Ner_or Outburst Chapitre 10.1 - La Bouée

Chapitre 10.1 - La Bouée

Le Port de Brisefort


Alex m'avait dit qu'elle voulait me changer les idées. Je ne savais pas trop pourquoi elle pensait que j'en avais besoin, mais je l'avais suivie quand même.


On descendit à pied jusqu'au port, longeant les ruelles en pente où les vieilles maisons de briques et de bois s'entassaient les unes sur les autres. L'air sentait le sel et le poisson grillé, et sous nos pas, les pavés irréguliers luisaient de l'humidité du matin. Les enseignes sculptées, les volets usés, les ruelles étroites qui s'ouvraient sur des places cachées...


- Tu sors de ta grotte, c'est bien, lança Alex en marchant devant moi, les mains dans les poches.


Je ne relevai pas. Heureusement elle ne savait pas que j'étais retournée a la piscine...


On atteignit le marché du port, un labyrinthe de stands où les gens vendaient du pain de seigle, des fruits confits et du poisson frétillant. Je n'avais pas spécialement faim, néanmoins l'odeur me rappela que je n'avais rien avalé avant de partir ce matin.


- Alors. Comment c'était les cours hier ?


Je haussai les épaules.


- Épuisant. Kiera m'a accusée d'être responsable de la mort de Yuma, finis-je par lâcher.


Alex ne réagit pas tout de suite.


- Et d'autres commencent à dire que je suis folle à cause de mon oncle.


Cette fois, elle s'arrêta net et me regarda.


- Sérieusement ?


Je haussai les épaules, comme si ce n'était pas si grave. En vrai, ça m'avait pesé toute la journée.


- Ces gamins sont cons, dit Alex en reprenant sa marche. Et Kiera, c'est une gamine conne qui a besoin d'un coupable. Ça n'a rien à voir avec toi.


Je savais qu'elle avait raison. Ça ne changeait pas grand-chose.


- Ça finira par passer, ajouta-t-elle.


Peut-être. Ou peut-être pas.


Elle reçut un appel à ce moment-là.


- Attends, dit-elle en s'éloignant sur le ponton.


Je l'observai, adossée à la rambarde, le téléphone collé à l'oreille. Elle riait avec quelqu'un. Un rire léger, détendu. Pendant un moment, elle n'avait plus l'air de s'inquiéter pour moi.


Quand elle revint, elle avait un sourire en coin.


- Viens. Faut que je te présente quelqu'un.


Je fronçai les sourcils.


- Qui ?


- Tu verras.


Elle me fit signe de la suivre. On quitta le marché pour s'engager sur une passerelle en bois qui longeait l'eau. Au bout, il y avait une maison posée sur pilotis, avec une façade en bois gris délavé. Une vieille enseigne pendait au-dessus de la porte : La Bouée.


- C'est quoi, ici ?


Alex ouvrit la porte sans répondre.


- Entre.


La Bouée


L'endroit ressemblait à une ancienne bâtisse de pêche, retapée dans un style industriel. Des murs en briques apparentes, des poutres métalliques, et un grand séjour ouvert, là où ils devaient autrefois trier le poisson. Au-dessus, un étage vitré donnait sur ce qui devait être d'anciens bureaux. Sur le côté, deux pièces : l'une ouverte sur une cuisine, l'autre probablement une chambre.


- Fais pas attention au bordel, lança Alex en se débarrassant de sa veste.


Je notai que, contrairement à ce qu'elle disait, l'endroit était plutôt bien rangé.


Un homme était assis sur le canapé, un carnet ouvert sur les genoux, un crayon entre les doigts. Il leva à peine les yeux quand on entra, se contenta d'un regard bref avant de reporter son attention sur ses notes. Il avait les cheveux blonds en bataille, une barbe courte, et des traits marqués par la fatigue.


- Kiran, dit Alex en s'avançant vers lui. Je te présente Esme, ma nièce.


