Fyctia
23
J’ai à peine coupé le moteur que ma mère se précipite hors de la maison et se jette sur la première personne à sa portée, à savoir Adrian. Pendant qu’elle salue tout le monde, je descends de la voiture pour me rendre compte qu’Adelie est toujours attachée sur le siège arrière, immobile. J’ouvre sa portière et elle tourne la tête vers moi.
- Sur une échelle de 1 à 10, quelles sont mes chances que tu me laisses rester là jusqu’à ce qu’on reparte ?
- Faibles, ma beauté. Aller viens, je te promets que je ne te laisserai déclencher aucune catastrophe.
Regard noir évidemment, mais elle détache quand même sa ceinture et quitte enfin l’habitacle. Je fais claquer la portière avant qu’elle n’ait l’idée de remonter et de s’enfermer à l’intérieur jusqu’à ce soir.
- Attention Delilah, je vais te faire un câlin.
- Oui s’il te plait ! marmonne-t-elle alors que je l’enlace.
Comme elle en a pris l’habitude, elle enfouit son visage dans mon sweat et je me penche pour déposer un baiser dans ses cheveux.
- Cap ou pas cap de vraiment m’empêcher de déclencher une catastrophe ?
Un rire m’échappe et je la serre un peu plus contre moi.
- Cap bien sûr ! Je ne résiste jamais à un défi de taille, tu le sais.
En représailles, elle me pince le ventre et je pousse un glapissement de douleur. Erreur tactique Delilah ! Le bruit attire l’attention sur nous et aussitôt ma mère relâche Elena pour se précipiter dans notre direction.
- Oh mon bébé ! Mon bébé ! Mon bébé ! Tu m’as tellement manqué.
J’adore mes parents. Et j’ai beau avoir vingt et un ans, je n’ai aucune honte à le dire haut et fort. Aussi, sans me préoccuper du surnom ridicule dont elle m’affuble, je libère Adelie pour prendre ma mère dans mes bras.
Lucy Lowell est assistante sociale et nous a transmis à ma sœur et moi sa tolérance et sa haine des injustices. Elena a également hérité de son sens de l’organisation à toute épreuve. J’ai pour ma part récupéré son côté très tactile et son exubérance.
- Bonjour maman !
Elle m’écrase dans un câlin si puissant que je suis presque sûr d’entendre mes cotes craquer. Puis mes yeux se posent sur Adelie et je me prépare à l’impact.
- Oh la voilà ! Tu dois être la fameuse Adelie dont j’ai tellement entendu parler ! Je suis si contente de te rencontrer.
Je vois Adelie se tendre quand ma mère s’avance vers elle bras grand ouvert et je sais déjà qu’elle ne dira rien de son aversion pour les contacts physiques pour ne blesser personne.
- Lucy chérie, je crois que tu fais peur à cette jeune fille.
Mon père, ce héros !
Un bras passé autour des épaules d’Elena, il observe sa femme avec un mélange d’amusement et de consternation.
Contrairement à elle, c’est un idéaliste et un rêveur, le nez toujours plongé dans un livre. Il m’a transmis sa soif de connaissance et cette idée selon laquelle les hommes aussi ont le droit de faire preuve de tendresse.
- Oh mon Dieu ! Je m’emballe ! Pardon Adelie mais c’est tellement rare que Benny nous ramène une fille à la maison, tu comprendras sans mal notre excitation.
Oh. Mon. Dieu. Adelie avait peut-être raison finalement, c'était une très mauvaise idée de venir ici. Elle a les joues rouge vif à présent et me fixe l’air de dire : « Je t’avais prévenu ».
- Maman non ! Adelie et moi nous ne… On est amis, c’est tout.
Ma mère me fixe un instant comme si elle cherchait à lire en moi et je ressens le besoin étrange de m’éloigner de ses yeux scrutateurs. Pourtant, je n’ai rien à cacher, Adelie et moi sommes amis, rien de plus.
