Fyctia
Chapitre 4 - L'oncle
L'odeur du plat chaud, fraîchement sorti du four, flottait dans l'air. Alex posa le plat au centre de la table avant de s'essuyer les mains sur un torchon.
— Esme, va chercher ton oncle. Il est encore enfermé dans son bureau. Maintenant. Avant que ça refroidisse.
Je traversai le couloir, le plancher craquait sous mes pas. Le bureau de mon oncle était au fond, la porte toujours close. Alors que j'allais frapper, un bruit étrange me fit m'arrêter net. Une sorte de vibration sourde, comme un bourdonnement, suivie d'un grésillement.
— Tsk... Ça ne marche pas.
Hésitante, je toquai.
Instantanément, tout s'arrêta à l'intérieur. La poignée tourna et la porte s'entrouvrit, révélant le visage de mon oncle. Je ne l'avais pas encore vu depuis mon arrivée à Kampos.
Il referma aussitôt la porte derrière lui, sans se retourner, et je remarquai qu'il prit soin de ne pas l'ouvrir davantage, comme s'il voulait cacher ce qu'il y avait à l'intérieur.
Owen me détailla.
— Tu es plus grande que dans mes souvenirs.
— J'avais dix ans, à l'époque.
— Hm. Dix ans... oui, ça remonte.
— Et alors ? Kampos, c'est à ton goût ?
— Je suis arrivée hier...
— Donc pas encore le temps de détester l'endroit. C'est bien, garde l'esprit ouvert. Tu as vu Alex, j'imagine ? Toujours aussi agitée.
— Oui.
— Et ta mère ? Elle s'acclimate bien ?
Il continua de marcher en parlant, ne me laissant pas vraiment le temps de répondre.
— Bon, qu'est-ce qu'on mange ? J'espère que ce n'est pas un de tes essais culinaires, Alex.
Ma tante lui lança un regard noir.
— C'est moi qui ai cuisiné, répliqua Sélène avec un sourire amusé.
— Alors, ça va, répondit Owen en hochant lentement la tête.
Je m'assis, un peu perdue. Mon oncle était... étrange et parlait sans arrêt de son travail qui le passionnait.
— ... Le musée de la ville est notre premier projet, on supervise aussi la restauration de certaines zones plus anciennes. Il y a des sites qu'il faut absolument préserver.
— C'est toi qui gères tout ça ?
Il acquiesça, et but une gorgée de vin.
— Le musée, oui. Et les rénovations. Certaines zones sont classées historiques maintenant, il faut s'assurer qu'elles restent intactes. Elles sont très sensibles...
Sélène savait que je posais des questions sur le comportement singulier de son frère.
Alex avait la tête plongée dans son assiette, les yeux à peine levés pour suivre le fil de la conversation.
— Et toi, Esme, qu'est-ce que tu comptes faire de ta journée demain ? demanda soudainement Owen, me tirant de mes pensées.
Je clignai des yeux, surprise.
— Je... je n'avais pas encore réfléchi. Peut-être explorer l'île un peu plus.
— Fais attention, l'île a une façon de... capturer ceux qui se laissent trop s'y perdre.
Je n'étais pas sûre de comprendre, mais quelque chose dans son regard m'alertait.
— Capturer ?
Il haussait déjà les épaules pour minimiser ses propos.
— Oh, ce n'est rien, juste une vieille expression.
Brusquement, il quitta la table.
— Excusez-moi, j'ai encore quelques affaires à régler dans mon bureau. Bonne soirée, tout le monde.
Je m'apprêtais à reprendre la conversation, sauf que Alex se leva, son regard balayait la pièce comme si elle cherchait une échappatoire. Elle attrapa son sac sur le dos de la chaise.
— Je vais prendre l'air.
Et elle s'éclipsa.
Je restai là, seule avec ma mère. Sélène ne semblait pas affectée par ce qu'il venait de se passer, ou du moins, elle savait exactement comment camoufler son malaise.
— Qu'est-ce qu'elle a ?
