Fyctia
Chapitre 5.3 - La voix
Je me retrouvai dans un petit passage extérieur, faiblement éclairé. Le sol était un pavé de pierres irrégulières, et les murs de l'ancien bâtiment, recouverts de lierre, formaient un écrin isolé. De l'autre côté, je vis un bassin fermé, une piscine abandonnée, entourée de végétation.
Attirée par cet endroit tel un aimant invisible, je m'avançai, les pas incertains. Je me forçai à respirer profondément, l'air redevint dense, suffocant. Que se passait-t-il ?
— approche...
Un appel. Il résonna dans mon esprit. Je m'arrêtai net, le cœur battant. Il n'y avait pourtant personne. Le sol sous mes pieds vacilla, le monde autour de moi se déforma.
L'appel insistait, il venait de la piscine fermée devant moi. Mes doigts s'agrippèrent à la porte. Je ne controlai plus mon corps, il avançait hors ma volonté.
Mes jambes ne m'obéissèrent plus. Je fis un autre pas, après un autre, jusqu'à ce que mes pieds effleurèrent l'eau glacée de la piscine.
Violemment, un bras ferme saisit le mien et me tira en arrière.
— Cours !
La commande, autoritaire, me fit l'effet d'un electro-choc. Je n'eu même pas le temps de réagir. Avant même que je comprenne ce qui se passait, je me retrouvais propulsée vers l'entrée, mes pieds glissèrent sur le pavé irrégulier.
Mes jambes ne suivirent pas assez vite, et la personne qui m'avait attrapée ne ralentissait pas. On arriva à l'accueil en quelques secondes, essoufflés. Je me tournai, mais je n'eu pas besoin de poser la question pour savoir qui c'était. Yuma. Il me lâcha enfin, me laissa reprendre ma respiration, cependant il garda un regard furtif, inquiet, presque sévère.
— Mais... qu'est-ce que c'était ? Je demandai, ma voix un peu tremblante. Le doute me rongeait, je ne compris toujours pas ce qui m'arrivait, ni ce que je venais de ressentir.
C'était l'entre-monde, j'en étais sûre mais il n'était pas celui que je connaissais.
Il me regardait sans répondre, un air qui ne lui ressemblait pas. Pas le Yuma jovial et enjoué. Un voile sombre s'était posé sur ses traits.
— C'était rien. Il parla d'une voix basse.
Je le scrutai, insistante. Je n'y croyais pas. Ce n'était pas rien. C'était... une sensation trop intense pour être ignorée. L'appel. Ce que je ressentai depuis que j'ai franchi cette porte. Ce n'était pas normal.
— Non... ce n'est pas rien, Yuma. Qu'est-ce qui se passe ?
Il évita mon regard, un silence lourd entre nous. Il cherchait ses mots, mais rien ne sortit. Finalement, il poussa un soupir, agita la tête, les sourcils froncés.
— Esme, arrête. Sa voix était plus grave. C'est rien. Vraiment.
Son ton n'était plus celui de l'ami prêt à plaisanter, à faire en sorte que tout aille bien. Ce n'était plus qu'une demande, un ordre presque, de ne pas insister. Comme s'il ne voulait pas que je creuse plus loin.
— Retourne à la fête.
Je voulais poser encore plus de questions, insister, cependant il y avait quelque chose dans son regard qui m'arrêta. Quelque chose d'obscure. Je n'eu pas le courage de briser ce malaise.. Il y avait une tension que je ne comprenais pas, et peut-être qu'il était mieux de ne pas en savoir plus pour le moment. Je détournai finalement les yeux, le cœur un peu lourd. Ce n'était pas "rien", et je le savais. Pour le moment, je n'avais d'autre choix que de le suivre dans ce silence que lui-même refusait de briser.
