Fyctia

Je suis tombé amoureux une seule fois dans ma vie et je me suis juré que c’était la dernière.

Patxi a raison sur un autre point. J’ai 25 ans et tous mes potes sont déjà casés - même JB, putain ! Même si je le nie, je me sens un peu laissé pour compte. Je n’aurai jamais pensé être le dernier de la bande à me trouver une meuf.

En même temps, ce n’est pas facile pour moi. Je ne connais que la séduction, je ne vais jamais plus loin que le flirt. Qu’est-ce qu’on fait, après cette étape ? Les filles ne me résistent jamais. Une petite démonstration de charme, quelques sourires et ces dames finissent directement dans mon lit. Même celles en couple.

La preuve.

Si - et je dis bien si - je dois un jour me mettre en couple, je veux que ça soit avec une fille qui qui ne couche pas avec moi dès le premier soir. Je respecte celles qui le font et qui le revendiquent mais mon ex était comme ça, aussi. Plus jamais. Et, pour l’instant, je n’ai croisé personne qui coche les cases. Je ne sais pas vraiment où chercher non plus.

Faut dire aussi que je n’ai jamais pris conscience jusqu’à aujourd’hui que j’ai envie, moi aussi, de trouver une fille.

Perdu dans mes pensées, je ne remarque pas que le match est déjà terminé. Sans surprise, on a perdu. Gaëtan et Patxi arrivent sur nous avec la mine déconfite.

« On a été nul, me dit Gaëtan.

« Ouais, grommelé-je.

« On fera mieux dimanche prochain.

« Ouais.

« Ta cheville t’a fait mal, non ? Je t’ai vu boitiller sur le terrain.

« Ouais.

« Yo, frangin, ça va ?

« Ouais. Allez viens, t'es trempé. Tu vas choper la mort. »

On se traîne aux vestiaires et je me déshabille sans perdre de temps. Je prends le gel douche dans mon sac et me glisse dans les douches communes. Je reste sous le jet plus longtemps que les autres et quand je sors, une bonne partie de l’équipe est déjà repartie. JB et Patxi ont fini de se changer et ils me serrent la main.

« On y va, nous. Ciao, mec.

« Ciao, ragazzi. »

Ils saluent Gaëtan à leur tour et s'en vont. Ce dernier me toise avec un air soupçonneux.

« Quoi ? demandé-je en enfilant un maillot du Milan AC.

« Je te retourne la question.

« Bah, rien.

« Si, tu rumines.

« Je ne rumine rien du tout.

« Tu ne me la fais pas. C’est à cause de ce que Pichu t'a dit tout à l’heure ? »

Je me mords la lèvre. J’hésite à lui faire part des conclusions de mes réflexions pendant le match. Si je les prononce à voix haute, elles deviendront réelles. Je ne pourrai plus les ignorer. Pourtant, quelque chose me pousse à vider mon sac. Ça ne sert à rien de lui mentir, de toute façon. Je prends une grande inspiration et je me lance.

« Ça ne valait pas le coup.

« Ah ! C’était bien à cause de ce qu’il t’a dit. Écoute, Loren. T’es assez grand pour savoir ce que tu fais. Je suis ton meilleur pote et je ne t’empêcherai jamais de faire ce que t’as envie de faire mais…

« Mh ?

« Ça te ferait du bien de te poser un peu. Tu sais mieux que personne qu’avant de rencontrer Sophie, j’étais pareil que toi. Et si tu te moques de moi pour ce que je vais te dire, je te casse la gueule, mais… je ne vois plus ma vie sans elle.

« Ouais, mais Sophie c’est une meuf en or. Elle est belle, gentille, serviable et sérieuse. T’as touché le gros lot avec elle. Moi, je n'ai aucune idée où trouver une meuf pareille. Je n’ai encore croisé personne qui a le CV.

« T'es trop exigeant, Loren. Soph est parfaite pour moi et je ne la changerai pour rien au monde mais elle a ses défauts. Je fais juste avec.

