Fyctia
Chapitre 3.2 - Le devoir
Pendant que le professeur d'histoire, Andros, entrait et commençait à préparer son cours, mon regard glissa à nouveau vers Ender. Il était silencieux, presque effacé. Il n'avait pas l'air de se soucier des autres, et pour une raison que je n'arrivais pas à définir, ça me dérangeait. Il y avait quelque chose dans son comportement qui me semblait... décalé.
— Bien, maintenant que les présentations sont faites, commençons, dit Andros.
Léon quitta la salle, me laissa seule face à cette nouvelle réalité.
Le professeur d'histoire, un homme imposant d'une cinquantaine d'années aux cheveux grisonnants, s'approcha du tableau et y dessina un cercle gravé de symboles.
— Qui reconnaît ça ?
Plusieurs élèves répondirent d'une même voix :
— Un Cercle d'Offrande.
Andros hocha la tête.
— Ces cercles, ces sanctuaires, ces bosquets sacrés... Le Seylar n'a jamais eu besoin de temples en pierre. Son essence repose sur le lien entre les gens et l'île elle-même.
Il laissa planer un silence pour nous laisser imprégner l'idée.
— Qu'a-t-il failli arriver lorsque les étrangers sont venus ?
— Ils ont voulu imposer leur religion, répondit Ender du fond de la classe.
— Exact. Pendant des années, ils ont tenté d'effacer le Seylar, de le remplacer. Les autels ont été détruits, les pratiques interdites. Mais au final, ça n'a pas marché. Pourquoi ?
— Parce que les gens ont continué à pratiquer en secret, dit une autre élève.
— Oui. Pas seulement.
Andros croisa les bras et nous balaya du regard.
— Certaines entités n'ont pas supporté cette intrusion.
Le silence dans la classe devint plus lourd. Ils ont tous l'air au courant de ce qu'il raconte.
— Il y a eu... des évènements. Des colons ont disparu. Des camps ont été attaqués. On raconte que des choses sont venues les chercher dans leur sommeil.
Un frisson me parcourut l'échine.
— Ça s'est fini comment ? demandai-je.
Andros prit un air pensif.
— L'Histoire officielle parle d'épidémies, de conflits internes, de désertions... néanmoins, il y a eu une série de massacres. Ce que vous devez retenir, c'est que les colons ont fini par abandonner. Et que le Seylar a survécu.
Il n'ajouta rien de plus.
Après un instant de flottement, il distribua une pile de feuilles.
— Votre exercice : choisissez un site sacré et racontez son histoire. Allez le voir, ressentez-le.
Je pris une feuille en évitant le regard d'Ender.
Quelque chose me disait que cette histoire était loin d'être oubliée.
La sonnerie retentit, marquant la fin du cours. Je laissai échapper un soupir discret en refermant mon carnet. L'histoire de cette île me troublait, mais je n'avais pas vraiment le temps d'y réfléchir.
— C'était intense, pas vrai ? dit Yuma en se tournant vers moi.
Il avait un sourire en coin, l'air détendu malgré l'atmosphère lourde que le cours avait laissée derrière lui.
— Je m'attendais pas à ça pour un premier cours d'histoire, avouai-je.
— Ici, l'histoire, c'est pas juste des dates et des guerres. Ça fait partie du présent.
À peine avions-nous fait quelques pas hors de la salle, que deux personnes se dirigèrent vers nous. Ils avaient une démarche assurée, presque féline. Une fille, charismatique, à la peau dorée et aux cheveux sombres noués en une natte complexe, et un garçon, tout aussi imposant, avec des cheveux très longs et une carrure athlétique. Ils se ressemblaient beaucoup.
— T'as trouvé une nouvelle recrue, Yuma ? lança la fille avec un sourire en coin.
— Elle s'appelle Esme, répondit Yuma amusé.
Je relevai les yeux vers elle, intriguée. Il émanait d'elle une aura de confiance presque écrasante, mais pas hostile.
— Esme, voici Kiara et son frère, Tokela, me présenta-t-il.
Le garçon hocha la tête en guise de salut, ses yeux sombres m'analysèrent rapidement.
— On parle d'organiser une fête ce week-end, reprit Kiara. Histoire que tu voies ce que c'est, l'ambiance ici.
— Une fête ? répétai-je, pas certaine de savoir si c'était une simple invitation ou un test.
— T'inquiète, on fait pas dans le guindé, ajouta Tokela avec un sourire. C'est juste une bonne occasion de s'amuser.
Il croisa les bras.
— Alors, t'en es ?
Je les regardai tour à tour. Je n'étais pas du genre à aller aux fêtes, c'était peut-être ma chance d'en apprendre plus sur cet endroit... et sur eux.
— Je suppose que je peux passer voir, dis-je finalement.
— Parfait, conclut Kiera en me tapotant l'épaule.
Elle et Tokela échangèrent un regard complice avant de s'éloigner, me laissant seule avec Yuma.
— Si t'as des doutes, viens avec moi, proposa-t-il. Ils sont cool, tu verras. C'est une tradition, tu sais, dit Yuma en haussant les sourcils.
— Quoi donc ?
— Kiera et Tokela qui organisent des fêtes. C'est comme un rituel. Toujours dans un coin différent de l'île.
Je tournai la tête vers eux, les observant s'éloigner dans le couloir, discutant à voix basse.
— Ils font ça souvent ?
— Tout le temps. C'est leur truc. Ils connaissent l'île par cœur, et ils trouvent toujours des endroits improbables. Parfois, c'est sur une plage, d'autres fois en pleine forêt, dans des ruines ou près d'un vieux sanctuaire.
Je fronçai les sourcils.
— Et personne ne dit rien ?
— Tant que ça reste discret, ça passe. Ils ont un certain... privilège.
Je n'aimais pas trop cette réponse, et je ne posai pas plus de questions. Leurs parents devaient etre des gens influents sur Kampos.
— En tout cas, si tu viens, tu verras un côté différent de l'île, ajouta-t-il avec un sourire.
Un côté différent... Je me demandais ce que cela voulait dire.
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