Fyctia
Chapitre 2.1 - Rouge tomate
Sur la route des pins, la voiture filait en direction d'une destination qui m'était encore inconnue. J'étais assise côté passager, la radio diffusait une musique des Rolling Stones, Start Me Up. Alex bougeait la tête au rythme de la musique, complétant les paroles avec un enthousiasme contagieux.
Je souris, amusée par son énergie débordante. Le paysage défilait tel un tableau mouvant : des montagnes majestueuses et des forêts denses, beaucoup plus sauvages que ce que j'avais imaginé. L'île de Kampos dégageait une beauté brute, presque intimidante, loin des images parfaites que j'avais vues sur mon téléphone. Ses réserves naturelles classées au patrimoine mondial de l'UNESCO ajoutaient à cette impression d'un lieu hors du temps.
Pourquoi ma mère avait-elle quitté cette île ? Elle avait toujours parlé de ses études comme d'une chance unique, cependant une part de moi avait toujours douté. La tranquillité et la beauté de cet endroit ne semblaient-elles pas trop précieuses pour être abandonnées si facilement ? Ou bien... était-ce cette fameuse peur de la magie ?
— Tu crois que quelqu'un voudrait vraiment quitter un endroit pareil ? lâchai-je brusquement, sans vraiment m'en rendre compte.
Sa bouche s'étira en un demi-sourire.
— Ça dépend de ce qu'on cherche, dit-elle, presque avec désinvolture. Ici, certains partent pour les études, d'autres pour des opportunités... ou pour oublier.
Je haussai un sourcil, surprise par sa réponse. Oublier quoi ? Ce que je ne savais pas, c'est que cette question allait me hanter bien après cette conversation.
— Donc Kampos te plaît ?
— Carrément ! Dommage que j'ai oublié mon appareil photo, j'aurai pu capturer de belles images...
— Tu auras l'occasion de revenir. Cette route est la plus empruntée !
Heureusement que nous sommes pas en heure de pointe, souffla-t-elle.
Je regardai les montagnes et la forêt dense qui nous entouraient, me demandant ce que cette île pouvait bien cacher derrière ses paysages enchanteurs. Était-ce vraiment une simple question d'études, ou y avait-il une autre raison, quelque chose que ma mère ne m'avait jamais révélé ?
— Pourquoi es-tu restée ? demandai-je, décidant de pousser la discussion un peu plus loin.
— Oh, j'ai mes raisons, dit-elle avec un clin d'œil. Peut-être que je te les dévoilerai un jour... si tu es sage.
Son ton léger n'éteignit pas la petite flamme de curiosité qui venait de s'allumer en moi. Il y avait quelque chose qu'on me cachait. Dès que je descendis de la voiture, l'atmosphère m'enveloppa d'une chaleur réconfortante. Le bâtiment en briques, recouvert de lierre aux couleurs automnales, semblait sortir tout droit d'un conte. L'enseigne "PEGASUS COFFEE" était un peu défraîchie.
À l'intérieur, l'air était saturé de l'odeur du café fraîchement moulu. Je pris place à une table près de la fenêtre, et observais la rue déserte tandis que mes pensées continuaient à se bousculer.
Un serveur s'approcha, un garçon de mon âge, ses cheveux teints en gris contrastant avec ses vêtements colorés. Il m'observait d'un air blasé.
— Je vais prendre un cappuccino, murmurais-je timidement.
Le serveur hocha la tête, nota ma commande sans dire un mot, puis jeta un coup d'œil furtif à Alex avant de s'éloigner vers le comptoir.
— Tu sais, sur cette île, tout le monde se connaît, me dit-elle doucement. Les étrangers se font toujours remarquer, surtout en dehors de la période estivale. Ici, on a l'habitude de voir des touristes, mais toi, tu arrives quand tout le monde est rentré chez soi. Ça attise la curiosité des gens.
La clochette de la porte tinta, brisa un instant la quiétude du café. Un garçon entra, capuche rabattue sur la tête, et s'avança avec assurance vers le comptoir. Je ne savais pas pourquoi, mais quelque chose dans sa démarche attira mon attention. Il dégageait une aura différente, presque étrangère, comme s'il n'appartenait pas tout à fait à ce monde. Le serveur le reconnut aussitôt et murmura quelques mots à voix basse. Il s'approcha ensuite de notre table et déposa notre commande. Mon cappuccino fumait encore, tandis qu'Alex, qui n'avait rien commandé, se retrouva avec une tarte à la myrtille devant elle. Je la regardai, un sourcil haussé.
— Tu es une habituée, compris-je avec un sourire.
Elle me lança un regard complice tout en piquant sa fourchette dans la tarte.
— On peut dire ça, oui, répondit-elle avec un clin d'œil.
Alors que le serveur repartait, je ne pus m'empêcher de jeter un coup d'œil furtif au garçon à la capuche. Sous l'ombre de son visage, je remarquai qu'il me fixait. Un frisson me parcourut l'échine. Après un moment, il se pencha vers le garçon aux cheveux gris et lui murmura quelque chose à l'oreille. Le serveur haussa simplement les épaules avant de retourner à son service, indifférent.
— Ils ont pas cours, marmonnai-je, en regardant les deux garçons au comptoir.
— Les ados de Kampos ont beaucoup de liberté, dit-elle en riant. Sécher, c'est presque un cours comme un autre ici.
Je m'apprêtais à poser plus de questions, mais Alex se mit soudain à tousser violemment. Son visage vira au rouge en quelques secondes. La panique me submergea. Je me levai d'un bond, cherchant autour de nous, espérant trouver un verre d'eau ou quelqu'un pour nous aider. Personne ne bougeait. Le serveur, qui avait apporté la tarte, n'avait même pas jugé utile d'apporter de l'eau.
Mon cœur battait si fort que je pouvais l'entendre dans mes oreilles. Merde, qu'est-ce que je fais ?
— Alex, ça va ? balbutiai-je, elle ne pouvait plus répondre, son visage devenait de plus en plus pâle, presque bleu.
Pourquoi est-ce que je n'avais pas suivi ce fichu cours de secourisme ? Le serveur s'approchait enfin avec une bouteille d'eau, sauf qu'il avançait à un rythme insupportablement lent. Pourquoi était-il si calme ? C'était une urgence ! Alex se précipita dessus sauf que ça n'arrangea pas son état.
Soudain, le garçon à la capuche se leva. Ses pas étaient presque silencieux tandis qu'il s'approchait d'Alex. Il posa doucement une main sur son dos, sans un mot, et quelque chose changea. L'air autour de nous sembla se figer. Un courant d'énergie invisible passa entre eux. En un instant, Alex reprit son souffle. C'était comme si un sort venait d'être brisé. Il retira sa main, l'impression de dire que rien d'extraordinaire ne venait de se passer. Ses yeux croisèrent les miens, et pendant une seconde, j'eus l'étrange impression qu'il savait quelque chose à mon sujet. Quelque chose que moi-même j'ignorais encore.
Se fût ma rencontre avec Vent.
Il avait ce visage fin, presque anguleux, avec des cheveux bruns en bataille qui retombaient légèrement sur ses yeux, à la fois négligés et soignés sans le vouloir. Son regard, intense et perçant, dégageait une sorte de mélancolie mêlée d'assurance.
Il s'éloigna, laissant derrière lui une atmosphère lourde de mystère, et cette sensation persistante que quelque chose d'inexplicable venait de se produire.
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