Fyctia
31 - Lorenzo.
« Sérieux ?! s’exclame-t-il. Montre ! »
Je m'exécute sans plus tergiverser, refrénant avec difficulté un sourire ravi, témoin de mon excitation pathétique à l’idée de leur parler de Requin-Corail et de leur raconter ma super soirée d’hier soir. Je repousse mon tupperware et pose mon téléphone sur la table. Gaëtan se rapproche de moi pour mieux voir tandis que JB vient se placer debout derrière nous, son joint coincé entre les doigts. Mon meilleur ami fouette rageusement l’air avec sa main pour chasser la fumée odorante qui s’enroule en spirales voluptueuses autour de nous. Il déteste la fumette ; moi, si je ne devais pas reprendre le travail dans une heure, j’aurais aussi tiré dessus. J’ai trop besoin de me calmer.
Je déverrouille mon smartphone en pressant mon pouce sur le bouton central et clique sur le logo de l’application Oxymore, que j’ai eu l’intelligence de ne pas déplacer dans mon dossier “BITE”. Je n’imagine même pas ce que m’aurait réservé Lucie si j’avais fait une chose pareille. L’interface claire-obscure de la plateforme de rencontre se déroule sous les yeux ébahis de mes potes. Mon tableau de bord s’ouvre sur le petit cygne immaculé portraiturant l’intelligence artificielle intégrée, en train de dormir dans un coin du menu principal. L’oiseau endormi, recroquevillé sur lui-même comme une poule couvant un œuf, ouvre un œil aussi noir que le bout de son bec. On admire l’avatar dérouler son long cou gracile, ébouriffer son plumage aussi blanc que le manteau d’une montagne en plein hiver et étirer ses grandes ailes majestueuses.
« Ça me fait penser au trombone avec des yeux qui s'animait quand tu tapais un truc sur Word dans les années 2000, dit JB.
« Il ne te foutait pas la honte quand t’écrivais une connerie, lui, au moins… » maugréé-je dans ma barbe en fusillant le volatile du regard.
Tout en disant ça, je prends conscience que c’est aussi la première fois que je prends le temps d’analyser mon tableau de bord et ses différents onglets. Je clique sur le premier, intitulé Mes informations. On y retrouve mes réponses bloquées et débloquées au questionnaire de personnalité et aux conclusions faites par Lucie, triées par des catégories et des sous-catégories variées. Je me rends compte qu’il y a plus de 180 éléments qui me définissent.
« Gros, on s’en bat les couilles de tes infos, dit Gaëtan, je les connais toutes par cœur, j’aurai même pu répondre au test à ta place ! Nous, ce qu’on veut savoir, c’est celles de ton match !
« Roh, mais j’y viens ! »
Je fais claquer ma langue contre mon palais avec agacement. Je sors de l’onglet me concernant et choisis plutôt celui consacré aux informations de mon Opposé. Toutes les informations débloquées sur mon match à ce jour sont listées.
« Voilà. Pour l’instant, je n’en sais pas plus sur elle que ce que vous voyez là.
« T’es un chanceux, mec, les meufs qui jouent aux jeux-vidéo sont trop bonnes ! s’exclame JB.
« Quelque chose me dit que c’est loin d’être le genre de nana à se caler le coin du joystick dans la schneck comme dans tes films pornos, JB…
« Ouais, surtout qu’on parle d’une go qui a les cheveux de la couleur d’une truite sauvage, ajoute Gaëtan en faisant la grimace.
« Putain ! C’est exactement ce que j’ai pensé ! » m’exclamé-je en sautant presque de la chaise.
On se tape dans les mains en s’esclaffant.
« Elle est cool, en vrai, dis-je, sur un ton que j’espère détaché. Et tu ne devineras jamais…
« Quoi ? font-ils en chœur.
« Elle m’a battu à FIFA… »
Cette confession me brûle la gorge et je n’ose même pas croiser le regard de mon meilleur ami. Dans mon dos, JB s’étrangle avec la fumée de son bédo et il se met à tousser. Gaëtan, dont je suis le némésis à ce jeu, cligne plusieurs fois des yeux, le temps de digérer ce que je viens de lui dire. Puis, il se lève d’un bond, renversant presque sa chaise.