La fête continua. J'étais assise sur le bord de la piscine, les pieds trempant dans le vide, et mon regard perdu dans la lumière bleutée qui dansait sur les murs. Kiera et Tokela étaient au centre de l'agitation, riaient et se mélangeaient à la foule. Je n'arrivais pas à m'intégrer. Ce qui était arrivé plus tôt, cette montée d'angoisse, la voix... Où était Yuma ? Il n'était nulle part à l'horizon.
Tout à coup, cette voix. Encore. Un murmure derrière mes oreilles, si proche que ça en devint très vite insupportable.
— Reviens.
J'eu à peine le temps de réagir. La panique m'envahit. Mon cœur se serra, ma respiration s'accélèra. Non, non, je ne voulais pas... Mais, mon corps se leva d'un coup. Mes mains tremblèrent, mes jambes flanchèrent.
Je retournai là-bas, sans réfléchir, vers le passage extérieur, là où ce truc qui m'attirait. Cette vibration était encore présente dans l'air, presque tangible. Ça m'engloutit.
Rapidement, je débouchai dans l'autre bassin, celui qui était le plus éloigné de la fête.
Et là... là, ce fut l'horreur.
Mes jambes s'arrêtèrent, le souffle court. Mon cœur se bloqua dans ma poitrine.
Il était là, au fond de l'eau.
Yuma.
Inerte.
Le temps suspendu. Je vis chaque détail dans un ralenti, chaque seconde s'étira, mon esprit refusait de croire ce qu'il y avait devant ses yeux.
L'eau autour de lui était d'une couleur sombre, d'un rouge qui combattait la lumière froide du lieu, un rouge presque noire. Son corps flottait, ses bras étaient étendus de chaque côté, sa tête penchée en arrière. Ses traits inanimés. Ses cheveux se mêlaient à l'eau, et ses yeux étaient ouverts, livides. Le bleu de la piscine reflètait une lumière morbide sur son visage, donnant à tout ça un air irréel. L'image se gravait dans ma mémoire telle une photo, chaque détail, chaque mouvement macabre dans mon esprit. Mon corps se paralysa.
Sauf ma voix alors je hurlais.
Mon cri déchira l'air. Il fut si puissant, si désespéré, qu'il se répèta encore et encore dans mon esprit. Je n'arrivais même pas à croire ce que je venais de voir. Des gens arrivèrent, d'abord confus, puis paniqués. Je les vus, des silhouettes floues dans ma vision trouble. Ils se précipitèrent vers Yuma.
Je restai là, mes yeux rivés sur son corps sans vie.
Kiera arriva en courant, son visage se déforma en une expression de pure terreur lorsqu'elle aperçut son petit ami. Elle cria son nom, presque frénétiquement.
— Yuma !
Elle se précipita vers l'eau, mais Tokela la devança, il plongea sans hésiter dans le bassin. Il nagea vite, ses muscles tendus, comme un sauveteur habitué à l'urgence. Son corps franchit la barrière de sang.
Je restais là, incapables de bouger, tremblantes accrochées à la peau de mes paumes. Je vis les gestes de Tokela, puissants, rapides. Il parvint à saisir le corps de Yuma et commença à le ramener vers le bord.
Une silhouette. Une ombre sombre se déplaça furtivement dans le coin de ma vision. Elle glissa le long du mur, s'approcha d'une porte située dans un recoin de la piscine aussi discrète qu'une brise. Mon cœur s'emballa à nouveau. Un frisson glacial me traversa. J'eu l'impression que l'ombre m'avait vu, qu'elle me surveillait.
Je tournais la tête pour avertir les autres, lorsque je me suis retourné, tout était devenu chaotique. Tokela appelait à l'aide, ses gestes rapides, sa voix tremblante mais autoritaire. Il hurlait, ordonna qu'on appelle les urgences.
Je clignai des yeux, et quand je regardai à nouveau vers la porte, l'ombre avait disparu. Puis les sirènes. Les urgences arrivèrent enfin, les portes s'ouvrirent, et des médecins se précipitèrent autour de Yuma.
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