- Je suis confuse Adelie. Comme Benny ne nous parle jamais de filles, j’ai pensé que… Je suis vraiment désolée, je ne voulais pas te mettre mal à l’aise.
- Ce n’est rien, madame Lowell. Merci beaucoup de nous accueillir aujourd’hui, je suis ravie de faire votre connaissance.
Mon Adelie ! Je n’ai jamais ressenti autant d’affection pour elle qu'à cet instant.
- Elle est charmante ! Tu es charmante ! Mais appelle-moi Lucy, madame Lowell c’est ma belle-mère, cette sorcière !
- Je t’entends dire du mal de ma mère Lucy ! Venez, rentrez avant d’être complètement congelés. Ou que ma femme déclenche un autre incident diplomatique.
Mes parents passent la porte en se chamaillant nous les suivons. Une fois nos manteaux retirés, les autres prennent le chemin de la cuisine. Adelie va pour les imiter, mais je la retiens par le poignet.
- Hey Delilah ! Tout va bien ?
- Tout va bien Benn, je t’assure.
- Ma mère est très tactile, mais tu as le droit de lui dire que tu n’aimes pas les câlins. Je ne veux pas que tu te forces à faire quelque chose qui te met mal à l’aise pour éviter de les vexer. D’accord ?
- Et est-ce que je peux demander un câlin ? À toi par exemple.
Cette fille aura ma peau, je le jure. Comment dire non à une demande comme celle-là? Comment dire non quand cela sous-entend que ma présence la rassure et l’apaise ? J’ai l’impression d’avoir gagné au loto. Alors, je l’enlace, le menton posé sur son crâne.
- Si tu penses que faire des câlins à Adelie va t’éviter de mettre la table, tu te goures !
- Elena, dégage ! je grogne à l’attention de ma sœur, tu gâches toujours tout.
- Oh pauvre petit Benny, persécuté par sa grande sœur. Tu vas pleurer ?
- Écoute Lena, je vais te le dire pour ton bien, parce que je suis ton frère et que j’ai bon espoir que tu fasses quelque chose de ta vie : parfois, tu te comportes comme une garce !
- Han ! Excuse-toi tout de suite ou je le dis à maman !
- Comme si j’avais peur. Je suis adulte maintenant et maman ne…
- Maman ! Benn a dit que…
- Ok ! Ok ! Je suis désolé ! Pardon !
Elena m’adresse son plus beau sourire de peste. Adelie nous dévisage, incrédule. Avant que j’aie trouvé comment me venger, mon père nous appelle et nous rejoignons les autres dans la salle à manger.
La journée se déroule sans difficulté et plus le temps passe, plus Adelie semble se détendre. Particulièrement quand je la trouve penchée avec ma mère sur les albums photos de mon enfance.
- Ok, sur une échelle de un à dix, à quel point mon ego est meurtri ?
- Rien ne peut meurtrir ton ego, l’égratigner à la limite mais c’est tout, taquine Adelie. Je dirais qu’on est à six mais on s’apprêtait à passer à tes années collège alors tout est possible.
Je lui adresse une grimace et elle me répond d’un clin d’œil, sous le regard scrutateur de ma mère.
Mère qui, au moment de remonter en voiture pour rentrer à New York, me serre dans ses bras et me murmure à l’oreille :
- Encore désolée pour ce matin, j’ai vraiment cru que vous étiez ensemble.
- Aucun souci maman, ne t’en fais pas. Même si les autres vont se foutre de nous pour le restant de nos jours. Et puis comment est-ce que tu es arrivée à une conclusion pareille, d’abord ?
Ma mère ne dit rien pendant quelques secondes et me fixe intensément. Puis elle ouvre la bouche et prononce une phrase qui me chamboule entièrement à l’intérieur :
- C’est la manière dont tu la regardes mon chéri.
- Et comment est-ce que je la regarde ?
- Comme si elle était le soleil au centre de ton univers.
11 commentaires
Christelle Emilie
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Il y a un an