« Yo, pas du tout.

« Arrête. Je te connais par cœur. Tu veux une meuf qui ressemble à Shakira avec le QI de Stephen Hawking et le caractère de ta mère. Spoiler alert : ça n’existe pas. Et si elle existe, crois-moi, tu la mérites pas.

« J’ai la demi-molle, mec. »

On éclate de rire tous les deux et il se lève. En se baissant pour prendre son sac, il se stoppe net.

« Quoi ?

« Je viens de penser à un truc. En gros, tu serais prêt à te poser et à arrêter les conneries si tu trouves une meuf qui te plaît, c’est ça ?

« Euh, ouais.

« Mais tu ne sais pas où chercher ?

« Les meufs que je connais ne collent pas à l’image que je me fais d’une fille avec qui je peux construire quelque chose. Je ne veux pas d’une autre... Océane… »

Je lâche son prénom dans un murmure presque inaudible chargé de rancœur. Je hais me sentir aussi vulnérable à chaque fois que je prononce son prénom ou que je l’entends.

« Allah y hafdek. Mec, j’ai ce qu’il te faut ! Viens par là. »

Il farfouille dans la poche intérieure de son sac de sport et en sort son téléphone portable. Intrigué, je m’approche de lui et regarde par dessus son épaule.

« Qu’est-ce que tu fais ?

« Yo, j’ai oublié de te dire mais Nico s’est casé. »

Nico, c’est le grand frère de Gaëtan. C’est un peu le mien aussi, par procuration. Ce dernier effectuait de nombreux allers-retours en Côte d’Ivoire, leur pays d’origine, pour des missions humanitaires. Je ne savais même pas qu’il était rentré.

« Nico s’est casé ? Arrête ? Il dit toujours qu'il n'a pas le temps pour ces conneries.

« Ouais, on s’en fout, je te raconterai. Nous, c’est la façon dont il s’est casé qui nous intéresse ! Tiens, c’est ça, regarde. »

Il me tend son téléphone. L’écran est ouvert sur une page de l’App Store intitulée Oxymore - Les opposés s’attirent. Je lis à voix haute :

« “Oxymore - Les opposés s’attirent. Oxymore est la première application de rencontre qui donne le pouvoir à la différence. Grâce à un algorithme de l’amour hors du commun - élaboré par une mathématicienne française qui met l’accent sur l’équilibre et le bien-être dans une relation - matchez avec des hommes et des femmes proches de chez vous dont le style, la personnalité et les centres d'intérêts sont complètement à l’opposé des vôtres.

Sur Oxymore, soyez enfin vous-même. Soyez authentiques, soyez fous, soyez calmes, intègres, bizarres, drôles, enthousiastes, maussades, grognons. Dites ce que vous avez sur le cœur ou ne le dites pas. Laissez Oxymore trouver la personne parfaite pour vous. Cette même personne dont jamais vous n'aurait soupçonné une connexion de qualité possible. Celle avec qui vous saurez être vrai/e… »

Abasourdi, j’arrête de lire. Gaëtan me regarde avec de grands yeux et un sourire satisfait. Ses sourcils s’agitent, creusant plusieurs rides d’expression sur son front large.

« Alors, alors, alors ? Qu’est-ce que t’en penses ? C’est une super idée, non ? Ça a super bien marché pour Nico, il est fou de sa nouvelle nana. Il me l’a décrit comme une espèce de dragon qui casse tout sur son passage, rien à voir avec son caractère tout doux à lui. Et apparemment, ça marche de ouf entre eux.

« Ouais, je ne sais pas, gros, c’est chelou comme concept, non ? Si je comprends bien, en téléchargeant cette appli, je vais être matché avec une fille qui n’a absolument rien à voir avec le style que j’aime ?

« Bah, le style que t'aimes t’a pas vraiment réussi pour l’instant, pas vrai ? »

Je lui rends son téléphone en dodelinant de la tête.

Il n’a pas tord, le con.