Fyctia
17 - Skylar.
Est-ce que je dois vraiment répondre à ça ?!
Bouche bée, les yeux écarquillés de stupeur, je relis la question une deuxième fois, juste pour être sûre que mes yeux ne me jouent pas un mauvais tour.
[ **Lucie** : Quelle est votre position sexuelle préférée parmi les propositions suivantes ?
Le cadenas / Le bateau ivre / La pieuvre / L’acte de retour / La cavalière / Réunion chauffée / Le missionnaire / Le Sphinx / La levrette / La brouette thaï. ]
Mes joues s’enflamment comme une braise sous la cendre et je me sens rougir des gros orteils à la racine des cheveux.
Silencieusement, la tête tournée vers le plafond, je remercie l’Univers et sa toute puissance cosmique d’avoir fait en sorte que Vinnie se lasse de me regarder répondre au test de personnalité de l’application de rencontre Oxymore quelques minutes à peine avant de tomber sur la plus embarrassante des questions posées jusque là. Étant particulièrement pudique sur toutes les choses considérées comme plus ou moins directement d’ordre sexuel, je me serais littéralement liquéfiée sur place si mon colocataire avait été présent. Vinnie est beaucoup plus grivois que moi, il aurait beaucoup ri devant la crudité brute et sans gêne de la demande, ce qui n’aurait fait qu’amplifier mon malaise.
D’un autre côté, si mon meilleur ami était resté près de moi, il aurait pu m’expliquer - dans les grandes lignes, je n’ai pas non plus besoin d’un dessin détaillé - les formes qui se cachent derrière les noms particulièrement imagés de ces fameuses positions sexuelles. Sur toute la liste, je n’en connais que deux : le missionnaire et la levrette. Ce qui, finalement, est assez représentatif de mon expérience et de mon intérêt en matière de sexe.
Je ne dis pas non plus que je mérite le couvent et que je suis chaste comme une bonne sœur. J’ai perdu ma virginité à dix-huit ans avec Lénaïg. Lui n’était déjà plus puceau depuis ses quatorze ans et avait eu de nombreuses partenaires avant moi. À l’époque, il ne s’était pas montré très doux et n’avait manifesté aucun égard envers la souffrance qu’accompagnait la déchirure de mon hymen ; sans parler de la taille bien au-dessus de la moyenne de son engin. Il avait continué de me faire l’amour tandis que je pleurais sous lui à chaudes larmes, geignant et me tortillant de douleur comme un petit animal blessé, véritable cauchemar éveillé. Avec le recul, je pense que c’était le signal d’alarme number one m’avertissant de la nature profondément pourrie de ce sale type, que j’ai délibérément choisi de ne pas écouter. Je pense que cette première fois chaotique a, en quelque sorte, relativement impacté ma vision des plaisirs charnels et de ses attraits.
Je n’ai jamais cherché de moi-même à pimenter nos rapports sexuels ni à apprendre de nouveaux tours de magie pour satisfaire les plaisirs et fantasmes, toujours plus nombreux, de Lénaïg. Je pense que c’est la principale raison pour laquelle il est allé voir ailleurs pendant toutes ces années. Il aimait la fille aimante, gentille, pudibonde, sensible et maladroite que je suis, mais il avait besoin de tout son contraire sous les draps. Je n’ai jamais été capable de lui offrir une version plus dévergondée de celle que je suis. À vrai dire, je doute qu’un autre homme soit capable de me faire aimer le sexe, de m’aider à dépasser ce blocage psychologique et à me lâcher complètement. L’idée même de coucher avec un autre homme que Lénaïg me semble d’ailleurs parfaitement ridicule et surréaliste. Mais je me suis promis de faire des efforts.