Ma mère déglutit.
— Des problèmes d'adultes.
Elle n'avait pas l'air d'avoir l'intention de développer davantage.
Je savais que quelque chose n'allait pas. Quelque chose dans cet endroit. Quelque chose dans cette famille.
Mon téléphone vibrait sans interruption sur ma table de nuit. Encore à moitié engourdie, je tendis le bras et attrapai l'appareil. Une rafale de notifications s'affichait sur l'écran. Ajoutée au groupe WhatsApp du lycée. Je fronçai les sourcils. Qui avait jugé bon de me mettre là-dedans ?
Le nom du groupe, "HorizonS", s'étalait en haut. Entre des mèmes absurdes, des annonces d'événements et des débats inutiles sur le dernier drama en date, une annonce ressortait du lot.
Tokela : Fête ce soir. Ça vous dit ?
Les réponses enthousiastes s'enchaînaient sous son message. Je laissai mon pouce glisser sur l'écran sans vraiment lire, l'idée de me mêler à eux me donnant une sensation étrange. Pas d'excitation, pas de crainte non plus.
L'après-midi, je décidai d'aller au Pegasus Café. Ryan bossait là-bas aujourd'hui.
Le train qui traversait l'île n'était pas des plus fréquents, un passage par heure. Je montai dans un wagon et trouvai une place près de la fenêtre. Ce train était une veine qui reliait chaque zone de l'île.
Je poussai la porte du café. L'odeur du café se mêla à celle du bois ciré et des viennoiseries. Quelques étudiants tapotaient sur leurs claviers, une femme lisait près de la baie vitrée, et derrière le comptoir, Ryan essuyait un verre en discutant avec un client.
Quand il m'aperçut, il leva un sourcil, surpris.
— Esme ? T'es toute seule ?
Je hochais la tête en m'installant sur un tabouret face à lui.
— Ouais. J'avais juste envie de sortir un peu.
Ryan reposa son verre et s'appuya sur le comptoir. Il avait l'air fatigué, ses cheveux gris en bataille plus que d'habitude.
— Alex t'a lâchée, c'est ça ?
— Pas vraiment. Elle est juste... pas rentrée depuis hier.
— Elle bosse à l'hôpital en ce moment. Je sais pas trop ce qu'elle fait, mais c'est du temporaire. Sinon, elle traîne avec son mec.
— Et il est comment, son mec ?
— Il est cool. Un peu overbooké, mais cool.
J'acquiesçai. Je ne savais pas trop ce que j'espérais entendre.
Ses yeux verts me fixèrent un instant, puis il me servit un café qu'il poussa vers moi sans un mot.
— Cadeau de la maison.
Je le remerciai d'un signe de tête et pris la tasse entre mes doigts.
Mon téléphone vibra sur le comptoir. Une notification WhatsApp. Je fis défiler les messages. Tout le monde a l'air d'y aller. Ryan lorgna un coup d'œil à mon écran.
— Intéressant.
— Quoi ?
Il fit un geste du menton vers mon téléphone.
— T'es déjà sur le groupe de l'école. C'est que t'as trouvé ta place, non ?
— J'ai jamais donné mon numéro à personne.
Il fronça les sourcils, avant d'hausser les épaules.
— Bizarre. Mais bon, t'es dedans maintenant.
Je reposai mon téléphone sur le comptoir.
— Tu vas y aller ?
— Et toi ?
— C'est pas trop mon truc, ces fêtes. Trop de bruit, trop de monde.
Ce n'était pas mon truc non plus. J'observai rapidement autour de nous.
— Et le café, c'est pas pareil ?
Ryan sourit en coin.
— Ici, c'est différent. Les gens sont pas là pour faire semblant. Au café, ils lisent, bossent, réfléchissent. Dans une fête, tout le monde joue un rôle. C'est épuisant.
Je pris une gorgée de café sans rien dire. Il avait pas totalement tort. Toujours hésitante, je soufflai sur la fumée qui s'échappait de ma tasse.
— On verra bien.
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