Fyctia
7 - Skylar.
« Allez, Vinnie, reviens ! Les pizzas vont refroidir ! »
Les bruits de course folle dans le couloir laissent place à un silence pesant. Presque religieux. Dangereux. Je visualise mon meilleur ami se tenant devant sa porte entrebâillée, tirant comme un névrosé sur les pointes de ses longs cheveux noirs à la Severus Rogue, en proie à diverses émotions contradictoires. L’horreur, la peur, la résignation, la colère, le doute, de nouveau l’horreur. Il aspire une grosse goulée d’air et là, je sais qu’il évalue ses chances de s’en sortir sans passer par la case prison s’il me tord le cou comme un vulgaire poulet d'abattage. Vinnie est un petit génie, bien sûr qu’il pourrait mettre au point un crime parfait - après tout, Ted Bundy aussi avait un QI supérieur à 135. Il ferait tout simplement passer mon meurtre pour un suicide. Faut dire que tout le monde sait que je suis déprimée depuis qu’il… depuis quelques mois, personne n’irait vérifier une autre théorie.
J’entends la porte en bois de sa chambre grincer légèrement sur ses gonds et des bruits de pas prudents. Il est en train de vérifier ce que j’ai bien pu traficoter dans son espace privé. Je sais qu’il embrasse du regard chacune de ses soixante-quatorze précieuses figurines de collection et qu’il scanne au laser la moindre petite trace de doigt sale que j’aurai pu laisser sur ses meubles blancs aseptisés. Tant qu’il ne regarde pas dans la penderie, je suis tirée d'affaires.
« Skylar Joséphine Beauce ! » rugit-il.
Il claque la porte et revient vers moi en courant de nouveau. Décidément, il aura plus couru en cinq minutes que pendant les vingt-cinq premières années de sa vie. Il me charge à la manière d’un buffle et sur le coup, j’ai envie de rigoler. Le coin de mes lèvres tremblotent et je me mords l’intérieur de la joue pour ne pas craquer, ça ne ferait que l’énerver encore plus. Quand je me rends compte qu’il tient l’album photo au-dessus de sa tête, l’envie de me moquer de lui fond comme neige au soleil.
Ainsi donc, je n’avais pas remis la pile de sweat-shirts aussi droite que je l’avais trouvé.
Mesdames et messieurs les médecins et psychologues, laissez-moi vous apprendre votre métier...
« Tu te fous de moi, Sky ? »
Il balance l’objet de discorde sur le canapé. Je me prends le coin acéré du livre dans la cuisse quand le livre rebondit sur les coussins et un gémissement m’échappe. Mais pas à cause du choc, non. La douleur du coup est bien plus supportable que celle provoquée par la vision de Lénaïg m’embrassant au pied de la Tour Eiffel sur la photo de couverture de notre album de souvenirs.
J’ignore ce que peut bien exprimer mon visage à ce moment-là pour que la colère de Vinnie retombe comme un soufflé au fromage. Bras ballants, il part à la cuisine en soupirant et revient avec les cartons de pizza. Il se laisse tomber à côté de moi entre les coussins, ouvre la boîte contenant ma merveilleuse poulet-ananas supplément tabasco et me tend une part. Il me la secoue sous le nez avec une moue sévère.
« Prend des forces. Il faut qu’on parle, Sky.
« Écoute, je suis désolée, chat… »
Je le suis vraiment. Rentrer dans sa chambre alors que je n’y ai pas l’accès autorisé, c’est une chose. Y pénétrer pour voler l’album photo que Vinnie m’a confisqué deux mois plus tôt parce qu’il n’en pouvait plus de me voir pleurer comme une madeleine en le regardant - je dormais même avec - ça en est une autre.
« C’est bon, c’est bon. Je dois te parler d’autre chose. »
Alors même qu’il prononce cette phrase, ses yeux noirs me lancent des éclairs. Je sais que ça doit lui coûter de ne pas me réprimander sur mon intrusion dans son espace sacré.
