Fyctia
11 - Lorenzo.
Depuis qu’on est gamins, on se retrouve toujours une heure ou deux sur le parking avant un match ou un entraînement, histoire de discuter entre nous et de profiter un peu du calme avant la tempête. Alors quand je leur raconte la fin de soirée que j'ai passé avec mon coup d’un soir et mes mésaventures aurorales, appuyé sur le capot de la familiale de Pichu, les gars se marrent. Je passe sous silence le coup de la capote évidée sur le crâne. Mon auto-dérision a des limites.
JB, qui est normalement celui à qui ce genre d’histoires rocambolesques arrive, est aux anges. Pour une fois, ce n’est pas de lui qu’on rigole.
« Elle a vu ta bite ?!
« La bite et les grelots ! J’étais complètement à poil, mec. Je peux te dire qu’elle s’est rincée l'œil, la vieille. Mais bon, en même temps, il y a de quoi mater, je peux comprendre. Je contracte mes biceps. T’as vu la bête un peu ?
« Au moins, elle aura une sacré histoire à raconter à ses copines pendant ses futures parties de bridge à la salle des fêtes du village, plaisante Gaëtan, mi-figue mi-raisin.
« Ouais, ça, c’est sûr.
« Je te l’avais bien dit, fallait rentrer avec nous, dit alors Patxi en faisant la moue, t’aurais pas eu de soucis comme ça.
« Ouais, mais j’aurai pas conclu.
« Et qu’est-ce que conclure avec cette fille en particulier t’a apporté comme bénéfices, exactement ? » me demande-t-il.
Je déteste quand il prend cet air moralisateur. Ça y est, le voilà qu’il croise les bras. Je vais avoir des problèmes. Encore.
« Bah… Euh… Elle était vraiment bonne. »
Waouh, Loren ! La grande classe.
173 ans depuis la première convention des droits de la femme et y a encore des connards dans ton genre pour parler d’elles en un terme si archaïque. Tu peux être fier de toi.
Je suis aussi convaincant qu’un chiot aux yeux innocents assis au milieu d’un carnage de plumes et du coussin éventré. Comme je sens qu’un blizzard se prépare, je regarde JB et lui fait les gros yeux. Allez, mon grand, c’est le moment de faire une de tes sales blagues et de me sortir d’affaires. Ce sale traître se contente de hausser les épaules avec une moue désolée. On ne peut jamais compter sur ce petit con égoïste.
« Bonne mais en couple. Tu claques la moitié de ton salaire pour lui payer des verres et au final tu y gagnes une cheville tordue et un cul gelé. Paye ta nuit de folie.
« Pichu… intervient Gaëtan sur un ton prudent.
« T’as 25 ans et tu te comportes comme si t’en avais 18. Faut que tu te poses, mec, on ne peut plus te suivre, nous, me dit Patxi en faisant une moue qui creuse ses fossettes. Tu sais ce qui est mieux que de se taper une fille bonne - pour reprendre cette tournure particulièrement élogieuse - en revenant de soirée ? Rentrer chez soi et se glisser dans le lit à côté de sa femme. Le matin, tu te réveilles à côté d’elle, tu l’embrasses, et tu lui racontes la soirée au calme que t’as passé avec tes meilleurs potes. »
Pour la deuxième fois de la matinée, deux fois de trop, j’enfonce mes doigts au fond de ma gorge et je fais semblant de vomir.
« Ouais, ‘fin, perso, quand je suis rentré hier soir, la mienne m’a forcé à dormir sur le canapé parce que je puais trop l’alcool, alors bon… » rétorque Gaëtan avec un petit rire forcé, piètre tentative de sa part pour alléger l’atmosphère.
Je gratifie discrètement mon meilleur ami d’un clin d'œil reconnaissant. Malheureusement, Patxi n’en a pas tout à fait fini avec moi.
