Fyctia
Chapitre 1 - Les Seylars
Le changement n'avait jamais fait de mal à personne.
Je relativisai ce qui nous arrivait, c'était mieux de s'imaginer vivre une nouvelle aventure que de se morfondre sur les aléas de la vie.
Une île.
Un entourage différent.
Une autre chance.
Les pavés résonnèrent sous les roulettes de nos valises, une mélodie discrète à l'air salé qui nous entourait. Nous nous arrêtâmes devant une porte en bois sombre, patinée par les années.
Soudain, des volets s'ouvrirent à l'étage, et attirèrent nos regards vers le haut. Un visage affectueux, celui de ma tante, apparut dans l'encadrement de la fenêtre. Un sourire enjoué l'éclaira.
— Elles sont arrivées ! s'écria-t-elle.
Ça sentais le bois et le sel.
J'étais heureuse de la voir après tant d'années. Elle avait toujours vécu sur cette ile, contrairement à nous qui habitions de l'autre coté de la mer. Je lui parlais à travers des écrans, des conversations à distance, des souvenirs partagés en pixels... Un jour, elle nous avait rendu visite, ça avait été géniale. Ma famille maternelle vivait dans cette maison depuis des générations, nichée au cœur du centre historique de Brisefort. Ma tante me dévisagea de la tête aux pieds. Nous étions arrivées en plein cœur de l'automne, et vêtue d'une chemise à manches courtes beige et d'un short en velours vert sapin, je sentis aussitôt le froid de la saison se glisser sur ma peau, mordant et vif. Elle s'approcha et, avec un sourire malicieux, prit mes joues entre ses mains comme si elles étaient des balles anti-stress.
— Aaa ! Je suis tellement contente de vous voir ! Même si les circonstances auraient pu être meilleures...
J'inspirai et fermai les yeux pour ressentir cette énergie qui émanait dans l'atmosphère. Je chassais ainsi les souvenirs de remonter à la surface. Le souffle du vent vint caresser mes cheveux. Les cris, les pleurs et les insultes disparurent.
— Je sens que l'air de Kampos t'appelle déjà, Esme. Tu l'entends aussi, n'est-ce pas ?
— Le chant est plus fort à Kampos, marmonnai-je avec timidité.
Alex, dans la trentaine, avait toujours ce sourire lumineux accroché à ses lèvres, un enthousiasme inébranlable qui la précédait partout. Son énergie débordante et son caractère de Bélier en faisaient une force de la nature. Le tee-shirt qu'elle portait contrastait avec son caractère, il y était imprimé en lettres rétros "anti-social club". Rien ne semblait pouvoir freiner son élan, elle agissait toujours avec spontanéité et passion.
Ma mère, Sélène, observait la scène en silence, se tenant visiblement d'intervenir. Alex, en revanche, éclata de rire et s'avança vers elle pour la prendre dans ses bras, rompant l'hésitation qui s'était installée.
Les deux sœurs s'étreignirent avec chaleur, partageant un moment de tendresse palpable, des retrouvailles. Puis Alex nous fit signe d'entrer, empoigna ma valise avec une aisance naturelle.
— Entrez, tout est prêt ! s'exclama-t-elle, ses yeux pétillants de joie.
— Ça n'a pas changé, murmura ma mère avec un sourire doux.
Dès que nous passâmes le seuil et nous arrivâmes dans un patio, baigné par une lumière dorée qui filtrait à travers les branches d'un arbre imposant. Il semblait avoir grandi en même temps que la maison. Les feuilles mortes jonchant le sol apportaient une chaleur automnale à l'espace.
Au centre, une table en bois massif était entourée de chaises de styles dépareillés. À l'étage, des balcons surplombaient la cour, protégés par des rampes de fer forgé.
— Bienvenue chez vous, souria Alex en voyant mes yeux pétillants de bonheur.
Avant, nous habitions en centre-ville, loin de la nature et surtout dans un appartement rudimentaire. L'intérieur de la maison était tout aussi enchanteur. Un escalier étroit, menait à un petit salon où des coussins colorés étaient éparpillés sur une banquette de pierre brute, nichée dans un coin. Le sol était recouvert de tapis orientaux aux couleurs éclatantes, et la chaleur de la cheminée se diffusait doucement dans la pièce.
— Ta chambre est à l'étage, expliqua Alex tout en me guidant. Et si tu te perds, rappelle-toi que la maison est construite autour du patio. C'est un carré : au centre, la cour, et tout autour, des pièces. Tu t'y habitueras vite !
Mon cerveau laissait fondre ses informations telle que la cire d'une bougie consumée. Nous avions pris le bateau durant plus de deux semaines avant de pouvoir arriver sur Kampos. Je n'avais qu'une envie, visiter l'île.
— Où est Owen ?
— Dans le bureau, mieux vaut ne pas le déranger, conseilla ma tante.
Le métier de mon oncle était pour moi un mystère, il travaillait dans la recherche, quelque chose du genre. Ma mère posa enfin la question qu'elle ruminait depuis un moment.
— Tu ne travailles pas aujourd'hui, Alex ?
La cadette l'ignora, préféra me tirer par le bras pour me faire visiter l'étage. Nous entendîmes ma mère râler et dire qu'elle ne la lâcherait pas. Ma tante grimaça d'appréhension, elle n'aimait visiblement pas discuter de sa vie professionnel.
— J'ai tellement hâte de te montrer l'île ! Où tu préfères te reposer pour aujourd'hui ? Le voyage a dû être fatiguant...
— Oh, je dormirai plus tard, répondis-je en souriant. J'ai hâte de découvrir Kampos.
— Parfait ! Allons vite déposer tes affaires, alors !
Elle ouvrit la porte du bout des escaliers. Ce qui me frappa en premier, ce fut la vue. La montagne se dressait majestueusement à travers la fenêtre. Pour un enfant de la ville, ce paysage semblait irréel.
Alex s'approcha doucement, tandis que je restais figée devant l'immensité de la nature. Je ressentais ce chant dans l'air presque imperceptible mais plus présent ici.
— Je connais ce regard... La magie te perturbe, n'est-ce pas ? murmura-t-elle.
Je fronçai les sourcils, mal à l'aise. Je savais exactement de quoi elle parlait, néanmoins je ne voulais pas lui donner raison. Pas après tout ce que m'avait dit maman.
— Maman ne veut pas que je...
Alex se redressa, jetant un regard à l'horizon où les montagnes embrassaient la mer.
— Tu sais, il y a des gens ici qui en savent beaucoup plus sur ce que tu es... Sélène m'avait évoqué ta sensibilité. En te regardant, j'ai l'impression que cela te touche plus que nous. Quand je dis nous, je parle pas de moi, hein, se reprit-elle. Je n'ai pas de lien avec l'entre-monde... Néanmoins, j'y crois et, à notre époque, c'est rare de croire en de telle chose !
Elle avait raison. L'éphémère m'avait toujours perturbé et attiré. Je pensais que ma mère ressentait de la même façon la magie puis, elle avait refusé d'aborder le sujet en prétextant que c'était dangereux et inutile de nos jours.
— Les Seylars... Je pourrais t'emmener rencontrer l'un d'eux, si ça te tente. Mais ça reste entre nous, d'accord ? Pas un mot à Sélène.
Je hochai avec vigueur la tête. Quand j'étais enfant, ma mère me racontait des histoires à leur sujet et lorsque j'avais montré des facultés proches de la leur... Elle m'avait ordonné de taire ses voix. Avec Alex, j'ai eu l'impression d'avoir le droit d'en être légitime.
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