Fyctia
Chapitre 7 - Les accusations
Je pourrais prétexter un mal de tête, une nausée. Mais si je restai ici, ce sera pire. Je ne voulais pas rester seule, isolée avec mes propres pensées. Quand Alex vint me chercher, j'étais déjà prête. Vaguement. Un pull informe, un jean. Juste de quoi être présentable. Ma tante m'accompagna jusqu'à la voiture. Elle n'arrêtait pas de parler.
— Ça fait du bien de garder un peu de normalité, pas vrai ? Retourner en cours, voir du monde. La vie continue, même si... enfin, tu vois...
Elle ne termina pas sa phrase. Personne ne voulait prononcer son nom. Pas meme le flic en charge de l'affaire. Il avait appeler ce matin, sa mort avait été classé.
"Après une enquête approfondie et l'analyse des éléments disponibles, nous avons conclu que le décès de... la victime est dû à un accident. Les résultats de l'autopsie et des analyses toxicologiques indiquent un taux d'alcoolémie élevé, ce qui a probablement entraîné une perte d'équilibre et une chute dans l'eau. Aucune trace de lutte, d'agression ou d'intervention extérieure n'a été relevée.
Nous comprenons que cette conclusion puisse être difficile à accepter, mais tous les éléments de l'enquête concordent vers une issue accidentelle. L'affaire sera donc classée sans suite, faute d'éléments indiquant un acte criminel.
Si vous avez des questions ou si vous souhaitez consulter le dossier, nous restons à votre disposition."
Après ça il avait raccroché. Chayton Fox ignorait la présence de l'entité sur le lieu, comment lui blamer son incompétence à percevoir l'entre-monde ? Combien de gens étaient décédés à cause d'elle ? Je repensai à la soirée, Yuma l'avait aussi senti, cette chose dans l'eau.
La voiture ronronna. Je regardai par la fenêtre, les rues de l'île défilaient, lugubres, le ciel orageux accentuait l'ambiance funeste.
Quand on arriva devant l'établissement, elle me jeta un regard dans le rétroviseur.
— Tu verras d'ici quelques temps, se sera de l'histoire ancienne.
Je hochai la tête sans y croire et sortai de la voiture. Ses yeux me suivirent en silence.
L'air sentait la terre mouillée et le sel. Sous mes chaussures, le sol céda légèrement, gorgé d'eau. Chaque pas laissait une empreinte sombre qui s'effaçait sous la fine pluie.
Des silhouettes se resserrèrent autour de Kiera. Son visage était caché dans ses mains. Un sanglot discret secoua ses épaules. Elle releva la tête. Son regard me trouva aussitôt. Les voix se taisèrent. Même la pluie sembla suspendre son martèlement un instant.
Un coup de tonnerre éclata au loin.
Kiera se retira d'un bond, le souffle court. Ses yeux rouges, gonflés, brillaient d'une intensité nouvelle.
— Qu'est-ce que tu fous là ?! elle s'approcha. Il était bourré, il est tombé, il s'est noyé. C'est ça qu'on dit, hein ? Mais toi... toi, t'étais là. Il n'avait bu qu'un verre ! hurla-t-elle. C'est bizarre, non ? Une nouvelle qui arrive, et le lendemain, il y a un meurtre !
Une rafale s'engouffra dans la cour.
— C'est peut-être elle...
— T'abuses, Kiera, c'était un accident, murmura une fille à côté d'elle.
— Un accident ?
Elle parlait suffisamment fort pour que tout le monde l'entende.
Je fis mine de ne pas réagir.
— Tu crois qu'elle s'en veut, au moins ? lança Kiera, la voix tremblante de colère.
Les murmures redoublèrent.
Son bras bougea vers moi. Je reculai d'un pas, mais trop tard. Ses mains s'abattirent violemment contre mes épaules. La boue se déroba sous mes pieds. Le choc froid, humidifia mes vêtements déjà trempés. Mes paumes s'écrasèrent contre le sol détrempé, mon souffle se coupa une seconde. Autour de moi, les voix bourdonnaient, indistinctes.
