Hilona Garry Oxymore 10 - Lorenzo.

10 - Lorenzo.

Il faut reconnaître que pour un début de mois de mars, les températures extérieures

sont particulièrement douces. Cela fait une semaine ou deux que nous profitons d’une chaleur environnante bien plus élevée que les moyennes de saison. 12°C pour un matin d’hiver en transition vers le printemps, on ne peut pas rêver mieux. Même les arbres se font avoir par ce bref réchauffement climatique et fleurissent déjà, parsemant les pare-brises des voitures

de minuscules pétales colorés. C’est si beau, si agréable.

Pourtant, étendu là, dans l’herbe rase recouverte de rosée, nu comme un vers, je dois avouer que je me pèle sacrément les miches. À cet instant précis, grimaçant devant la taille de mon sexe et sa misérable couleur bleue, j’envie la fourrure naturelle des animaux. Épiméthée nous a vraiment laissés pour compte.

En me remettant debout, je serre la mâchoire et me mords le poing pour me retenir de pousser un juron. Ma cheville gauche qui a amortie le choc de mon saut me fait un mal de chien. Un coup d'œil m’apprend qu’elle est enflée et je soupire en me pinçant l’arrête du nez, excédé par la tournure absolument dramatique - Drama queen, moi ? - des événements. J’ai match à 14h cet après-midi et je ne suis pas certain qu’une poche de glace fera l’affaire cette fois-ci. Maudite sois-tu Amanda, toi et tes futures générations. Au-dessus de ma tête, j’entends d’ailleurs cette dernière badiner avec son pauvre cocu de mec.


« Oh, c’est parce que j’avais trop chaud bébé ! J’ai un peu abusé de la boisson hier soir alors je suis en nage ! Tu veux que je ferme la fenêtre ? »


Son mec doit être trop loin du rebord - et tant mieux - car je n’entends qu’un grognement presque inaudible comme réponse.


« Tu viens te coucher, mon coeur ? Je vais essayer de me rendormir, dit-elle après un silence.

« J’arrive tout de suite, bébé. Je vais juste me débarbouiller à la salle de bain deux minutes. »


J’enfonce deux doigts dans ma bouche - pas trop profondément non plus parce que je suis vraiment à ça près de vomir - et me penche en avant pour attraper mes fringues par terre. Inutile de préciser qu’ils sont trempés et que j’ai de plus en plus envie de tout casser. En me redressant, mes affaires en boule serrées contre la poitrine, je me fige. Une petite mamie, levée aux aurores pour promener son horrible roquet belliqueux, me fixe - m’admire serait un terme bien plus adéquat mais je ne veux pas sonner présomptueux - de l’autre côté de la clôture grillagée qui sépare le petit jardinet résidentiel de la limite du parking non couvert du bâtiment opposé. Elle me gratifie d’un sourire radieux et édenté en secouant dans ma direction la main qui ne tient pas la laisse de son affreux petit chien de vieille dame.

Je couvre mon sexe avec ma pile de fringues et lui rend son salut, gêné, en faisant la grimace. Je geins en enfilant mes vêtements mouillés qui me collent à la peau autant que la honte et la mauvaise humeur collent à mon aura. Une fois habillé et d’une certaine façon encore plus gelé que quand j’étais à poil, je tâte les poches de mon jean pour m’assurer que j’ai absolument tout sur moi : téléphone, portefeuille, carte d’identité, carte bleue, espèces. Ok, tout est là. Je peux enfin me casser d’ici et rentrer chez moi et laisser cette fâcheuse début de journée - ou fin de soirée, tout dépend de comment on voit le verre, j’imagine - derrière moi.

J’esquisse à peine le geste de lever la jambe pour marcher qu’une masse visqueuse et répugnante me tombe sur le haut du crâne dans un splosh écœurant, suivi d’un bruit de fenêtre qu’on referme à la volée. Un petit cri surpris et étranglé m’échappe, véritable atteinte à ma chère virilité si on m’avait entendu le pousser. Je sens un liquide gluant et épais s’écouler dans mes cheveux noirs et je suis frappé d’horreur. D’abord, je pense à la fiente d’un oiseau mais ça ne colle pas avec le bruit de fenêtre. La réalité de ma situation me frappe avec la violence d’un coup de poing dans le ventre et j’ai un hoquet horrifié. Lentement, très lentement, je porte à ma tête des mains tremblantes d’appréhension. Je pense savoir ce que c’est. Je crois savoir ce que c’est. Pire, je sais ce que c’est. Faites que je me trompe. Pitié. Pour la première fois de ma vie, moi, Lorenzo Francis Gianmarco Barat, j’espère sincèrement que j’ai tort. Je veux avoir tort.

