Fyctia

- Le Seylar, commença-t-il, c'est une croyance ancienne. Un mélange entre chamanisme et animisme. Certains pensent que c'est juste du folklore, d'autres y croient profondément.

Je fronçai les sourcils.

- Et toi ?

- Moi ? Je suis né dedans. Pour les gens normaux, tout ça reste flou, reprit-il. Ils ressentent des choses, mais ne savent pas si c'est réel ou psychologique. Pour l'Entre-Monde, c'est plus structuré. Il y a des règles, des rituels, des invocations, des protections.

Il marqua une pause, puis poursuivit, d'une voix plus posée.

- Il y a trois grandes manifestations qu'on reconnaît :

1. Les Esprits vagabonds ou les entités élémentaires. Ils sont invisibles, mais influencent les émotions et les pensées. Parfois, tu ressens une angoisse soudaine, une euphorie inexplicable. C'est eux.

2. Les Entités Primordiales. Des créatures anciennes, liées aux lieux et aux catastrophes passées. Certaines protègent, d'autres détruisent.

3. Les Possessions et Malédictions : Certains humains deviennent des hôtes involontaires. Ça peut mener à des meurtres, des disparitions...

Un frisson me traversa.

- Tu dis ça comme si c'était normal, murmurai-je.

- Parce que ça l'est.

Il planta son regard dans le mien.

- Tu es au seuil d'un monde qui ne fonctionne pas comme le tien, Esme. Soit tu continues à poser des questions, soit tu fermes les yeux et tu fais semblant de ne rien voir.

J'eus un rire sans joie. Alors je devais faire quoi ? Continuez à fermer les yeux ? Ou risquer ma peau si je tombais sur une entité malfaisante ?

- T'as pas l'air du genre à donner des réponses, de toute façon.

- C'est parce que les réponses, tu dois les trouver toi-même.

Il me jaugea avant de répondre.

- Tu ressens un lien avec la nature, hein ?

Je hochai la tête. Ce n'était pas juste une impression, c'était une certitude. Parfois, le vent portait des murmures. Parfois, les feuilles frémissaient pour me répondre.

- C'est normal, reprit-il. Les éléments servent de récepteurs à l'Entre-Monde. Plus une personne est sensible à un élément, plus elle perçoit cette autre réalité.

- Ça veut dire quoi, exactement ?

- Que chaque élément influence la manière dont on interagit avec l'Entre-Monde. Mais aussi que personne ne peut le voir dans sa totalité.

Je plissai les yeux.

- Comment ça ?

- Chaque personne est liée à un seul élément, et elle ne peut pas en percevoir un autre. Ça veut dire que la vision de l'Entre-Monde est toujours fragmentée. Un lien avec l'eau ne te donnera jamais accès à ce que ressent quelqu'un lié au feu. Deux personnes peuvent parler du même lieu, mais elles ne le vivront jamais de la même façon.

- Donc... personne ne sait à quoi ressemble vraiment l'Entre-Monde ?

- Exactement.

Je laissai l'information s'ancrer en moi.

-... les entités ? Elles ne sont pas limitées, elles.

Un léger sourire passa sur son visage.

- Non. Elles peuvent se montrer à qui elles veulent.

Donc, l'Errant que j'ai vu hier soir, avait décidé de se montrer...

L'écran de la télé grésillait derrière moi, et projetait des éclats bleutés sur les murs de la cuisine. Une canette roule sur la table quand je bougeai le coude. Alex rigolait toute seule devant son émission. Kiran, lui, farfouillait dans une boîte cabossée sur une étagère trop haute.

Le bruit métallique s'arrêta. Il sortit une feuille jaunie, la tourna entre ses doigts. Puis il me la tendit, ses yeux sombres fixés sur moi.

- Si tu veux vraiment comprendre l'Entre-Monde, prouve-le.

Je la pris du bout des doigts. Du papier épais, rugueux sous la pulpe. Un texte en lettres denses, délavées par le temps. Rien de spécial.

Je relevai la tête.

Le silence se remplit du bourdonnement du frigo. Une odeur de pizza refroidie traînait dans l'air.

Je plissai les yeux, retournai la feuille. Mon ventre se serra. C'était un test. Un test. Une impasse ?

Un frisson glissa contre ma joue... léger, fugace. La feuille trembla.

Mes doigts se crispèrent. Pas à cause de moi. Elle frissonnait seule.

J'appuyai plus fort, mes paumes se réchauffèrent. Le papier pulsa entre mes mains. Un souffle m'effleura les cils.

Je fermai les yeux.

Quand j'ouvris à nouveau les yeux, elles étaient là.

Des runes, en bordure du texte, gravées, vacillaient, disparaissaient et revenaient au rythme de ma respiration.

Je relevais la tête vers Kiran. Son expression avait changé. Plus de doute, plus de scepticisme.

Il referma lentement la boîte en métal, pivota vers un autre placard, en tira un carnet épais, marqué par le temps. Il le posa devant moi, glissa la main dessus une seconde de plus, puis recula.

- Si tu veux en apprendre plus, commence par ça.

Le cuir sous mes doigts était rugueux, usé. C'était une sorte de grimoire ? J'ai toujours voulu ça.

Maintenant que je l'ai... une étrange appréhension me serrait la poitrine.

Je venais de franchir un cap. Un point de non-retour.

Derrière nous, Alex changea de chaîne, l'image clignota sur les murs. Sa voix marmonna quelque chose, un bruit de chips écrasées.