Fyctia

Quand j’ai le déclic, mes yeux s’agrandissent.

« Ce canon ?! Tu mens.

« Eh ouais.

« Je ne te crois pas.

« Mais si, gros ! Je te jure ! Elle a kiffé mon humour.

« Mec, tu lui as dit “Es-tu un micro-ondes ? Parce que tu fais fondre mon petit cœur” »

Sur le coup, Gaëtan et Patxi hurlent de rire. Le premier se laisse tomber sur les poufs en se tenant les côtes tandis que le deuxième frappe la table du carré. JB hoche la tête en faisant la moue. Lui aussi il aurait ri.

« Je suis le premier surpris, frérot… Elle ne marche jamais cette accroche d’habitude.

« Tu m’étonnes qu’elle marche jamais cette accroche d’habitude !

« T’es plus puceau alors ! Faut trinquer à ça ! halète Gaëtan entre deux éclats de rire.

« Bah, qu’est-ce que tu racontes, compadre ? T’as déjà oublié que c’est ta mère qui m’a dépucelé, mh ?

« Arrête de parler des mamans ou je t’en colle une ! » gronde Patxi et JB se ratatine aussitôt, l’air penaud.

Pichu a cet effet-là sur les gens. Il faut dire que sa carrure de colosse force tout de suite le respect. Et pourtant, c’est le plus bonhomme de nous quatre. Comme quoi.

Désireux de me rattraper auprès de Gaëtan pour mon absence de réaction un peu plus tôt, je remplis les verres de mes amis et tend le mien au-dessus de ma tête.

« À Gaëtan et à la fin officielle de son indépendance !

« À JB ! dit JB en levant son verre à son tour.

« Oui ! À JB qui s’est enfin trouvé une copine ! ajouta Gaëtan.

« C’est pour sa copine qu’il faut trinquer plutôt. Pauvre petite, marmonne Patxi.

« À Lorenzo, le seul ici à résister à la pression sociale de ne pas être en couple ! ajouté-je.

« Arrête un peu avec ton discours de pression sociale ! me lance Pichu.

« Mais c’est vrai ! J’ai pas besoin d’une meuf, moi. Je suis très bien tout seul.

« Ça te ferait du bien pourtant.

« Je ne vois pas comment.

« Ça te calmerait un peu. Et t’arreterais de nous gonfler à vouloir sortir à tout bout de champ.

« Bah ! Même si j’étais en couple, ce n'est pas ça qui m’empêcherait de sortir.

« Tu dis ça maintenant… Regarde Gaëtan ! Il disait pareil que toi et au final il passe presque tous ses samedis soirs avec Soph.

« Ah, ça, je ne vais pas te contredire ! Il vient plus aux soirées, le con ! dis-je en pointant le concerné du doigt.

« C’était quoi, déjà, son excuse du week-end dernier ? intervient JB.

« Soirée films de Disney, gros. Soirée films de Disney. »

Je place une main sur le cœur et porte l’autre à la tempe, doigts serrés sur paume ouverte, imitant un salut militaire plutôt mal exécuté.

« Nous sommes ici aujourd’hui pour rendre hommage à Gaëtan Kone alias Matuidi Charo, notre vaillant soldat et ami tombé au combat. »

JB se prend au jeu. Il vient se placer à côté de moi et imite à son tour un salut militaire. Il fait mine de pleurer et renifle bruyamment. JB, c’est la Commedia dell’arte à lui tout seul.

« Un charognard devenu canard. Ça vous tue un homme, ces choses-là.

« Putain, ça se voit que t’as pas connu Loren en couple, toi ! se rebiffe Gaëtan, piqué au vif. Quand il était avec Océane, c’était à peine si on existait, Pichu et moi. Tu te rends pas compte, mec, mais c’est lui le plus gros canard de la mare, ici ! »

Tous les muscles de mon corps et de mon visage se tendent d’un coup. Sans m’en rendre compte, j’esquisse un mouvement vers mon meilleur ami, dents serrées et poings fermés. Je ne vois plus que du rouge. Là, tout de suite, je suis un taureau lâché dans l’arène, capable de charger tout ce qui bouge.