« Est-ce que ça valait le coup de repartir avec cette fille au lieu de rentrer chez toi tranquillement avec tes potes ? »
J’imprime une moue butée sur mon visage et je baisse les yeux sur mes chaussures pour ne pas avoir à croiser les yeux scrutateurs de mon pote. Je ne tiens pas à ce qu’il lise sur mes expressions faciales la réponse négative qu’il attend que je lui serve sur un plateau. Pour donner le change, je donne un léger coup de pied à un petit caillou qui roule sous ma basket élimée. Je me rends compte à quel point je ressemble à un gosse vexé parce qu’il se fait engueuler par son père devant ses petits copains de l’école.
Comme je ne lui réponds toujours pas, Pichu insiste.
« Alors ?
« Oh les gars, on a passé l’heure, là ! intervient JB en louchant sur sa montre. Faut qu’on aille se changer tout de suite. Le coach va nous tuer.
« Putain, ouais. On y va. »
Sauvé par le gong, comme on dit. Je ramasse mon sac de sport à mes pieds et le jette sur mon dos.
Est-ce que ça valait le coup ? J’étais sur le point de répondre à Patxi que oui, ça valait le coup. Alors pourquoi suis-je autant contrarié ?
J’ai été nul. Putain que j’ai été nul.
Le coach Perez m’a fait sortir au bout de cinquante-cinq minutes parce que je ne servais à rien sur le terrain. Entre mon corps qui crachait l’alcool que j’ai ingurgité la veille par tous les pores de ma peau et ma pauvre cheville qui chantait Ave Maria à chaque fois que je m’appuyais dessus, impossible de courir ni d’être performant. Gaëtan m’a servi un véritable caviar dans les pieds à la vingtième minute et je n’ai même pas réussi à être décisif. Le ballon est allé taper la barre transversale dans un bruit pitoyable qui a fait vibrer mon crâne. J’ai donc piteusement rejoint JB sur le banc qui était déjà sorti depuis la vingt-troisième minute - je me console en me disant qu’il y avait bien pire que moi - et j’en ai profité pour ruminer la conversation qu’on a eu sur le parking une heure plus tôt.
Est-ce que ça valait le coup de repartir avec cette fille ?
Je serai de mauvaise foi si je répondais que oui comme j’en avais eu l’intention de le faire par pure provocation. Patxi avait raison sur plusieurs points. J’avais effectivement claqué des sous pour séduire… C’était quoi son nom, déjà ? Ah oui, Amaia. Non, en fait, je suis presque sûr que son mec a dit Andréa. Oui, voilà, Andréa, ça doit être ça. J’avais bien fini le cul gelé et je m’étais bien niqué la cheville. Et encore, il ne savait pas que j’avais gagné ma place d’acteur pour la pub de gel Vivelle Dop fixation béton, avec une nouvelle formule plus béton que béton… Tout ça pour quoi ? Pour coucher avec cette fille que je ne reverrai absolument jamais. Une fille de plus parmi tant d’autres que je n’apprendrai jamais à connaître pour la simple et bonne raison que je n’en ai pas envie.
Enfin, peut-être.
Si.
Après toutes ces années célibataire à regarder mes potes se caser au fur et à mesure en étant aussi heureux en ménage, je pense que je suis enfin prêt à faire l’effort d’apprendre à connaître une fille si j’en trouve une assez intéressante pour creuser ses qualités et ses défauts. Intéressante et sérieuse. Loyale, avec des valeurs. Je me refuse encore à prononcer son nom même en pensée après autant d’années, mais il n’est pas question que je croise le chemin d’une fille qui peut me briser comme elle l’a fait. D’une fille dans le genre d’Andréa par exemple - peu importe son prénom de malheur.
8 commentaires
marionlibro
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Il y a 4 ans
Hilona Garry
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Il y a 4 ans
Hilena
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Il y a 4 ans
Scarlett Owens
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Il y a 4 ans
Mymy M. *Sakuramymy*
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Il y a 4 ans
Hilona Garry
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Il y a 4 ans
Franck GUENAN
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Il y a 4 ans