Il posa son carnet sur la table basse et m'observa un instant. Son regard était pas intrusif. Il avait cette manière d'évaluer les gens sans en avoir l'air.


- Salut, dit-il simplement.


- Salut.


- Kiran est un Seylar, annonça Alex après quelques banalités.


Un silence s'installa, seulement troublé par le bruit lointain des vagues et... de la musique. Une mélodie flottait depuis une pièce à l'arrière, un air mélancolique joué à la guitare.


- C'est qui ? demandai-je en désignant la direction du son.


- Mon frère, répondit Kiran en haussant les épaules. Il joue souvent.


Je n'ajoutai rien. Son ton ne laissait pas place aux questions.


Alex se laissa tomber sur le canapé à côté de lui, tandis que je restais debout, un peu en retrait.


Kiran leva les yeux vers moi.


- Depuis combien de temps tu perçois l'Entre-Monde ?


- Toujours, finis-je par répondre.


Il hocha légèrement la tête, comme s'il s'attendait à cette réponse.


- Mais tu ne sais pas comment t'y connecter, ajouta-t-il.


- Je ne veux pas m'y connecter.


Un sourire effleura son visage.


- Si c'était vrai, tu ne serais pas là.


- J'espère que t'as pas prévu de me faire la morale sur ce que je dois faire ou non avec mon lien. Ma mère m'a déjà réprimandé et carrément interdit de m'intéresser à l'entre-monde.


Un sourire en coin passa sur son visage.


- Pas mon style.


- C'est quoi ton style, alors ?


- Te guider pour que tu fasses tes propres choix.


La musique continuait, insidieuse, remplissant les blancs de la conversation.


- Tu es au seuil d'un monde qui ne fonctionne pas comme le tien, Esme. Soit tu continues à poser des questions, soit tu fermes les yeux et tu fais semblant de ne rien voir.


J'avais le choix.


Je sentais mon cœur cogner dans ma poitrine.


J'avais grandi avec ces histoires. Celles que ma mère me murmurait tard le soir, celles qu'elle me laissait entendre juste assez avant de me dire qu'il fallait les oublier. "On ne vit plus à une époque où ça sert à quelque chose", répétait-elle. "Ça ne t'apportera que des problèmes."


J'avais voulu la croire.


J'avais essayé.


Comment pouvais-je ignorer quelque chose que je sentais tout autour de moi ? Et surtout après ce qu'il s'était passé ces derniers jours.


- Y a des toilettes ? demandai-je finalement.


Kiran m'indiqua une porte au fond du couloir. Je traversai la pièce, en passant devant la chambre d'où venait la musique, je ralentis. La porte était entrouverte.


À l'intérieur, assis sur un lit défait, une guitare entre les mains, il y avait un garçon.


Ses cheveux noirs tombaient sur son visage, masquant presque entièrement ses yeux. Il jouait sans regarder, ses doigts effleuraient les cordes avec une aisance absurde. Il avait l'air ailleurs.


Nos regards se croisèrent à travers l'entrebâillement de la porte.


Il s'arrêta net. Ses doigts figés sur les cordes, son corps tendu telle une bête acculée.


D'un geste brusque, il se leva et referma la porte, le claquement résonna dans le couloir.


Mon cœur fit un bond dans ma poitrine.


Qu'est-ce qu'il foutait là ?


Tout s'imbriqua d'un coup.


Ils se ressemblaient. Pas physiquement - pas assez pour que ça saute aux yeux - mais dans leur façon de se tenir, dans cette même énergie en retrait, cette façon d'observer sans se livrer.


Kiran était le frère d'Erden.


Et Erden était le frère de Kiran.


Ce dernier s'adossa au mur et croisa les bras.


- Ne fait pas attention à lui. Mon frère est, dirais-je, timide.


Visiblement, cet homme aimait alléger les propos pour qualifier Erden.



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1 commentaire

NohGoa

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Il y a 6 jours

Night Like :-D
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