Fyctia
13 - Skylar.
Bien entendu, j’ai pleuré. J’ai pleuré toute la nuit.
J’ai donné le change toute la soirée mais j’ai craqué une fois seule dans mon lit.
Une fois les pizzas englouties et les dernières plaisanteries échangées, j’ai naturellement retrouvé le chemin de ma chambre et Vinnie celui, plus sacré, de la sienne. Comme j’avais une bonne heure devant moi après le dîner avant de retrouver les garçons pour nos fidèles parties du samedi soir, j’en ai profité pour travailler un peu sur la maquette de l’interface web commandée par un nouveau client mercredi matin, histoire de m’occuper l’esprit. Je suis quand même bien contente parce qu’avec ce rythme de travail, j’aurai largement terminé l’élaboration de la charte graphique et la création de l’identité visuelle du site internet d’ici la fin de la semaine prochaine.
À 21h30, j’ai rejoint le Discord de l’équipe et on a disputé un nombre incalculable de manches de Counter-Strike, jusqu’aux alentours de 4h du matin. Le samedi soir, on y joue tous ensemble, pour le fun, sans pression, histoire de nous rappeler une fois par semaine ce que c’est de jouer à un jeu pour le plaisir et non pour la gagne. On se raconte nos journées et nos emmerdes, on rigole trop fort dans les micros, on picole quand on perd, on s’insulte, on s’amuse pour de vrai, tout ça avec légèreté. Très loin de l’ambiance à la fois studieuse et électrique qui règne sur nos entraînements quotidiens de 17h à 23h tous les autres jours de la semaine - 17h à 2h en temps de grosse compétition. On se relâche sur les techniques de jeu, on échange les rôles, on oublie jusqu’aux stratégies adoptées lors des réunions de combat. Mais ces parties détentes du samedi soir sont en un sens nécessaires, ça nous fait du bien, ça renforce la cohésion dans notre équipe. Vous pouvez avoir tout le talent du monde, un sens du jeu remarquable, des réflexes pratiques et précis et un large éventail de compétences, s’il n’y a aucune alchimie avec vos coéquipiers, vous pouvez dire adieu à vos rêves d’e-sport.
Hier soir, avec mes amis virtuels, je n’étais plus que StarlessSky, la awper - ou dans un vocabulaire plus accessible, le sniper - de l’équipe semi-professionnelle d’e-sport Aquaspace. La seule fille de la team, et pourtant celle qui a les réactions les plus rapides de nous cinq, celle qui endosse le rôle soumis au plus de pression dans la composition du jeu. Celle qui sait rester calme en toute situation pour se montrer décisive et remporter une manche rapidement. Rien à voir avec Skylar Beauce, la fille pathétique qui ne fait que pleurer et qui a appris plus tôt dans la soirée qu’elle était cocue jusqu’à la moelle épinière. Alors quand les gars se sont déconnectés à 4h du matin et que je me suis retrouvée seule à seule avec cette dernière, le crin de cheval qui retenait mon épée de Damoclès au-dessus de ma tête s’est finalement rompu. Le chagrin que je repoussais désespérément s’est alors abattu sur moi en même temps que le bruit assourdissant du silence, s’insinuant dans la moindre de mes cellules, dégoulinant par tous mes pores.
Pour repousser encore un peu plus le moment où je laisserai la réalité me frapper en pleine poitrine, j’ai esquissé quelques lignes sur ma tablette graphique. Quand j’ai compris que mes doigts traçaient inconsciemment les contours de son visage, dont je connaissais tous les traits par cœur, je me suis enfin mise au lit. Je me suis réfugiée sous l'amoncellement de couvertures épaisses et j’ai pleuré.
Pour la dernière fois, j’ai ouvert toutes les vannes et je me suis laissée emporter en même temps que mes larmes. Pour la dernière fois, j’ai pleuré jusqu’à l'épuisement, jusqu’à vider mes yeux de tout liquide lacrymal. Pour la dernière fois, j’ai autorisé la tristesse à prendre le dessus sur moi, je l’ai autorisé, lui, à me faire encore du mal.