Patxi, qui s’était lui aussi raidi à l’évocation du prénom de mon ex, se place imperceptiblement devant moi. Son épaule ridiculement large fait barrage entre Gaëtan et moi. Ce dernier, prenant conscience que ses paroles ont dépassé sa pensée, ouvre de grands yeux et place une main devant sa bouche. Trop tard, vieux, t’as mis le sujet tabou sur la table. Pour une fois, même JB a l’intelligence d’esprit de la fermer.

« Yo, Loren, désolé. C’est sorti tout seul. »

J’ai la même sensation que si mon meilleur pote m’avait collé une beigne dans le ventre mais je me force à recouvrer mon calme.

« C’est bon, dis-je à contrecœur. Mais j’ai grave besoin d’un verre. »

Une heure plus tard, Patxi n’y tient plus et annonce qu’il veut rentrer. J’aurai bien voulu rester jusqu’à la fermeture et boire quelques verres de plus mais c’est le seul d’entre nous qui a l’air assez sobre pour nous ramener entier chacun chez soi. Donc bon, il vaut mieux pour moi que je suive le mouvement. J’aide JB - raide mort - à se lever, passe un bras autour de son épaule tandis que Gaëtan m’aide à prendre l’autre côté. C’est en le traînant comme le sac de pomme de terre qu’il est que nous descendons les escaliers pour rejoindre le rez-de-chaussée de la boîte. En nous dirigeant vers les vestiaires, je remarque que la grande blonde magnifique que j’avais repéré en arrivant n’a pas bougé de place.

Avec la soirée que j’ai passé, je mérite bien un peu de réconfort.

Je lâche mon pote.

« Eh, qu’est-ce que tu fais ? me dit Gaëtan. Il ploie sous le poids de JB et se rééquilibre.

« Je ne pense pas que je vais rentrer tout de suite.

« Pourquoi ?

« Ma soirée n'est pas finie, si tu vois ce que je veux dire. »

Devant son regard inquisiteur, je me dis que finalement ça fait deux ans qu’il ne voit plus vraiment ce que je veux dire. Je lève les yeux et ciel et pointe du menton la grande blonde assise près du bar.

« Ah, dit-il.

« Vous voulez pas rester encore un peu ? je demande, plein d’espoir.

« Non, je suis crevé. N’oublie pas qu’on a match à 14h demain et j’aimerai dormir un peu, intervient Patxi, agacé.

« Alleeeeez.

« Rentre avec nous, Loren. Il est presque 4h du matin.

« Et alors ?

« Tu sais ce que disent Lily et Marshall, dans How I Met Your Mother ? Rien de bon n’arrive après deux heures du matin.

« Oh, j’ai pris du bon temps à des heures bien plus avancées que ça, amico.

« Mais tu vas rester tout seul, comme ça, comme un gland ? demande Gaëtan qui s’affaisse de plus en plus à cause de JB.

« Je ne serai pas tout seul, réponds-je avec un clin d'œil arrogant.

« Ça t’en sais rien. Si ça se trouve, elle est en couple. Pire, si ça se trouve, elle cache un pénis sous sa robe.

« Yo, t’abuses.

« Fais ce que tu veux, Loren, lâche Pichu, perdant patience. Si tu veux rester, tu restes, mais tu te débrouilles pour rentrer. Moi je pars maintenant. »

Je me mords la lèvre, hésitant. Deux choix s’ouvrent à moi. Si je rentre en même temps que mes potes, Patxi me dépose devant la porte et je suis certain de dormir paisiblement dans mon lit. Il y a aussi moyen que JB vomisse dans sa propre voiture - qu’il a nettoyé de fond en comble - et ça me ferait chier de passer à côté de ce spectacle. Je n’ai jamais assez de vidéos de JB en train de vomir. Jamais. Et surtout, j’évite le risque de me prendre un râteau.

C’est clairement le choix le plus raisonnable.

Mais...