Je me lève du lit d’un bond, saisie par une soudaine curiosité foudroyante, irrépressible et mal placée. Je traverse la chambre sur la pointe des pieds, mue par cette impression de faire une bêtise, en triturant nerveusement une mèche de mes cheveux colorés. Je m’assois à mon bureau sur le fauteuil gaming ergonomique et confortable, puis donne une pichenette sur la souris de mon ordinateur afin de sortir l’écran 4K du fond noir de sa veille silencieuse. Je prends une grande inspiration, clique sur le logo de Google Chrome et, ignorant les cris d’avertissement dans ma tête, tape dans la barre de recherche la mention “position brouette thaï”. Je suspends mes doigts tremblants d’appréhension au-dessus de la touche Entrée. Les lumières roses rétro-éclairées des lettres incrustées du pad fondent et se foncent, teintant le clavier chromatique d’une couleur rouge sang. Ne regarde pas ça, Sky, tu vas le regretter.
J’enfonce la touche et la recherche est lancée.
Je clique sur Images.
« Oh, sweet Jesus ! »
Des dizaines et des dizaines de schémas et photos d’enchevêtrements complexes de jambes, de bras, de cheveux, de poils, de vulves et de pénis de toutes les tailles et de toutes les couleurs apparaissent à l’écran.
Horrifiée, révulsée, mortifiée, je me rejette avec brusquerie sur le dossier de mon fauteuil, maudissant à haute voix ma curiosité légendaire, une main plaquée contre ma bouche pour étouffer un cri et la deuxième me couvrant les yeux de ces horribles visions de chair.
La chaise gaming, que le vendeur m’avait à l’époque garanti comme étant confortable et particulièrement sûre avec son inclinaison maximale à bascule de 155 degrés et son verrouillage de position, n’en reste pas moins conçue uniquement pour supporter une paire de fesses tranquilles et immobiles des heures durant. Elle n’est clairement pas faite pour encaisser le choc brutal de tout mon poids de forme sur la partie haute du dossier. J’entends le cadre métallique du pivot grincer de protestation jusqu'à ce que le mécanisme à bascule cède puis s’incline dangereusement. Tout en poussant une exclamation de surprise, je m’accroche aux accoudoirs comme une bouée de sauvetage. Mais je me suis jetée trop fort et les suspensions du fauteuil ne peuvent désormais plus rien pour moi. Alors, inexorablement, les roulettes se décollent de la moquette et je tombe en arrière, entraînée par l’inertie de la chaise, dans un grand tintamarre de métal, de plastique et de gémissements.
La voix méfiante de Vinnie résonne à travers le mur aussi fin que du papier à cigarette qui sépare ma chambre de la sienne.
« Sky ? C’était quoi ce bordel, ça va ? »
Je me frotte l’arrière du crâne en grimaçant. Comme la dernière chose que j’ai besoin à l’instant T c’est que Vinnie se pointe dans ma chambre et me surprenne tête-bêche par terre avec du porno à l’écran, je crie :
« O… Oui ! C’est rien ! Tout va bien ! Retourne à tes quêtes, tes pièces d’or et à ton mana ! »
Un grognement me répond et je devine qu’il a déjà remis son casque sur ses oreilles.
La tête douloureuse, le dos en vrac et les quatre fers en l’air, j’enrage contre ce sale piaf de Lucie et ses questions débiles. Sans pour autant me relever, je cherche des yeux mon téléphone, qui a volé dans la bataille, et le foudroie du regard quand je le trouve.
Puis-je savoir en quoi ma position sexuelle préférée contribue en quoi que ce soit au résultat de ce foutu algorithme de l’amour de mes deux ?
19 commentaires
Aziliz Bargedenn (Melocoton)
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Il y a 4 ans
marionlibro
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Il y a 4 ans
Hilona Garry
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Il y a 4 ans
FleurDelatour
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Il y a 4 ans
Hilona Garry
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Hilona Garry
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Il y a 4 ans
Hilena
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Hilona Garry
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Hilena
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Il y a 4 ans
Idylyne.B
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Il y a 4 ans