Demain, ça sera différent. Demain, je serai différente parce que je reprendrai ma vie en main.
Et aujourd’hui, on est demain. Je dois dire que pour la première fois depuis plus de six mois, je me sens prête à honorer la promesse que j’ai faite à Vinnie. La promesse que je me suis faite à moi-même.
Je me tortille sous les couvertures pour m’étirer les bras bruyamment, faisant grincer le lit par la même occasion. Quand mes yeux s’habituent à la pénombre, je distingue les contours de la chambre exiguë grâce au voyant de la télé. À celui de l’écran du PC Gaming. Et de la tablette graphique. De la PS5 en veille. La Xbox One aussi. Comment ça, je suis matérialiste ?
Trois coups frappent à la porte et je proteste à mi-voix.
« Va-t-en, Vinnie ! Personne n’a envie de voir ta sale tronche de bon matin.
« Il est 14h ! crie-t-il par la serrure. Je peux entrer ?
« Je suis à poil ! »
Quand la porte s’ouvre à la volée, je regrette aussitôt d’avoir tenté une aussi piètre excuse pour le repousser. Vinnie est un jeune homme fantastique, doté d'une personnalité riche, illuminée de belles qualités et de nombreux traits de caractère très prononcés. La pudeur, la bienséance, les bonnes mœurs et l’embarras ne font cependant - et malheureusement - pas partie de la liste qui les composent. Cela fait plus de six mois que je vis chez lui et, à ce jour, je peux affirmer connaître son corps aussi bien que je connais le mien. Avant mon emménagement, il avait pour habitude de se promener à poil dans son appartement et ma présence ici n’est clairement pas un motif suffisant pour lui d’arrêter ce vilain travers. En ces murs, j’ai depuis longtemps renoncé à mon intimité. Même la salle de bain n’a pas de verrou et il ne se gêne jamais pour venir se brosser les dents ou n’importe quoi d’autre quand je suis sous la douche et séparée de lui uniquement par une vitre transparente. À vrai dire, me voir nue lui fait une bien belle jambe. Et autant d'effets qu’un chaton crevé sur le bas côté de la route. Je n’en remonte pas moins les couvertures le plus haut possible sur mes épaules dénudées quand il s’assoit à côté de moi sur le lit. Avec un grand sourire rassérénant, il me tend un mug fumant et une poche blanche en papier recyclé à l’odeur particulièrement alléchante. Mon ventre vide grogne d’envie.
« Votre petit-déjeuner ou le déjeuner - appelez ça comme vous voulez -, milady. »
Je renifle la tasse de café brûlant et les viennoiseries avec un air soupçonneux mais au fond de moi, je suis ravie.
« Pourquoi t’es si gentil, tout à coup ? »
Il éclate de rire et je souris malgré moi.
« Mange, promis, je n’ai pas craché dedans. Je veux juste que tu passes une bonne journée. Et… j’ai un truc à te dire qui peut pas attendre. J’ai trouvé une solution à ton petit problème.
« J’ai un petit problème, moi ? »
Je n’en ai que des gros.
« Ton problème de rencontre, chat ! Tu me disais hier soir que tu ne savais pas comment faire ni où chercher un mec qui est tout l’opposé de toi. Je sais enfin où tu peux trouver la perle rare et ça, sans sortir de chez toi. Il impose un silence théâtral. Ta solution, ça s’appelle Oxymore, et c’est du jamais vu. »
15 commentaires
marionlibro
-
Il y a 4 ans
Hilona Garry
-
Il y a 4 ans
Hilona Garry
-
Il y a 4 ans
marionlibro
-
Il y a 4 ans
Hilena
-
Il y a 4 ans
Scarlett Owens
-
Il y a 4 ans
Hilona Garry
-
Il y a 4 ans
Barbara Dhilly
-
Il y a 4 ans
Hilona Garry
-
Il y a 4 ans
Mymy M. *Sakuramymy*
-
Il y a 4 ans