Ner_or Outburst Chapitre 9 -Le Errant

Chapitre 9 -Le Errant

Le vent rasa le sol tel un prédateur en chasse. Une bourrasque soudaine fouetta la surface vide de la piscine. L'onde s'éleva, tourbillonna, puis s'affaissa aussi vite qu'elle était apparue.


Erden soupira.


— Tu comptes te cacher encore longtemps ?


Je me tassai contre le mur. Il n'avait pas tourné la tête, mais sa voix ne laissait aucun doute.


— Je pensais être le seul à revenir ici.


Il s'interrompit brusquement.


Un courant d'air glissa entre nous, plus précis telle une pensée souffée. Erden tourna la tête, il écoutait quelque chose à coté lui. Son poing se crispa.


— Laisse tomber.


Ce n'était pas juste une façon de s'adresser à Yuma, enfin au début si. Après, lorsqu'il s'était levé, il écoutait. Il répondait. À qui ?

J'avais toujours perçu l'Entre-Monde, d'une sensation fugace,  ou un frisson qui parcourait ma peau sans jamais se montrer. Quelque chose d'impalpable, d'instinctif. Là, c'était différent. Ce n'était plus une simple présence. C'était une interaction.

Je pensais que le lien se résumait à ressentir les éléments, sauf que là, il communiquait carrément avec quelque chose.

J'avais grandi avec l'idée qu'il était là, tapi dans l'ombre du réel, que certains étaient plus sensibles à lui que d'autres. Jamais je n'avais imaginé qu'on puisse réellement lui parler. Encore moins qu'il puisse parler en retour.


Est-ce que c'était... un esprit ? Une entité ? Une chose que je n'avais pas encore appris à percevoir ? J'avais tant de questions. Et Erden n'avait pas l'air effrayé, il acceptait cette présence comme si elle faisait partie de lui.


J'étais une feuille portée par le vent, incapable de le saisir, seulement d'en ressentir la caresse. Mais lui... il pouvait tendre la main et le tordre à sa volonté.


Erden et moi étions liés au même élément. Il percevait l'Entre-Monde comme moi, et pourtant, il le comprenait mieux. Il l'utilisait.


Alors... s'il pouvait interagir avec ça...


Est-ce qu'il pouvait me sentir, moi aussi ?


La distance entre nous me parut plus mince. L'idée qu'il puisse savoir que j'étais là, cachée, en train de l'épier, me rendit soudain nerveuse. Et si l'Entre-Monde l'avait déjà prévenu de ma présence ?

Les gravillons crissèrent sous mes semelles alors que je me précipitai vers la sortie de la piscine. Pourquoi j'avais fait ça ? Pourquoi j'étais venue ici seule ?


Un claquement retentit.


Juste à côté.


Je tournais la tête.


Un être flottait au-dessus du sol. Un corps fin, léger, maintenu en équilibre sur un simple bâton de bois. Sa peau avait la teinte profonde de l'améthyste, ses longs cheveux noirs s'effilochaient dans l'air comme des volutes de fumée.

Je reculais d'un pas, puis d'un autre— Et je me heurtais à quelque chose. Non. À quelqu'un. Mon souffle se bloqua.


Erden.


Bras croisés, silhouette plantée devant moi, il me toisa, le regard aussi tranchant que l'air qu'il manipulait.


—  Sérieusement ? Tu pensais partir comme ça ? 


Je pivotais à nouveau, cherchant un moyen d'échapper à cet entre-deux oppressant. L'être sur son bâton s'inclina légèrement sur le côté, comme s'il lisait dans mes pensées. Il vibrait d'une énergie étrange, suspendu comme une feuille qui refuse de tomber.


— T'as pas autre chose à faire que de jouer les espionnes ? 


Mon estomac se noua. Qu'est-ce que je redoutais le plus : l'être spectral qui m'observait encore ou l'intensité du regard d'Erden ?


— T'es qui, au juste ? 


Ma voix vacilla, néanmoins je ne détournai pas les yeux.

Erden esquissa un sourire sans chaleur.


— C'est plutôt à toi qu'il faudrait poser la question. 


