une milliseconde plus tard, le voyant de connexion de Requin-Corail passe au rouge. Ma vision aussi.
Je me redresse aussitôt, me fourrant un poing dans la bouche après avoir lâché un chapelet de jurons fleuris. Cette meuf a clairement le don de me faire disjoncter avec sa capacité à disparaître dès que ça devient intéressant. Une putain de magicienne. J’attends comme un con, immobile, les yeux rivés sur l’application. Les minutes s’égrènent les unes après les autres et mon match ne revient pas. Je suis comme un lion en cage.
N’y tenant plus, je saute du lit et sors de la chambre en maugréant. J’ouvre un pot en fer noir posé sur le plan de travail de la cuisine, dans lequel je range, en temps normal, les cubes dégraissés de bouillon salé que j’utilise pour assaisonner les sauces de mes préparations ou l’eau des pâtes, et y plonge ma main jusqu’aux coudes. Je la referme sur un petit sachet en plastique transparent contenant une herbe qui n’a rien à voir avec un condiment culinaire, si ce n’est la couleur.
Je ne fume que très peu en semaine, encore plus rarement un lundi. Mais il y a des soirs où j’en ai besoin plus que d’autres. Comme maintenant.
Après avoir passé une veste zippée sur mon torse nu et enfilé un jogging délavé, j’ouvre la porte vitrée du salon qui donne sur la terrasse. La nuit m’accueille par une bourrasque glaciale, propre au mois de mars, qui me fait grincer des dents.
Nope.
Je repars aussitôt à l’intérieur, emportant le cendrier du balcon avec moi. Je déteste le froid et j’ai largement eu ma dose de couilles gelées avec ce qu'il s'est passé hier matin. Moi, je suis un homme du soleil, un produit de l’été, un lézard. Tant pis pour les murs de l’appartement et le tissu des éléments de décoration. Je me cale dans le canapé et allume mon joint.
Il est déjà bien entamé quand mon téléphone vibre dans ma poche.
Skylar.
Alors, ça, c’est un putain de prénom sexy.
23 commentaires
Calliste Bright
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Il y a 4 ans
Hilena
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Hilona Garry
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Il y a 4 ans
Viktor September
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Il y a 4 ans
Hilona Garry
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Il y a 4 ans