Fyctia

New York, Café Fredericka the Great, octobre trois ans plus tôt.

- Tiens Hewitt, ton cake.

- Merci Benny, mais je n’ai pas commandé ça.

- Pas toi, l’autre Hewitt.

Je repousse la main de Samuel d’une tape et fait glisser l’assiette vers Adelie.

- Tu vois Benn, intervient Adrian, c’est pour ça qu’il faut un nouveau surnom à Addie. On a déjà un Hewitt, si on l’appelle aussi comme ça, comment savoir de qui on parle ?

- Sinon, maugrée Adelie, on pourrait aussi utiliser le prénom que ma mère a choisi pour moi.

- Pas drôle, je rétorque. On n'a qu’à dire que Sam est Hewitt et Delie, mini Hewitt.

- Est-ce que ça fait de Lena, mini Lowell ?

- Pas si tu tiens à la vie, Lancaster !

Elena adresse un regard d’avertissement à Adrian qui rétorque en lui envoyant une volée de baisers. Comme prévu, Adelie s’est parfaitement intégrée à la bande. Ce que je n’avais pas imaginé en revanche, c’est qu’elle nous ramènerait aussi son gigantesque ami. Nathan, puisque c’est son prénom, se joint souvent à nous et je n’ai pas encore décidé si je l’aime bien ou si je le déteste. Mon animosité est surtout liée au fait qu’il réussit là où j’échoue régulièrement : faire en sorte qu’Adelie se sente à l’aise avec moi. À vrai dire, Adelie est à l’aise avec à peu près tout le monde, sauf moi.

- En quel honneur le cake ? demande justement Nathan.

La petite lueur d’amusement que je vois danser sans ses yeux me laisse à penser qu’il connait déjà la réponse. Je comptais l’envoyer bouler, mais les joues rougies d’Adelie me donnent finalement plus envie de lui répondre.

- Delie m’attendait en répétition et j’étais en retard.

- Et pourquoi étais-tu en retard, Bennett ?

Je rêve ou elle me taquine ? Attention Adelie, à ce petit jeu, je suis imbattable.

- Parce que j’étais en train de passer un très agréable moment en compagnie d’une sublime jeune femme à la souplesse hors norme.

Gagné ! Adelie vire pivoine et détourne le regard pendant que les autres éclatent de rire.

- Si tu devais m’offrir une sucrerie à chaque fois qu’une de tes parties de jambes en l’air te met en retard, je ne rentrerais plus dans aucune de mes jupes, renchérit Elena.

- Mais tu serais toujours aussi belle ! susurre Samuel.

Ma sœur se penche pour déposer un baiser sur ses lèvres et, dans un accord parfait, Adelie et moi mimons un haut le cœur.

- Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée que vous passiez trop de temps ensemble, tous les deux, râle mon meilleur ami en roulant des yeux.

Maintenant que je les vois côte à côte, la ressemblance entre Samuel et Adelie me paraît flagrante : même bouche, même cheveux d’un blond étrange, même peau parsemée de taches de rousseur. Mais, si Samuel a tout du viking, Adelie m’évoque plutôt une peinture de la Renaissance. L’image de la Naissance de Vénus s’impose à moi. Quelle tête ferait-elle si elle savait que je la compare au célèbre tableau de Botticelli ? Et soudain, mon cerveau s’emballe et dérive vers des pensées beaucoup moins chastes. Je me demande à quoi elle ressemble sous ses vêtements. Comment est ce corps dissimulé aujourd’hui par un pull large ? Puis mes yeux tombent sur le visage de Samuel. Comment réagirait-il s’il découvrait que je suis en train d’imaginer sa petite sœur entièrement nue ? D’ailleurs, à la manière dont il me fixe, on pourrait presque croire qu’il a deviné mes pensées.

- Encore du cake ? retentit soudain une voix inconnue. Qu’est-ce qu’il t’a fait, cette fois-ci ?

Face à nous, mains sur les hanches, se tient une brune d’une beauté spectaculaire. Jamais je n’oublierai ce qu'elle porte ce jour-là ! Un pull bleu marine moule son décolleté avantageux et dénude une de ses épaules rondes. Sa jupe, elle, est serrée à la taille puis s'épanouit jusqu’à ses genoux. Et elle est imprimée d’énormes homards. On la croirait tout droit sortie d’une revue de pin-up. Sa présence éclaire les visages de Samuel et Adelie. Quant à Adrian, il bave littéralement devant elle.

- Il était en retard.

- Encore ? À ce stade, c’est pathologique ! Les relations sexuelles consenties, c’est très sain, mais si ça prend toute la place dans ta vie, ça peut rapidement devenir une addiction, tu sais, me lance la brune, qui se tient debout à côté de Nathan.

- Euh… pardon, mais qui es-tu ?

- Isabelle, la meilleure amie d’Adelie. C’est donc toi, le fameux Bennett.

- Le fameux Bennett ? je demande en questionnant Adelie du regard.

Ses joues sont de la même couleur que les homards d’Isabelle, qu’elle foudroie du regard. Ce qui n’a pas l’air de la perturber plus que ça.

- J’ai énormément entendu parler de toi. Bennett a fait ci. Bennett a dit ça.

- Izzie ! s’étrangle Adelie plus rouge et plus adorable que jamais.

- Et sur moi, rien de fameux ? interroge Adrian, de sa plus belle voix de charmeur.

Isabelle le détaille avec une telle intensité qu’un instant, je me demande si mon pote ne va pas fondre comme un sundae au soleil. Puis, sa bouche s’étire en un sourire de chat.

- Pour l’instant non, mais tu pourrais avoir envie de remédier à ça.

Isabelle consulte son portable, dépose un baiser sur la joue de Samuel et pique un bout de gâteau dans l’assiette d’Adelie.

- En revanche, désolé beau gosse, mais ça sera pour un autre jour. Ce soir, Addie, Nate et moi avons d’autres plans.

Les deux autres se lèvent, rassemblent leurs affaires, nous saluent. Puis, à la dernière minute, Isabelle se tourne vers moi.

- Au fait, Bennett Lowell, sache que j’ai deux majeurs : un en chimie et un en médecine légale. En d’autres termes, je connais environ dix moyens de faire disparaître un corps sans laisser d'empreintes. Donc, si tu fais de la peine à cette fille que j’aime comme une sœur, sache qu’on ne retrouvera jamais le tien.

Elle m’a fait son petit laïus d’un ton calme, presque détaché, plus terrifiante encore que si elle s’était énervée. Je déglutis péniblement pendant que tout le monde se marre.

- C’est compris, joli cœur ?

- Oui madame !

- Parfait, s’exclame-t-elle dans un sourire.

Et elle s’en va. Ainsi s’achève ma toute première rencontre avec Isabelle Beauchamp.