Fyctia

J'avais l'impression que le professeur Andros se fichait de nous.

"Ressentez et racontez l'histoire du lieu sacré."

Qu'est-ce que ça voulait dire, au juste ? J'aurais préféré un simple exposé. Mais non, il fallait que ce soit une expérience immersive, un truc mystique où on était censé se connecter à l'endroit.

Et cet endroit, c'était une grotte perdue au fin fond du Parc des Saphirs.

Je marchais d'un pas rapide, mon appareil photo en bandoulière et mon sac serré contre moi. Dedans, coincé entre un carnet et une bouteille d'eau, il y avait le carnet de Kiran. Je ne savais pas pourquoi je l'avais pris. Il y avait des notes étranges dedans, des symboles que je ne comprenais pas, des fragments d'histoires qui n'avaient aucun sens.

Peut-être qu'Andros voulait justement qu'on s'inspire de ce genre de choses.

Le parc était calme en ce début d'après-midi. L'air sentait la terre humide et la sève. Quelques joggeurs passaient sur les sentiers, des familles poussaient des poussettes près des étangs. Rien de bien sacré là-dedans.

Plus je m'enfonçais dans les bois, plus l'ambiance changeait.

Le chemin que je suivais s'appelait la Route des Sources. Un sentier qui serpentait entre des rivières aux eaux cristallines, bordées de pierres lisses et de mousse épaisse. Comme si les randonneurs, les promeneurs, les bruits de la ville ne l'atteignaient jamais vraiment.

Je serrai les dents en passant devant la piscine. Encore. La voir me donnait envie de vomir.

Je crispai mes doigts autour de la lanière de mon sac et me forçai à fixer droit devant moi. Un pas après l'autre.

Après quelques minutes de marche, je tombai sur une grande carte en bois, plantée au bord du chemin. Une flèche indiquait la Route des Sources, longeant les rivières et traversant les sous-bois.

D'après Alex, la grotte était classée, un véritable site sacré.

Je n'avais aucune idée de ce que ça voulait dire. Un ancien temple ? Un lieu de culte oublié ?

Je suivis le sentier pendant un moment, le bruit de l'eau ruisselait, il m'accompagnait. À un embranchement, le chemin se divisait en deux. À droite, le sentier continuait en douceur, longeant la rivière. À gauche, un vieux pont de pierre, envahi par la mousse, enjambeait le cours d'eau.

Son arche voûtée déformée par les siècles.

Des lieux de passage.

Je m'avançai, posant le pied sur la pierre humide.

Je pris une inspiration et traversai.

La grotte surgissait du sol. Son entrée était sculptée dans la roche en une silhouette humanoïde nue, courbée comme si elle portait le poids de la terre sur son dos. Ses traits, usés par le temps et la pluie, semblaient presque souffrants.

Je levai mon appareil photo et capturai quelques clichés, avant de franchir le seuil.

L'intérieur était plus sombre que je ne l'avais imaginé. L'air y était frais, légèrement humide. J'activai le flash de mon téléphone et balayai les murs du regard.

Des dessins s'étendaient en fresques irrégulières, tracées à même la pierre. Des formes étranges, des créatures aux membres allongés, aux yeux creux.

Mon regard s'attarda sur l'un d'eux : un Errant.

Je sentis un frisson me parcourir l'échine. Qui avait dessiné ça ? Pourquoi ici ? Et surtout... qu'est-ce qui rendait cet endroit sacré ?

J'avançai, captivée, cependant un bruit me stoppa net.

Une respiration.

— Il y a quelqu'un ? demandai-je en plissant les yeux dans l'obscurité.

Soudain, une lumière m'aveugla. Je levai le bras pour me protéger.

— Oups, désolée, j'éteins ça !

La voix était féminine. Une silhouette se dessina dans la pénombre.

Je plissai les yeux pour mieux la voir : peau pâle, yeux gris-bleu, un regard fatigué et mélancolique. Elle avait une allure absorbée dans un monde que je ne comprenais pas.

— Redésolée... Elle ralluma son flash. Sur moi. Tu es Esme, s'écria-t-elle. Je ne pensais pas que quelqu'un de sensé viendrait ici après ce qu'il s'est passé...

Je grognai.

— Contente de savoir que seul un fou s'aventure dans cette grotte.

— Oh, je ne voulais pas dire ça comme ça ! bafouilla-t-elle. C'est juste que... la grotte est proche de la piscine. Plus personne ne traîne dans ce coin depuis... enfin, ils disent que l'esprit de Yuma rôde.

Je haussai un sourcil.

— Et toi, tu n'as pas peur ?

Elle haussa les épaules.

— J'ai pas peur de grand-chose... sauf de la nuit noire. Ou de l'obscurité de cette grotte. Elle hésita. Mais croire à un fantôme, c'est ridicule. Les fantômes n'existent pas. Les esprits, les entités, oui. Mais si Yuma devait hanter cet endroit, il aurait fallu qu'il soit devenu autre chose.

Je ne savais pas quoi répondre à ça.

— Y'a quoi au fond ? demandai-je.

— La grotte continue sur plusieurs mètres. Les murs sont couverts de représentations de l'Entremonde. Avant, les habitants venaient ici pour méditer et raconter son histoire.

— Tu as l'air de bien connaître le sujet.

— Oh... merci ! Si ça ne te dérange pas, je retourne dehors.

Je hochai la tête et la suivis sans hésiter.

— Au fait, comment tu t'appelles ?

— Charlie. Elle marqua une pause. Je suis dans ta classe, mais... pas grand monde me remarque.

J'échappai un sourire ironique.

— J'aurais aimé ça, à mon arrivée. Sauf qu'il y'a pas beaucoup de nouveaux, donc c'est difficile de passer inaperçu.

On émergea de la grotte et la lumière du jour me fit plisser les yeux. Je détaillai un peu mieux Charlie : des cheveux roses, un style bohème et witchy, des vêtements amples superposés, des bagues et des bijoux faits main.

— Si tu veux, on peut bosser ensemble pour l'exo. Puisqu'on a le même lieu sacré.

Charlie me regarda comme si c'était la première fois qu'on lui proposait un truc pareil. Elle hésita.

— Sinon, je peux me débrouiller, hein. C'était juste histoire de passer du temps avec quelqu'un de mon âge. Vu toutes les accusations qu'il y a sur moi, je comprendrais si tu préfères éviter.

— Oh non, au contraire. Un sourire en coin lui échappa. Avant ton arrivée, c'était moi la folle du village !

Je haussai un sourcil.

— C'est vraiment des imbéciles.

J'avais lâché ça sans réfléchir. Charlie me regarda avec surprise, avant de sourire franchement cette fois.

— On pourrait aller à la bibliothèque de Brisefort. Y'a pas mal de bouquins sur la grotte.

— Bonne idée.

À peine avais-je répondu qu'un sifflement nous fit sursauter.

Des cailloux roulèrent sur le sommet, soulevant un nuage de poussière.

On recula d'un pas.

Une voix moqueuse s'éleva au-dessus de nous.

— T'es vraiment partout, toi.

Je levai la tête.

Erden était assis sur le sommet de la grotte, un sourire amusé sur les lèvres. Il sauta avec une souplesse nonchalante et atterrit à quelques pas de nous.