Mais bien sûr, j’ai raison.

Comme toujours.

Je jette la capote usagée par terre avec autant de force que si elle m’avait brûlé. Je saute dans tous les sens en proférant un chapelet particulièrement coloré de jurons de ma collection personnelle et en me frottant les cheveux de manière compulsive. Cette salope m’a balancé le préservatif d’hier soir sur la gueule ! Dans un excès de rage, je passe mes nerfs sur le petit bout de latex souillé et l’écrase sous ma chaussure autant de fois que nécessaire jusqu’à me calmer. Ce qui prend bien plus de cinq minutes.

Pour tout ce qui m’arrive, je ne dois m’en tenir qu’à moi-même. J’aurai dû rentrer à la maison, raccompagné sagement par les gars. Comme c’était prévu dès le début.

Mais non, il fallait que je n’en fasse qu’à ma tête. Il fallait que je rentre avec cette cinglée.

Parce que je ne voulais pas rentrer chez moi. Tout seul. Encore.

Je peux oublier mon idée de prendre le premier tram-bus pour regagner mon appartement. Même si je me suis essuyé le cuir chevelu avec des feuilles et que je dois juste avoir l’air d’un pauvre type qui a mis beaucoup trop de gel fixation extra-forte sur sa tignasse, je préfère m’éviter une walk of shame digne d’un film qui mettrait en scène un gars comme Ben Stiller ou Jim Carrey. Allez, Loren, une demi-heure de marche à peine et t’es à la maison, dans ton lit.

Tout seul. Encore.

Je pousse un grand soupir résigné et je commence à marcher sur plusieurs mètres, non sans avoir gratifié la petite mamie - qui n’avait pas bougé d’un pouce depuis mon saut de la fenêtre - d’un doigt d’honneur que j’espère éloquent.

Un rire éraillé résonne dans mon dos et je ne peux m’empêcher de me sentir comme une merde.



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15

15 commentaires

Emilie May (Bookofsunshine)

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Il y a 4 ans

Pas mal le coup du préservatif

marionlibro

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Il y a 4 ans

J'ai bien rigolé encore! J'adore ton style d'écriture, c'est fluide et ça se lit tout seul ! Je ne regrette pas d'être ton binôme !! C'est top de découvrir des histoires comme ça :) J'ai vraiment envie de savoir la suite. Lorenzo est marrant et en même temps, je ressens sa solitude qui fait mal au coeur finalement... Hâte de lire la suite !

Hilona Garry

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Il y a 4 ans

Çà me fait vraiment très plaisir! J'ai hésité les premières semaines à m'inscrire pour les binômes de lecture mais je ne regrette vraiment pas, et je suis ravie d'être tombée avec toi et avec Julian que j'aime d'amour <3

marionlibro

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Il y a 4 ans

J'ai aussi hésité au début mais finalement c'est une super expérience ! Merci beaucoup !!!

Hilena

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Il y a 4 ans

Excellent chapitre!

Hilona Garry

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Il y a 4 ans

Merci !! 🤍

Scarlett Owens

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Il y a 4 ans

Tu n'es vraiment pas tendre avec ce pauvr'Lorenzo... 😂 Le ciel lui tombe sur la tête !!! Quelle technique ingénieuse pour de nous le faire aimer encore davantage 😊❤️. Tu as le don de projeter ton lecteur dans l'action du moment, j'étais cette petite grand mère qui prenait bien du plaisir à espionner cette scène de si bon matin !!!

Hilona Garry

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Il y a 4 ans

Merci ! Et il récolte ce qu'il sème !

Barbara Dhilly

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Il y a 4 ans

La suite, viiiite !

Hilona Garry

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Il y a 4 ans

Ça ne devrait pas tarder à être débloqué ! En plus, la situation initiale est enfin posée, on va bientôt rentrer dans le vif du sujet et j'ai hâte de vous faire découvrir l'application Oxymore ! ❤️
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