Fyctia
24 - Lorenzo.
J'ai un claquement de langue amusé. Je pose le téléphone à côté de moi, sur le canapé, me rejette en arrière et passe mes bras ankylosés derrière la tête en étirant mes clavicules.
Bon, jusque-là, je trouve que je ne m’en sors pas trop mal, quand même. C’est vrai que je suis maladroit avec elle ; j’aurais juste dû m’en tenir au fait que c’est la première fois que j’apprends à connaître une fille, sans avoir à mettre cette histoire de plan cul sur le tapis. Ça n’a rien apporté de qualitatif à la conversation, ça n’a même pas fait avancer le cours du déblocage des informations, et ça m’a vraiment fait passer pour un connard. Mais, en relisant les derniers messages, je n’ai pas l’impression que Requin-Corail m’en tienne rigueur. Ceci-dit, il va quand même falloir que je réfléchisse un peu avant de lui envoyer mes réponses sans les relire. Maintenant que je sais que Lucie, cette foutue coach interactive en séduction dénuée de tout sens de l’humour, peut intervenir dans notre échange pour nous recadrer - elle s'est trompée, en plus, la saloperie, ma bite mesure 19,03 cm en érection - il vaut mieux que je sois moins téméraire.
Tandis que je médite à une jolie répartie, mon estomac se met à gronder. Un coup d'œil à ma montre de sport connectée m’apprend qu’il est 20h22. Franchement, je n’en crois pas mes yeux. Entre le test de personnalité de l’application de rencontre et le début de ma conversation avec mon match, j’ai le téléphone vissé dans la main depuis plus d’une heure et demie. Et le pire dans tout ça, c’est que je n’ai même pas ressenti ce temps me filer entre les doigts. Tu m’étonnes que je crève la dalle ! D’habitude, je mange à 19h45, en même temps que le début des informations sur M6.
J’aurais très bien pu continuer à parler à Requin-Corail tout en faisant la cuisine, mais là, tout de suite, j’ai besoin de reposer mes yeux de la lumière bleue des écrans et de faire une pause.
Il faut dire que je ne suis pas très porté digital et j’exècre ceux qui passent tout leur temps devant la télé à regarder des films de merde ou des séries à chier, ou pire encore, ceux qui dorment devant leur ordinateur. Ces personnes-là sont de loin mes meilleurs clients. Ils se pointent à mon cabinet pour des céphalées, des migraines insoutenables ou des douleurs musculo-squelettiques résultant de leurs positions et de leur rythme de vie sédentaire. Pourquoi se font-ils autant de mal ? Il y a tellement de choses à faire dehors, qui voudrait passer ses journées entre quatre murs ? Maintenant que j’y pense, Lucie m’a fait part de la passion de Requin-Corail : les jeux-vidéos. Est-ce qu’elle fait partie de cette catégorie de gens ? Je me note mentalement de mettre ça sur la table plus tard.
Bien sûr, comme tout le monde, j’ai une télé chez moi. Un ordinateur aussi, même si je ne m'en sers jamais. J’ai même une console, oui, ok. Mais bon, en temps normal - c’est-à-dire quand je n’essaye pas d’apprendre à connaître une meuf qui te dit bonjour en fonction de la scène d’un des films de la saga la plus ringarde et surcotée du monde cinématographique - je dois passer maximum une heure ou deux devant ces appareils.
Il est tard, c’est dimanche, je n’ai presque plus rien dans le frigo et j’ai une flemme de monstre. Alors je me concocte une poêlée de légumes toute simple, composée d’un mélange de pommes de terre grenaille, de brocolis, de choux-fleur et de champignons. Je l’assortie à une tranche de filet de poulet cuit à la vapeur et je recouvre le tout d’une sauce de fromage blanc 0% ; avec une mousse au chocolat allégée en dessert, histoire d’avoir une petite touche gourmande dans mon assiette. Je me régale de tout ça, tranquillement, sans la moindre distraction, assis sur le tabouret haut en métal contre le plan de travail de la cuisine américaine ouverte sur le salon. Quand j’ai terminé, je fais aussitôt la vaisselle et passe un coup de désinfectant sur la surface stratifiée à l’aspect de granit sombre.
Je repose mon cul - parfait - sur le canapé et, en bel hypocrite que je suis, allume la télévision. Juste histoire d’avoir un bruit de fond. Simplement pour ne pas me sentir oppressé par les ténèbres de la pièce à vivre, par le silence qui résonne contre les murs blancs et par mon incapacité à apprécier ma propre compagnie. Une fois que je suis bien calé entre les coussins, bercé par les dialogues creux et les explosions d’un film d’action en arrière-plan, j’ouvre Oxymore et clique sur le pseudo de mon match dans mon Tableau de bord. Le clip-art représentant un cygne blanc aux contours d’encre s’anime aussitôt et secoue son plumage.
J’attends une minute. Deux minutes. Cinq. Puis dix. Ma cuisse est agitée de tremblements, le seul tic nerveux que j’ai depuis tout petit qui témoigne de mon hyperactivité. Mon pied frappe le carrelage, en cadence avec la musique du film crachée par les baffles du home-cinéma que JB a oublié chez moi la dernière fois qu’il est venu regarder Alad’2 (avec Kev Adams) à la maison.
Bon, qu’est-ce qu’elle fout ?
Les trois petits points s’affichent enfin à l’écran.
J’arque un sourcil. Voilà qu’elle me sert sur un plateau le sujet que je voulais aborder avec elle, pour en savoir un peu plus sur sa passion.
Je pouffe de rire.
Je me demande combien de Plumes Lucie devra nous distribuer pour pouvoir déverrouiller la fonction envoi de photo. Je vois bien que ça sera possible un jour, parce que tout en bas à droite de la barre d’écriture, il y a un pictogramme en forme de trombone, représentant la fonction pièce jointe - actuellement frappé d’un cadenas.
Par curiosité, je quitte l’application Oxymore et clique sur celle de Google Chrome. Je tape le nom du jeu et lis le descriptif proposé par Wikipédia : “Jeu-vidéo de tir à la première personne dans lesquels deux équipes s'affrontent pour perpétrer ou empêcher un acte terroriste.” Un acte terroriste.
Une main recouvrant ma bouche et le nez, je me mords l’intérieur de la joue.
Je suis partagé entre l’envie de mourir de rire et celle de prendre mes jambes à mon cou.
17 commentaires
Calliste Bright
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marionlibro
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Hilona Garry
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Mymy M. *Sakuramymy*
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Hilena
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Hilona Garry
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