Fyctia
17
New York, Bryant Park, 8 décembre
- Tu as juste peur que je te mette à nouveau la pâtée à bataille de boules de neige, c’est tout.
- Tu ne m’as jamais mis la pâtée, Hewitt. À part dans tes rêves les plus fous.
- Je t’ai étalé de tout ton long et jeté de la neige dans le tee-shirt. J’appelle ça une victoire écrasante !
- Seulement parce que j’étais perturbé. Le fait d’avoir envie de t’embrasser pour la première fois m’a déconcentré.
Adelie se fige.
- Qu’est-ce que tu as dit ?
- Ce jour-là, c’est la première fois que j’ai eu envie de t’embrasser. Et même si j’ai prétendu le contraire un moment, je crois que je n’ai jamais cessé d’en avoir envie depuis.
Elle ne bouge plus, le visage comme gelé par le froid. Puis les larmes lui montent aux yeux et je suis bouleversé en constatant une nouvelle fois l’étendue des dégâts que j’ai causés. Adelie ne pleure pas. Du moins elle ne pleurait pas avant. Notre séparation a visiblement brisé quelque chose en elle, rompu la digue derrière laquelle elle enfermait ses sanglots jusque-là.
- C’est trop dur, souffle-t-elle dans un nuage de buée.
- Quoi donc ? je réponds sur le même ton en cueillant les larmes qui roulent sur ses joues glacées du bout de mes doigts.
- Tout ça ! Toi ! Toi qui m’emmènes manger des pancakes, qui me tiens la main, qui me touche comme tu le fais. Tous ces souvenirs, ça fait trop mal.
Je pose mon front contre le sien, puis je murmure :
- Attention Delilah, je vais te faire un câlin.
Et je la serre contre moi de toutes mes forces. Je ne veux pas que ce soit difficile. Je veux que ce soit léger, drôle, doux, comme au début. Je veux que ce soit sexy, fou et épuisant comme lorsque nous nous retrouvions au lit.
Je lui murmure les mots que j’ai pensés si souvent ces derniers mois. Des mots j’ai écrits dans les chansons qu’elle m’a inspirées, dans des SMS jamais envoyés, des mails jamais finis, des lettres jamais postées. Des mots que je n’ai pas trouvé le courage de chuchoter ou de hurler au téléphone. Des mots qui n’effacent rien, mais qui, je l’espère, apaiseront un peu nos chagrins jumeaux.
- Je suis désolé, Delilah. Je suis tellement désolé !
Elle se prend le visage dans les mains, laisse tomber sa tête sur ma poitrine. Et aux tressautements de ses épaules, je devine qu’elle sanglote.
Alors, je la serre plus fort contre moi et je lui murmure à l’oreille, les mêmes mots, encore et encore, comme une litanie, une prière pour qu’elle me croie. Le temps file, défile et nous restons là. Petit à petit, mon corps s’engourdit. Je dépose des baisers dans ses cheveux en y mettant toute ma tendresse. Les sanglots d’Adelie semblent ne jamais vouloir se tarir.Mais même les chagrins les plus profonds finissent par s’assécher.
Elle relève vers moi un visage humide, les yeux toujours brillants de larmes. Et si c’est possible, elle est encore plus belle comme ça.
Elle me bouleverse.
Mon cœur se serre, amour et douleur mêlés. Elle essuie ses joues d’un revers de la manche. Puis m’adresse un sourire un peu bancal.
- On y va ?
Elle ne veut pas en parler et je respecte ça. Parce que la nuit s’étire devant nous et que je sais qu’à un moment ou un autre, nous finirons par avoir cette discussion. Mais pas tout de suite, pas encore.
Alors, nous reprenons notre route, bifurquons sur la 42th et soudain, Times Square apparaît auréolé de son aura de lieu mythique et de ses lumières multicolores. Même au bout de trois ans, le visage d’Adelie s’éclaire toujours d’émerveillement chaque fois qu’elle arrive ici. Je la pousse de l’épaule.
- Touriste, va !
En réponse elle m’adresse une grimace. Je m’apprête à la taquiner de nouveau, pour alléger la tension des dernières minutes, quand les premières notes d’une chanson s’élèvent au-dessus du bourdonnement des néons et du bruit de la circulation. Et pas n’importe quelle chanson.
- Est-ce que c’est…
- Hey there Delilah. Soit l’univers a un drôle de sens de l’humour, soit tu as payé un mec pour jouer de la guitare si nous passions par Times Square. Et dans ce cas-là, tu es vraiment flippant, Lowell.
- Désolé de te décevoir, mais je n’y suis pour rien ma beauté.
- Je ne suis pas déçue, je suis soulagée. Le coup du musicien c'est trop, même pour toi.
- Et te faire danser dans la rue, c’est trop aussi ?
Sans lui laisser le temps de répondre, je prends sa main et la fais tourner sur elle-même avant de l’attirer à moi. Nous nous balançons d’un pied sur l’autre, seuls au monde au milieu de la foule.
- Dire qu’à cause de toi, je ne peux plus écouter cette chanson alors que je l’adore.
- À cause de moi !?
- Oui, à cause de toi et de ton surnom stupide.
- Tu adores ce surnom ! Je le sais et tu le sais. Tu refuses seulement de l’admettre parce que tu aimes me contredire.
- Et comment est-ce que tu es arrivé à cette conclusion, s’il te plait ?
- Tu sais très bien que, plus tu me demandes d’arrêter de faire quelque chose, plus j’ai envie de le faire. Pourtant, tu es perpétuellement en train de me supplier pour que je ne t’appelle pas comme ça. Preuve que tu cherches en réalité à me pousser à continuer. Psychologie inversée !
Elle me fixe un instant, puis éclate de rire.
- Mon Dieu, quelle perspicacité ! Tu ne t’aies pas dit que, peut-être que si je te demande d’arrêter de m’appeler comme ça, c’est parce que je n’ai pas envie que tu m’appelles comme ça ?
- Tu n’as pas envie que je t’appelle Delilah, et tu n’avais pas envie de dire que je suis ton meilleur ami. Mais il me semble que j’ai gagné le droit de faire les deux le soir de mes vingt et un ans, non ?
15 commentaires
MONTENOT Florence
-
Il y a un an
Christelle Emilie
-
Il y a un an
Lola B. Thomas
-
Il y a un an
Poppy Sloan
-
Il y a un an