Fyctia
8 - Skylar.
Mon ventre se serre et la panique me gagne. Je crois que je vais vomir. Je n’aurai pas dû croquer dans cette pizza.
« Je te jure que je l’ai appris qu’une fois que vous étiez séparés, dit-il en me présentant ses deux paumes ouvertes. Et c’est justement parce que vous n’étiez plus ensemble que j’ai préféré ne pas t’en parler. Ça t’aurait fait encore plus de mal pour rien. Tu étais déjà si mal... Je voulais juste te protéger.
« Vincent…
« Il n’y a pas eu que cette fois-là, Sky. Ce n’était pas un épisode à part. Il y en a eu d’autres. Six, en tout. Six autres filles et ça, dès le début de votre relation. Lénaïg ne te mérite pas. Il ne t’a jamais mérité. Je l’adore, c’est mon ami aussi, mais il s’est comporté comme un gros connard avec toi. Non, c’est un gros connard. Je suis désolé, Skylar, je suis vraiment désolé. »
Le visage de mon meilleur ami disparaît dans un flou gaussien qui n’a rien d’artistique. Les lumières du salon perdent en intensité puis s’éteignent. Le sol sous mes pieds laisse place à un trou béant qui fait écho à celui dans ma poitrine. Je me laisse happer par ce vide intersidéral et me laisse tomber. Dans ma chute, j’en oublie de respirer et je m’étouffe. Il fait si froid que je frissonne. Une seconde plus tard, j’ai trop chaud. La pizza a un goût de cendre dans ma bouche. Sans m’en rendre compte, le barrage qui retenait l’ampleur de mon chagrin cède et je suis secoué d’un sanglot. Puis d’un autre. Et d’un autre. Je pleure jusqu’à ce que mes larmes se tarissent naturellement. Je n’ai plus de réserve.
Pendant tout ce temps, Vinnie reste silencieux. Je prends le temps d'intégrer ces nouvelles informations qui balayent sept ans de ma vie comme une vague qui emporte un château de sable sur la plage. Le pouce de mon meilleur ami dessine une spirale sur ma main et ce simple contact me réconforte. Les mots n'ont jamais été son point fort mais sa seule présence me fait du bien.
Quand je réussis enfin à me calmer, il se rapproche de moi, tout doucement. Il me relève le menton et je croise son regard. À son expression, je comprends qu’il n’en a pas fini avec moi. Je ne peux pas en supporter plus.
« Au début, quand tu l’as quitté, il n’était pas bien. Maintenant, tous les week-ends, il me parle d’une fille différente. Alors que toi, tu ne penses qu’à lui. Matin, midi et soir. Il faut que ça cesse. Oublie-le, Sky. Oublie-le ! Va voir ailleurs ! T’es une fille extraordinaire ! N’importe qui serait chanceux de t’avoir. Je suis sérieux. Va. Voir. Ailleurs. Y a que comme ça que tu pourras passer à autre chose. »
Tout doucement, il essuie une larme qui roule sur ma joue. La dernière. Une étincelle de malice s’allume dans ses yeux noirs au blanc striés de rouge. Quand il ouvre la bouche, sa voix n’est qu’un murmure.
« Si t’avais eu un pénis, je suis sûr que moi aussi je serais tombé amoureux de toi. »
Je pouffe malgré moi. Mon éclat de rire est à mi-chemin entre un sanglot et le cri d’un animal malade. Je repousse sa main et lui donne une petite tape sur l’épaule. Rassuré de ne pas me voir mourir de chagrin sur son canapé élimé, il glousse à son tour. Je lui lance un regard si reconnaissant qu’il baisse les yeux, gêné. Je ne sais pas ce que je ferai sans lui. Tout le monde devrait avoir un Vinnie dans sa vie.
J’ai toujours été une amie merdique. Je ne suis jamais là quand il a besoin de moi, j’ai toujours la flemme de lui rendre service, je ne sais pas reconnaître quand il ne va pas bien, j’oublie son anniversaire, je mange la dernière mousse au chocolat dans le frigo, et j’en passe. Et pourtant, il est toujours là pour moi. Il arrive même à me remonter le moral quand je ne vois que du noir.
