Fyctia

Assise sur ces chaises en plastique qui grince au moindre mouvement, je regarde Hugo face à moi qui affiche un air grave, indiquant une probable mauvaise nouvelle. À cet instant, je ne peux empêcher mon cœur d'accélérer sa course.

Avec Hugo, nous nous sommes rencontrés lorsqu’il était encore l’assistant de mon professeur de journalisme à la fac, il y a cinq ans et depuis, nous avons tissé des liens d’amitié très forts, donc je sais reconnaitre quand il a quelque chose à dire mais qu’il ne sait pas comment s’y prendre. Il me regarde brièvement de ses beaux yeux verts mais ne reste ne soutient pas son regard. Ses mains tripotent la bague que je lui ai offerte pour son anniversaire pour lutter contre son stress. Une bague avec une sorte d’anneau qui tourne et aide à se canaliser.

— Balance ce que tu as à me dire, tu fais flipper là !

— Ok ! Je veux d’abord que tu saches que ça ne vient pas de moi, mais de la direction.

Il se dandine sur sa chaise, qui semble beaucoup plus confortable que celle sur laquelle je me tiens. Si sa peau n’était pas de couleur miel, je suis certaine qu’il serait aussi blanc que les murs de son bureau.

— Quoi? demandé-je paniquée, on me demande encore un de ces articles sur une mamie qui accueille tous les chats errants de son quartier?

— Non, pas du tout! Cynthia vient d’appeler car elle se fait opérer de l'appendicite, tu te rends compte? A 26 ans, je ne savais pas que cela était encore possible..

— Accouche! En quoi ça me concerne? Je le coupe, impatiente d’en finir au plus vite. Je ne souhaite pas de mal à cette nunuche, mais bon je me fiche un peu de sa vie et tant qu’elle est loin de moi, je me porte mieux.

— Elle devait faire l’article pour la rubrique, “la personnalité du mois” et tu vas donc devoir la remplacer.

— Quoi ! je crie presque, mais c’est génial ! Pas qu’elle soit à l'hôpital, hein, c’est con pour elle, mais pour moi, c’est super ! Pourquoi tu fais cette tête? On me donne enfin l’opportunité d’écrire quelque chose d'intéressant !

— Tu dois partir demain pour plusieurs jours à Cancun..

— Non! C’est une blague! Allez dis moi que c’est pas vrai! C’est pas sympa de me faire espérer comme ça!

Je redescends vite de mon nuage car il est impossible que l’on me confie une telle responsabilité. Pas que je n’en sois pas capable, mais parce que ça fait des mois que je tente d’obtenir des sujets qui comptent un peu plus que les faits divers et là, on me sert un sujet super important pour le journal, comme sur un plateau. C’est encore éloigné de ce que je rêve de pouvoir faire, mais même mon mentor l’ignore. Ce journal ne propose pas le type d’article que j’aimerai écrire, je me contente de mon compte instagram pour le moment.

— C’est pas une blague June, tu pars demain avec un jet privé mais le problème c’est que tu ne seras pas à Paris pour Noël puisque le retour se fait le 26 décembre.

— En quoi est-ce un problème? Tu connais mon ”non amour” pour cette fête, donc au contraire, je m’en réjouie.

— Oui, enfin ce n’est pas tout..

Mais je ne l’écoute plus, trop excitée à l’idée d’échapper à tout ce tralala qui me donne la nausée. J’ai enfin l’occasion de montrer que je peux écrire de vrais articles et pas de vulgaires faits divers sans grands intérêts.

Il y a dix huit mois, quand après un nombre incalculable de cv envoyés à tous les journaux possibles, Hugo m’a appelé pour me proposer le poste, je n’ai pas hésité longtemps, car cela me permettait d’avoir un pied dans la boite et de pouvoir plus facilement proposer mes idées. Sauf que, les patrons sont coriaces et ne veulent jamais prendre le temps de lire les textes des “ nouveaux” , comme ils nous appellent.

Hugo, en tant que responsable, a bien tenté de parler de moi, mais ils s'obstinent à faire les sourds. Il faut dire que Cynthia, blonde plantureuse, très avenante, accapare toute leur attention.

— Au fait, de qui s’agit-il? Je me souviens de lui demander.

— June, me réprimande-t-il, t’as pas écouté un traître mot de ce que je viens de dire ou quoi?

— Pardon, c’est l’émotion, tu disais. Je lui fais la moue.

— Bon écoute, tu vas suivre Laurent De Yves, le célèbre créateur de mode. Il lance une nouvelle collection qu’il a gardé secret jusqu’à présent. C’est un peu de l’exclusivité qu’on a là, donc ne foire pas tout sinon, je ne pourrais rien faire pour toi et tu pourras dire adieu, non seulement à la promotion, mais à ton poste tout court.

— Oui, t’inquiète, je vais gérer, le rassuré-je en me levant déjà de la chaise de torture. Je ne suis pas une grande experte de la mode, mais ça va aller.

— Non sans blague! rigole t-il en détaillant ma tenue des plus classiques.

Je porte, comme très souvent, un jean, coupe droite sur le haut mais légèrement évasé en bas, avec un pull en laine blanc qui contraste avec mes cheveux violines, seul élément chez moi qui soit original.

— Bon, exceptionnellement, tu peux partir maintenant, annonce t-il en regardant sa montre, je t’envoie toutes les infos par mail.

— Wouah trop bien, merci, il n’est même pas 16h!

— Tu as une valise à préparer et j’espère que tu as un passeport valide parce que sinon je crois que je t’assassine sur place.

— Oui, oui, j’en ai un, dis-je légèrement hésitante, ce qui ne lui échappe pas.

— June!

— Ça va ! En bonne journaliste que je suis, c’est obligatoire ! Il est chez moi.. dans un de mes tiroirs.. sûrement

— Bordel ! Tire toi et va me trouver ton fichu passeport, préparer ta valise et te reposer car tu décolles tôt et avec le décalage horaire et ce qui t’attend, un peu de repos sera pas de trop !

J’ai l’impression qu’il en fait des tonnes, une dizaine de jours à Cancùn tous frais payés à interviewer un homme un peu excentrique, c’est pas une virée en enfer non plus.

Au contraire, ça me donne la solution parfaite pour fuir loin d’ici et de toutes les décorations, toutes plus cucul les unes que les autres, de Noël.

J’adore vivre à Paris en temps normal. L’agitation, la diversité des habitants, des monuments, l’ambiance festive le soir venu, tout me plait. Mais quand arrive le mois de décembre, c’est un vrai calvaire pour moi.

Je retourne à mon bureau avec un sourire qui s’étire jusqu’aux oreilles et mes collègues doivent se demander ce qu’il m’arrive. Je ne leur parle pas trop et préfère souvent rester en retrait mais l’open space que nous partageons, m’oblige à être un peu cordiale de temps en temps. Ma voisine de gauche, dans le carré que nous avons, m’interroge en apercevant que je range mes affaires rapidement.

— Je pars demain à Cancùn, j’annonce la voix chantante reflétant ma joie, je remplace Cynthia au pied levé pour l’article sur la célébrité du mois.

— Waouh, c’est une super chance pour toi ! intervient, Valérie, une trentenaire préposée à la rédaction de l’horoscope.

— Ouais, je sais c’est cool, mais faut pas que je me loupe sinon, adieu le journalisme. Allez je file, je dois me préparer. À plus les gars, je lance aux deux autres collègues qui partagent notre espace avec un signe de la main.