Fyctia
16
New York, quelque part dans l’Upper West Side, janvier deux ans plus tôt.
- J’ai froid ! J’ai froid ! J’ai froid ! J’ai froid !
Adelie sautille sur place alors que nous quittons Juilliard. Kane a annoncé les binômes du second semestre et, sans surprise, nous a remis ensemble. Nous avons donc passé deux heures à travailler sur notre nouveau projet.
Ma partenaire de composition frotte ses mains l’une contre l’autre dans l'espoir de les dégeler. Il faut dire qu’il fait vraiment froid depuis quelques jours et le ciel est gris en permanence. Une température pas très adaptée à une fille ayant grandi sous le climat brûlant de l’Arizona. Samuel était comme ça aussi, la première année : perpétuellement gelé.
- Oh ma beauté, viens là que je te réchauffe !
J’attends une répartie, un petit coup de coude qui n’arrive pas et quand je cherche Adelie des yeux, je la trouve figée sur le parvis de la fac, le regard levé vers le ciel.
- Tu t’es transformée en statut de glace, Hewitt ?
Elle ne répond pas et je m’approche encore un peu d’elle.
- Tout va bien, Delie ?
Au moment où je vais poser la main sur son épaule, elle tourne vers moi un visage si éclatant de joie que mon cœur rate un battement.
- Il neige.
Sa voix sort dans un souffle émerveillé et ému. Je suis totalement déstabilisé par cette Adelie, si jeune et si impressionnée, à mille lieues de l’Adelie guerrière que je connais.
- Vu les températures, c’était à prévoir. Adrian va encore nous bassiner pendant des jours sur le sel qui abime le cuir de ses chaussures et…
Mais Adelie ne m’écoute pas. À toute vitesse, elle dévale l’escalier qui mène au trottoir, manquant se rétamer sur la pierre humide.
- Delie attend ! Où est-ce que tu vas ?
Je suis presque obligé de courir pour la rattraper tant elle marche vite. Et tout à coup, nous sommes à Central Park, qui prend soudain des allures de Narnia. Un rire incrédule passe les lèvres d’Adelie alors qu'elle dépose précautionneusement son sac et son violon sur un banc, avant de retirer son gant.
Je l’observe approcher sa main d’un buisson couvert de neige. À l’instant où ses doigts entrent en contact avec la poudreuse, un nouveau gloussement lui échappe, entre joie et surprise.
Adelie est toujours mesurée, toujours dans la retenue, même quand elle lâche prise, je sens bien qu’une part d’elle reste quand même sous contrôle.
Mais pas aujourd’hui, aujourd’hui la sage Adelie qui ne veut jamais se faire remarquer n'hésite pas à sautiller et à se trémousser au milieu de Central Park. Ce que je trouve à la fois adorable et totalement déstabilisant.
Elle semble soudain se rappeler de ma présence, en témoigne la manière dont tout son corps se crispe brusquement. Impossible de savoir si elle rougit, le froid ayant déjà rosi ses joues, mais la façon dont elle évite mon regard me laisse à penser que oui. Elle finit malgré tout par tourner les yeux vers moi.
- Quoi ?! grogne-t-elle en remarquant le sourire sur mes lèvres.
Je lève les mains en signe d’apaisement.
- Si un jour, on m’avait dit que je verrais Adelie Hewitt en lâché prise totale sans qu’on l’ait défiée avant, je ne sais pas si je l’aurais cru. On dirait que tu vois la neige pour la première fois.
Et au moment où la phrase franchit mes lèvres, je comprends. Parce que Samuel a eu le même air émerveillé et fasciné quelques hivers plus tôt.
- C’est la première fois que tu vois la neige, pas vrai Delie ?
Elle hausse les épaules comme pour signifier que ça n’a pas vraiment d’importance.
- L’Arizona n’est pas particulièrement réputé pour ses tempêtes de neige.
Ses yeux se posent à nouveau sur le parc et, avec douceur, elle caresse un buisson.
- Dire qu’il aura fallu dix-huit ans pour que je sois témoin de cette merveille.
Une vague de tendresse pure me traverse. J’adore la Adelie battante et farouche qui m’envoie chier et ne se laisse pas faire. Mais cette Adelie là, presque vulnérable, me bouleverse totalement.
Alors, comme toujours quand je ne sais pas comment gérer mes émotions, je fais le premier truc idiot qui me passe par la tête. Autrement dit, j’attrape une poignée de neige et lui jette dessus.
Le visage outré qu’elle m’adresse est tellement drôle que j’éclate de rire.
- Oh non ! Tu n’as pas osé !
- Je crois bien que si. Et je pense que je vais recommencer.
Une nouvelle boule de neige la percute. Un instant, elle ne réagit pas et je me demande si j’ai encore franchi une des barrières invisibles qui l’entourent et la protègent du monde extérieur. Puis un projectile glacé m’atteint en pleine poitrine.
- Tu ne sais pas ce que tu viens de déclencher, Hewitt !
Les boules de neige volent dans tous les sens et il devient rapidement clair qu’Adelie vise très mal et que son premier tir était un coup de chance. Je suis donc certain de remporter la bataille, jusqu’à ce que dans un geste à la fois surprenant et totalement anti-Adelie, elle se jette sur moi en hurlant.
J’ai juste le temps de la réceptionner dans mes bras avant de trébucher contre le muret qui borde la pelouse et de perdre l’équilibre. Je m’écrase sur la terre gelée, l’entraînant dans ma chute.
Nous restons allongés et hilares jusqu’à ce que je prenne conscience de notre position et de tous les endroits où son corps et le mien sont en contact. Ses cils et sa tresse sont parsemés de flocon, ses joues et le bout de son nez rougis par le froid. Elle est tellement belle.
Et soudain, une pensée aussi inattendue qu’étrange me traverse : j’ai envie d’embrasser Adelie.
Une sensation glacée dans mon cou me ramène à la réalité et chasse cette idée idiote.
- Tu viens de me mettre de la neige dans le tee-shirt, petite peste ?
Elle m’adresse en retour un sourire fier et victorieux, et la pensée revient. N’importe quoi ! Je sens le froid s’infiltrer à travers mon manteau et tapote le dos d’Adelie.
- Debout ma beauté, tu as les lèvres bleues et il faut qu’on se change avant d’attraper la mort.
Adelie se redresse et me tend la main pour m’aider à me remettre debout à mon tour. J’en profite évidemment pour l’attirer contre moi.
- T’es censé prévenir avant ! râle Adelie qui enfouit quand même son visage contre mon pull.
En réponse, je dépose un baiser sur son front puis, un bras autour de sa taille, je récupère nos affaires et l’entraîne vers la sortie. Juste avant que nous quittions le parc, Adelie se retourne et embrasse les lieux du regard, ferme les paupières une seconde et fait claquer sa langue, comme si elle venait de prendre une photo mentale.
Puis, elle accepte la main que je lui tends, et nous retrouvons la civilisation, abandonnant dans la neige mon étrange envie de goûter les lèvres d’Adelie.
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