— C'est quoi ça ? Disai-je en pointant la créature du doigt.


— Donc, si tu le vois, tu affirmes enfin que tu es une seylar... mais pas une seylar très futée pour ne pas savoir reconnaitre un errant.


L'Errant, toujours perché sur son bâton, balança la tête sur le côté. Son masque rouge me jugeait en silence. Moi, une seylar ? J'étais loin d'appartenir à ces croyants de l'entre-monde. Est-ce qu'ils pourraient m'éclairer sur ce qui aurait causé la mort de Yuma ? Surtout si c'était un Errant ou quelque chose du genre qui l'avait...


— Dis-moi que c'est pas une de ces choses qui a tué Yuma. 


— Hum... T'es plus maligne que t'en as l'air. 


Il ne niait pas. Et ça ne me rassura pas.


— Pourquoi t'es là, ce soir, toute seule, dans un endroit où personne ne traîne. Que tu savais déjà que quelque chose clochait avec cette piscine.  Il inclina la tête, ses yeux plissés, comme s'il essayait de me décoder. Pourquoi t'es venue ? 


Il me renvoyait la question que je voulais lui poser. Je déglutis. J'aurais dû y réfléchir avant de me jeter dans cette situation.


— J'ai voulu voir... Je cherchais mes mots. Si quelque chose... restait ici. 


Erden ricana un peu moqueur.


— Et t'as trouvé quoi ? 


J'hésitais.


— Toi. 


Son expression se figea une fraction de seconde, puis son sourire revint. Moins amusé, plus méfiant.


— Mauvais timing, alors. 


L'Errant descendit lentement de son bâton. Ses pieds touchèrent à peine le sol, en suspension. Je détestais à quel point tout ça me paraissait irréel. J'ai grandi avec l'idée que les éléments étaient liés à notre famille, que j'étais la seule à pouvoir encore ressentir certaines choses parce que ça c'était perdu avec des générations. En réalité ça dépassait tout ce que j'avais imaginé.


— Yuma était ton ami, non ?


Juste un rictus, à peine perceptible.


— T'étais à la fête cette nuit-là. Tu savais qu'il était là, et maintenant je te trouve ici, en train de parler tout seul. Je pointe du menton l'Errant, toujours immobile à côté de lui.  Et... À ça. 


J'aperçus les jointures de sa mâchoire se serrer.


— Et alors ? 


— Alors, t'as sûrement des choses à dire.


— Tu fais quoi, exactement ? Tu crois que t'es une détective ? 


— J'essaye juste de comprendre ce qui s'est passé. 


Son regard s'enflamma, je ne reculai pas.


— Et t'as besoin de moi pour ça ? Tu connais même pas Yuma. Tu connais personne ici. 


Il avait raison.


— Peut-être. Mais toi, tu le connaissais. Et tu te retrouves sur la scène de sa mort, en pleine nuit, à lui parler. 


— T'as rien à faire ici. 


— Toi non plus. 


— T'as pas envie que je te pose de questions. Sauf que je ne te laissera pas tranquille avant d'avoir mes réponses.


Il leva les yeux au ciel et souffla, agacé.


— Ce que j'ai pas envie, c'est d'avoir une fouine dans les pattes. 


— Tu veux pas que j'enquête sur Yuma. Pourquoi ?


— Parce que vous comprenez rien ! 


Sa voix résonna dans l'espace vide de la piscine. C'était qui ce "vous" qu'il répétait sans cesse. Il me rangeait dans une case de personne que je n'arrivais pas à identifier.


— Vous arrivez, vous posez vos petites théories, vous fouillez dans ce qui vous regarde pas, et au final, vous foutez juste plus le bordel. Yuma est mort, c'est tout. 


Il me fusilla du regard.


— Lâche l'affaire.


Il pivota sur ses talons et s'éloigna, l'Errant le suivit. Ce qu'il venait de faire, c'était exactement l'inverse : il venait de me prouver qu'il y avait quelque chose à trouver.

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1 commentaire

loup pourpre

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Il y a 7 jours

Tout est liké sur ton histoire. N’hésite pas à venir sur mon histoire de Noël : Mon copain, le ragondin
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