T’inquiètes, mon chou, je n’ai pas vu la boîte de mouchoir sur ton bureau. Ni celle devant la télé. Ni celle sur la table de chevet.
« Sky, je suis ton ami » lâche-t-il enfin.
Il triture nerveusement l’anneau noir à son doigt tandis que ses yeux fuient les miens. Il se mord la lèvre et une vague de stress prend naissance dans mon ventre. Pourquoi passe-t-il par quatre chemins ?
« Le meilleur. »
Ce n’est pas difficile, en même temps. C’est bien le seul.
« Oui, ça, c’est incontestable, reprend-t-il dans un claquement de langue. Mais écoute-moi sans m’interrompre, s’il te plaît. Je suis ton meilleur ami et je t’adore. Je te considère comme ma famille et tu le sais. Et c’est pour ça que je n’en peux plus de te voir comme ça. Je n’en peux plus, Sky. Je n’en peux plus de te voir pleurer tous les jours et toutes les nuits - oui, je t’entends aussi la nuit -, de te voir broyer du noir à longueur de journée. Ça me fait de la peine de te voir comme ça, j’ai mal et je ne sais plus quoi faire pour t’aider. Ça fait plus de six mois, chat ! Plus de six mois !
« Vinnie…
« Non, Sky, je te jure, c’est pas normal que tu sois encore dans cet état ! C’est vrai que je n’ai pas trop d’expérience niveau rupture mais t’aurais déjà du passer à autre chose. Ou te sentir mieux. Mais non. Tu le pleures encore comme si c’était hier.
« Je ne veux pas parler de lui, Vinnie…
« Moi non plus, Sky, moi non plus ! s’emporte-t-il. Lénaïg, c’est aussi mon meilleur ami et quand vous vous êtes séparés, je vous ai prévenu qu’il était hors de question que je prenne parti entre vous deux. Et jusqu’à aujourd’hui, j’ai tenu ma promesse. Mais là, je n’en peux plus. On va parler de lui, Sky. Maintenant. Alors mange cette foutue part de pizza. »
Des larmes brûlantes me montent aux yeux et mes doigts se mettent à trembler. Je me lève du canapé parce qu’il n’est pas question que j’ai cette conversation avec Vinnie. Je ne suis pas prête. Ni aujourd’hui, ni jamais.
Vinnie m’attrape par le bras avec douceur tandis que ses yeux m’implorent de rester avec lui. Sourcils froncés, commissures basses et mâchoire fermée, son expression faciale est si triste que je me rassoie lentement. Je vois bien qu’il est désemparé et qu’il veut juste que je l’écoute au moins une fois.
Je lui dois bien ça.
Résignée, je croque dans la part de pizza. Une boule amère m’obstrue la gorge mais je me force à avaler.
Satisfait, Vinnie prend une grande inspiration et se jette à l’eau.
« Tu ne dois plus pleurer pour lui, Sky. Vraiment.
« Je l’aime, Vinnie. Je l’aime plus que tout au monde.
« Il ne mérite pas cet amour inconditionnel. Il ne mérite pas ton amour... tout court.
« Ne dis pas ça, s’il te plaît… Il a juste fait une bêtise. J’aurai dû lui laisser une chance de s’expliquer et maintenant, c’est trop tard. Peut-être que si je n’avais pas réagi aussi vivement on serait encore ensemble aujourd’hui. L’erreur est humaine, peut-être que j’aurai pu passer outre ce qu’il a fait et...
« C’est de ça dont je veux te parler, Sky. Ce n’est pas… »
Il ferme les yeux un instant. Quand il les rouvre, ils sont rougis. Se retient-il de pleurer, lui aussi ?
« Ce n’est pas la seule bêtise qu’il a faite, Sky.
« Comment ça ? » bredouillé-je.
25 commentaires
Jane Moody
-
Il y a 4 ans
Jane Moody
-
Il y a 4 ans
marionlibro
-
Il y a 4 ans
Hilona Garry
-
Il y a 4 ans
Hilena
-
Il y a 4 ans