« Tu te fous de ma gueule ? Je n’ai jamais réussi à te battre une seule fois en 14 ans !
« Je sais. Trois matchs. Trois défaites. 9 buts à 3.
« Tu l’as laissé gagner !
« J’ai tout donné...
« Mais c’est quoi, cette meuf ? »
Je hausse les épaules sans lui répondre. Avec la pulpe du pouce, je presse le pictogramme du dernier onglet intitulé Opposition. Le nombre 97 s’affiche au centre de l’écran, cerclé d’ombres et de lumières, suivi de la mention “Discordance”.
« Putain ! s’exclame Gaëtan, en sifflant entre ses dents. Je crois que Nicolas m’avait dit que sa meuf et lui avaient 85, un truc comme ça. Mais 97% ! Enculé, ça va faire des étincelles !
« Ouais, ‘fin, t’emballes pas, c’est pas encore dit que j’aille jusqu’au bout. Si c’est un cageot, c’est sans moi. »
Je zieute le clip-art de Lucie, qui me rend mon regard avec intensité. J’ai l’impression qu’elle me juge.
« T’as dit que tu la trouvais cool.
« Cool, ça ne suffira pas. Tu me connais.
« Plus que tu ne te connais toi-même, mon vieux. Fais-voir votre conversation.
« Pas question.
« Fais-voir.
« Crève. »
Pendant que je me chamaille avec Gaëtan, JB en profite pour se pencher par-dessus nous et attrape mon téléphone en éclatant de rire. Il part en courant à l’autre bout du salon et je le pourchasse. Mais ce sale petit con est vif comme l’éclair et il tourne autour du canapé.
« Ah ! Frérot, je sais pourquoi il tire la gueule depuis tout à l’heure ! halète-t-il, essoufflé.
« Balance ? demande Gaëtan, rigolant déjà.
« Il attend des nouvelles de la meuf !
« Mais ta gueule ! Je m’en contrefous, rugis-je en tendant le bras vers lui.
« C’est ça, oui ! pouffe-t-il. Il lui a dit bonne nuit et depuis, rien !
« Aïe, ça doit faire mal à ton égo, ça.
« N’importe quoi. Elle se réveille tard, c’est tout.
« Y avait marqué 12h, sur les infos. Il est 13h.
« Je m’en bats la race.
« Dans ce cas, tu ne m’en voudras pas si je lui écris un bonjour ?
« Tu fais ça et je te tue, JB. »
Quand il esquisse le geste d’écrire, hilare, je me jette sur lui, sautant par-dessus le canapé, sans me soucier de mes baskets sur les coussins. Agile comme une araignée, vif de ses dizaines d’années d’escalade, il m’évite sans le moindre effort. Gaëtan assiste à notre scène en tapant sur la table de ses poings, hurlant de rire.
« Mais fais pas ça, putain ! Elle va croire que je suis un gros forceur ! C’est à elle de m’envoyer un message ! Pas à moi !
« On la connaît, ta fierté de merde ! s’exclame Gaëtan. Vas-y, Jib, fais-le ! Sinon, c’est mort entre eux avant même que ça ne commence.
« Rends-moi ça, bordel ! Je vais te défoncer !
« Bon, c’est où qu’il faut aller ? Ah, chatbox… Oui, voilà. »
Avec horreur, les mains agrippées si fort sur le dossier du canapé que j’en ai les jointures blanches, je le vois taper quelque chose. Puis, il m’offre son plus beau sourire tout en me faisant un clin d’oeil canaille. 100% sa marque de fabrique.
« Et voilà ! Attrape, Loren ! »
Il me lance le téléphone et je l'attrape au vol. Je rive mes yeux sur l’écran.
« Mais la putain de ta mère ! T’as fait des fautes, en plus ! »
18 commentaires
Calliste Bright
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Il y a 4 ans
Marie M DESSYLES
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Scarlett Owens
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FleurDelatour
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Hilona Garry
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Mymy M. *Sakuramymy*
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Hilona Garry
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Hilena
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Hilona Garry
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Barbara Dhilly
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Il y a 4 ans