Fyctia
15 - Lorenzo.
Un quart d’heure que je fixe l’écran de mon téléphone en me rongeant la peau du pouce et en me mordillant la lèvre supérieure. Quinze bonnes minutes que mes yeux fixent sans ciller le pictogramme bleu “OBTENIR” accolé au logo imagé - un cygne noir et un cygne blanc auréolés de lumière sombre formant un cœur avec leurs longs cou graciles - de l’application de rencontre Oxymore - Les opposés s’attirent. J’ai lu et relu inlassablement le descriptif, les caractéristiques, les patchs de mise à jour, les notes et les commentaires associés assez de fois pour les connaître par cœur. Pourtant, j’hésite encore à lancer le téléchargement. Si je clique une bonne fois pour toute sur cette icône, il n’y a pas de machine arrière possible.
Vautré sur le canapé en cuir noir du salon, j’essaye une dernière fois de démêler les différents sentiments et émotions qui m’assaillent depuis le début de cette effroyable journée.
Sur le chemin du retour, après le match, j’ai retourné la conversation que j’ai eu avec Gaëtan dans tous les sens ; d’abord au mot près puis en extrapolant nos paroles, déformant les mots échangés, osant lui poser les questions que j’avais gardé pour moi par peur de paraître bien trop intéressé par cette histoire d’application de rencontre. J’ai délibérément ignoré l’excitation qui grandissait dans mon ventre au fur et à mesure que l’idée de m’inscrire sur cette nouvelle plateforme de rencontre prenait racine dans ma tête.
En réalité, je crois que le plus difficile pour moi est d’admettre que j’ai mortellement envie de me lancer dans cette aventure. Si je le fais, cela revient alors à reconnaître toutes les certitudes qui découlent de ce simple constat : j’en ai ras le bol des coups d’un soir, marre de mes conneries, mes potes me manquent, je déteste me retrouver dans cet appartement tout seul, j’ai bientôt 26 ans et j’ai besoin de me poser. Voilà les dures évidences que les événements d’hier soir et de ce matin m’ont crachées à la figure pour susciter un électrochoc, évidences que je repousse désespérément et par tous les moyens sous peine de voir mon beau monde s’écrouler. J’ai pris une autre douche en veillant à bien insister sur le cuir chevelu, j’ai fait une sieste d’une heure, j’ai lu l’essai ridicule d’un confrère sur les maladies de l’âme combinées à l’ostéopathie qui traînait sur mon bureau depuis la dernière conférence sur le métier, j’ai regardé en replay les épisodes des Marseillais à Dubaï que j’ai raté cette semaine. Cependant, rien n’a vraiment réussi à me faire oublier la petite voix qui résonnait à l’arrière de mon crâne. Allez, Loren, jette un coup d'œil. Un tout petit coup d'œil. Juste pour assouvir ta curiosité.
N’y tenant plus, je me suis finalement jeté sur l’App Store de mon smartphone et tapé le nom Oxymore dans la barre de recherche. Maintenant, il ne me reste plus qu’à décider si je me lance dans ce pari fou mais avant ça, je dois être absolument sûr de moi et de mes émotions. Je ne dois pas agir sur un coup de tête seulement parce que j’ai passé une soirée mélancolique et une journée de merde. L’application s’adresse à des célibataires sérieux, aux personnes qui désirent trouver l’amour authentique et commencer une histoire vraie, sans faux-semblants. On est à mille kilomètres des surfaces de dating qui reposent sur un système de swipe à droite que j’ai l’habitude d’utiliser en temps normal pour me trouver un nouveau plan cul, une fois lassé du précédent. Je dois me montrer avisé, réfléchi. Sauf que je suis Lorenzo Barat, le déraisonnable. L’incohérent. L’illogique. L’irrationnel. L’imprévisible.
L’impulsif.
D’un geste franc, j’appuie sur le pictogramme bleu persan “OBTENIR” souligné par la phrase en petits caractères “Inclut des achats intégrés” et presse l’empreinte digitale de mon pouce sur le bouton d’accueil de mon téléphone pour valider le téléchargement de l’application et la confirmation du possible prélèvement de 9,99€ à la date du jour sur mon compte bancaire affilié.
Un rire compulsif s’échappe de ma cage thoracique quand je me rends compte de ce que je viens de faire et je jette le téléphone sur le canapé avant de me lever avec le même empressement que si une abeille m’avait piquée sur le gland. Je tire sur les mèches rebelles de ma tignasse brune en expirant tout l’air de mes poumons comme un hystérique dans l’espoir de calmer les battements de mon cœur qui cogne avec la même force que des tambours de guerre.
Jésus Mariah Carey, qu’est-ce que je viens de faire ?
Pour apaiser ce cocktail explosif de panique et d’euphorie entremêlées qui retourne mon estomac, je fais quelques pompes sur le tapis shaggy à poils longs du salon suivies de quelques abdominaux. L’adrénaline de mon corps brièvement canalisée par ces quelques exercices, le courage de poursuivre mon entreprise me revient. En prenant une grande inspiration, je me rassois et me saisis de mon téléphone d’une main tremblante. Je déverrouille l’écran et les deux oiseaux d’ornement en forme de cœur sont là, à la toute fin de mes dossiers d’application, comme un signe que ce que je m’apprête à faire est la fin de ma vie paisible de célibataire. À celle de ma solitude aussi.
Je clique sur l’icône.
L’application s’ouvre sur un fond blanc sur lequel se détache le logo d’Oxymore : un cygne noir au duvet ras, au cou incliné vers le bas et aux contours lumineux opposé à un cygne blanc aux plumes épaisses entouré d’ombres mystérieuses, leurs becs se touchant comme un baiser, le tout formant une représentation stylisée des deux parties d’un même cœur. Le symbole s’efface pour laisser place à la photo tout en clair-obscur d’un couple enlacé. Leurs visages sont éclairés par une lumière vive alors que tout le reste de l’image n’est que ténèbres, créant un contraste violent entre ce point brillant et toutes ces ombres augurales. Une seconde plus tard, deux pictogrammes blancs apparaissent en bas de la photo. Le premier “Créer un compte” et le deuxième “Se connecter”.
Je ferme les yeux quelques secondes et me frotte les poils courts de la barbe du menton, sur la réserve. De la pulpe du doigt, j’appuie sur le premier encart et retiens ma respiration. La photo disparaît dans un fondu artistique et l’écran devient noir. Les traits d’un clip-art représentant un petit cygne blanc apparaissent à l’écran ainsi qu’une bulle de conversation.
[ **Lucie** : Bonjour et bienvenue sur Oxymore - Les opposés s’attirent, la première application de rencontre qui donne le pouvoir à la différence ! Je suis Lucie, une intelligence artificielle à la pointe de la technologie et ton nouveau coach interactif en séduction. Pour commencer, dis-moi en plus à ton sujet.
QUI ES-TU ?
Je suis :
Un homme / Une femme / Autre.
Je recherche :
Un homme / Une femme / Autre. ]
Impressionné par cette introduction en la matière originale et par l’idée plutôt étrange d’être coaché en amour par un ordinateur et un calcul de maths, je sélectionne mes choix avec un grand sourire amusé mais perplexe.
15 commentaires
marionlibro
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Il y a 4 ans
Hilena
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Il y a 4 ans
Hilona Garry
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Il y a 4 ans
Barbara Dhilly
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Il y a 4 ans
Mymy M. *Sakuramymy*
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Il y a 4 ans
Hilona Garry
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Il y a 4 ans
Mymy M. *Sakuramymy*
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Hilona Garry
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Barbara Dhilly
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Hilona Garry
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