« Je ne retrouverai jamais quelqu’un comme lui, Vinnie. » dis-je finalement.
Ma voix est éraillée d’avoir trop pleuré.
Vinnie ouvre le carton de sa pizza à la bolognaise et croque à pleines dents dans une part. Il fait la grimace et je comprends que son dîner s’est refroidi. Encore autre chose que je peux ajouter à ma liste de raisons pour lesquelles je ne mérite pas ce garçon pour ami.
« Tant mieux, me répond-il la bouche pleine.
« Tu ne comprends pas, chat. Lénaïg était… parfait. Parfait pour moi. Il avait les mêmes opinions que moi, les mêmes centres d'intérêts, les mêmes passions, on avait tout en commun. Tout !
« Et ça t’a réussi comment, jusque là ? »
Je fais la moue et tire sur les manches de ma robe de chambre Hello Kitty. Je dois reconnaître qu’il n’a pas tord.
« C’est bien ce que je pensais. »
Il me lance un regard en biais l’air de dire : “Cherche pas, j’aurai réponse à tout de toute façon.” J’esquisse un timide sourire et croque à mon tour dans ma pizza. C’est vrai qu’elle est froide.
« C’est peut-être justement tout l’inverse de toi qu’il te faut.
« Je ne sais même pas comment faire.
« Comment faire quoi ?
« Rencontrer quelqu’un… Alors rencontrer quelqu’un qui sort de ma zone de confort, n’en parlons pas... » soufflé-je.
Je murmure cette dernière phrase. Impossible de la dire plus fort car l’idée me semble inconcevable. Impossible. Interdite.
« Faudrait déjà commencer par sortir dehors, me répond-il dans une piètre tentative d’humour.
« C’est TOI qui me dit de sortir dehors ?
« Pour commencer, moi je sors pour aller travailler. Et chercher les pizzas. Toi, tu travailles à domicile, t’as même pas le permis et tu ne m'accompagnes même pas chez Giorgio. De rien, d’ailleurs. »
Il secoue sa part de pizza devant mon nez et renifle avec dédain. J’ignore sa pique effrontée.
« Je ne sais même pas comment séduire quelqu’un !
« T’es une jolie fille. Tu vas t’en sortir.
« Vinnie, je n’ai connu que Lénaïg. J’avais 17 ans quand on s’est mis ensemble.
« C’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas ce genre de choses.
« Je ne sais pas…
« Arrête de te trouver des excuses !
« Ce n’est pas des excuses !
« Si, Sky ! Promets-moi que tu vas essayer de t’en sortir. Que tu vas essayer de rencontrer quelqu’un.
« Je sais pas, Vinnie…
« Sky !
« Ok, ok. Je te promets que je vais essayer.
« Pas une promesse à la con comme celle de la semaine dernière ?
« Je te dis que je vais essayer.
« D’accord. Mais je suis sérieux ! Je te laisse jusqu’à demain pour te ressaisir. Si je te revois pleurer, je te donnerai une bonne raison de le faire. Compris, chat ? »
Je hoche la tête de bas en haut, penaude. Il sourit et me prend dans ses bras. Je me blottis contre son torse dodu et me mouche presque sur son t-shirt rongé aux mites. Mon colocataire sent si fort la transpiration que je m’écarte un peu trop vivement et il se cogne le genou contre l’album photo, oublié là sur le canapé. Une fureur soudaine s’empare de lui et déforme ses traits. Il se lève, empoigne le livre et se dirige à grands pas vers la poubelle de la cuisine. Avec théâtralité, il appuie sur la pédale permettant d’ouvrir le couvercle et le jette à l’intérieur de toutes ses forces. Il me regarde, me sourit et colle son pouce à l’index.
« Un problème de moins. »
18 commentaires
Jane Moody
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Il y a 4 ans
marionlibro
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Il y a 4 ans
Hilona Garry
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Il y a 4 ans
Emilie May (Bookofsunshine)
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Hilona Garry
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Hilena
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Hilona Garry
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Mymy M. *Sakuramymy*
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Hilona Garry
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Barbara Dhilly
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Il y a 4 ans