Un frisson traversa l'air.
Puis une main surgit dans mon champ de vision.
Grande, fine, des gouttes de pluie coulaient le long de ses doigts ou restaient bloqués à cause des bagues.
Mon regard contrepassa la pluie et la fatigue, pour distinguer celui qui m'aidait.
Erden.
Il se tenait là, sous la pluie battante. Ses mèches collaient à son front, ses yeux étaient sombres, indéchiffrables.
— Relève-toi, dit-il d'une voix neutre.
Je n'hésitai pas et j'attrapai sa main, la chaleur de sa peau contrastait avec l'eau glacée qui imbibait mes vêtements.
Il me releva sans effort avant de se tourner vers Kiera qui le dévisageait sans comprendre l'attitude d'Erden.
— T'as un problème ? cracha-t-elle.
— Ouais, répondit-il, impassible. J'ai un problème avec les gens qui s'acharnent sur quelqu'un juste parce qu'ils ont besoin d'un coupable... Ça suffira pas.
Sa voix basse traversa la foule comme un coup de vent.
— C'est pas comme ça que tu le ramèneras.
L'orage gronda au loin.
Autour, personne ne bougea.
Les doigts d'Erden se refermèrent légèrement sur mon bras, il m'entraîna hors du cercle, laissant derrière nous le bruissement des regards. Il marcha vite jusqu'à l'intérieur, puis ralentis, ses yeux glissèrent vers mon bras qu'il tenait toujours, et le lacha brusquement avant de partir.
— Attends.
Il s'arrêta sans surprise et me jeta un regard en biais.
— Quoi ?
J'avais envie de le remercier, cependant son expression me fit ravaler mes mots. Il avait l'air... agacé.
— Pourquoi t'as fait ça ? demandai-je à la place.
— Kiera dépassait les bornes.
— C'est tout ?
Il y eut une légère pause. Son regard scruta le mien, comme s'il cherchait quelque chose.
— T'étais où, pendant la fête ?
— Hein ?
— La nuit où Yuma est mort. T'étais où, exactement ?
— Pourquoi tu me demandes ça ?
— Parce que toi aussi, t'as l'air de te poser des questions.
Il savait quelque chose. Ou alors, il cherchait à confirmer un doute.
— J'étais dehors, répondis-je finalement.
— Toute la soirée ?
— Presque.
— Il y avait du monde, dehors ?
— Pas vraiment. Les gens préféraient rester près de la musique, ou à l'intérieur.
Erden passa une main dans ses cheveux trempés. Il s'arrêta à quelques pas de moi et me détailla de haut en bas.
— Moi, j'étais au vestiaire, souffla-t-il.
Je le savais déjà.
— Et ?
— Et t'as rien senti ?
Un frisson me traversa l'échine. Donc, lui aussi l'avait senti ?
— Sentir quoi ?
Il ricana d'un son amer et bref.
— Tu mens mal. Tu vas faire comme si de rien n'était ?
— Qu'est-ce que tu veux que je dise ?
Son irritation éclata.
— Que je suis pas fou. Que j'ai pas rêvé. Que ce putain d'air, ce putain de silence... tu l'as senti aussi.
Il me défia du regard, attendant une confirmation. Une preuve qu'il n'était pas seul à avoir ressenti cet instant de flottement, ce moment où le monde avait basculé d'un millimètre sur son axe.
Je serrai les bras contre moi. Le froid paralysait mon corps. Une flaque d'eau se formait sous mes pieds à mesure que le temps passait.
— J'sais pas.
— J'sais pas. Bien sûr que tu sais.
Il recula encore d'un pas, puis se détourna.
— Oublie. C'est toujours comme ça avec vous.
Comment ça ? De qui parlait-il ? Il avait dis ça avec mépris, il me connait meme pas.
— Vous ?
Mais il s'éloignait déjà, mains enfoncées dans les poches, épaules crispées.
— Va te faire foutre, Esme.
Ce gars était fou.
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