Fyctia
6
New York, Café Fredericka the Great, octobre trois ans plus tôt.
Voilà presque un mois que j’ai retrouvé les bancs de la fac et la routine a repris ses droits. À une exception près : Adelie Hewitt. Que j’ai surprise à plusieurs reprises en train de tourner les talons quand elle m'apercevait dans les couloirs, à qui je prends un malin plaisir à envoyer des textos avec des questions idiotes auxquelles elle ne répond jamais.
Et qui vient de passer le pas de la porte du Freddie’s, le café de notre première rencontre, où je travaille comme serveur depuis ma première année.
- Salut ma beauté !
- Oh seigneur ! Pas aujourd’hui Bennett. Sérieusement, il n’y a pas un autre endroit où tu pourrais avoir l’air stupide ?
- Pas avant seize heures !
Elle secoue la tête, exaspérée, mais je vois une ombre de sourire flotter sur ses lèvres. Toute première fois où je la fais sourire, je suis à deux doigts d’effectuer une petite danse de joie ! Puis ses yeux se posent sur mon tablier marron et ses sourcils se froncent, créant un pli adorable juste au-dessus de son nez.
- Tu travailles ici ?
- Tu as deviné ça toute seule, ma beauté ? je la taquine, savourant ma vengeance même un mois plus tard.
Le pli s’accentue un peu et j’ai soudain pitié d’elle.
- Oui Hewitt, je bosse ici depuis deux ans.
Comme pour la coloc, j’ai trouvé ce job grâce à Adrian mon deuxième meilleur ami. Ses parents ont déménagé à Los Angeles quand il a obtenu son diplôme du lycée, lui laissant un appartement gigantesque dans l’Upper West Side en partant. Déprimé d’avance à l’idée d’y vivre seul, il a posté une annonce pour trouver des colocataires. Samuel avait déjà emménagé quand je suis venu le visiter. Une semaine plus tard, je quittais la chambre d’Elena, dans son appartement plein d’apprentis juristes, pour m’installer avec ceux qui allaient devenir mes meilleurs amis.
Quant à mon poste au Freddie’s, le café appartient à la belle-mère d’Adrian, Frederika. Un cadeau du père de mon pote quand il tentait de la séduire apparement. Quand j’ai expliqué à Adrian que je cherchais un job pour payer ma part du loyer, il a appelé sa belle-mère et trois jours après, j’étais embauché. Depuis, quand je ne suis pas à la fac, je sers des cafés et des pâtisseries à tous les aspirants auteurs ou créateurs de contenus de ce côté de Manhattan.
Adelie me fixe toujours, l’air nerveuse.
- Je te sers quelque chose à boire ? Un thé peut-être ? Avec un muffin ?
- Je ne suis pas venue pour consommer. Je… Sam a dit que je pouvais venir postuler pour du travail.
Elle vient pour un entretien d’embauche ! Impossible de retenir mon sourire pour la simple et bonne raison qu’en ma qualité de plus ancien de l’équipe, c’est à moi qu’on a confié la tâche de recruter les nouveaux et de les former.
- Tu tombes bien, j’ai un peu de temps pour te recevoir.
- C’est toi qui fais passer les entretiens ?!
La panique est perceptible dans sa voix. Mon envie de la taquiner se dispute à celle de la mettre à l’aise. Finalement la seconde l’emporte.
- On va aller s’installer dans un endroit plus calme. Tu es sûre que tu ne veux rien boire ?
- Je veux bien un thé, s’il te plait.
- Assieds-toi là, j’arrive.
Quelques minutes plus tard, je m’installe en face d’une Adelie plus que nerveuse et pousse vers elle une théière et une tasse. Ses mains tremblent tellement qu’elle manque s’ébouillanter.
- Eh bien, ça promet pour le service.
- C’est toi, tu me rends nerveuse !
- Oh, tu l’admets enfin ! Ne t’inquiète pas, ma beauté, c’est normal, je fais cet effet-là à beaucoup de gens, surtout la gent féminine.
Le regard qu’elle m’adresse me laisse à penser qu’elle envisage sérieusement la possibilité de me balancer la théière et son contenu à la figure.
- Je plaisante Hewitt, je plaisante. Passons aux choses sérieuses, il n’y a pas réellement d’entretien d’embauche, je vais juste t’expliquer en quoi consiste le boulot. Tu devras assurer le service et la préparation des boissons. On attendra de toi que tu sois ponctuelle, efficace et polie avec la clientèle, même si elle ne le sera pas toujours avec toi. Par exemple, comment réagirais-tu si un client venait pour te dire qu’il te trouve jolie ?
Question piège, nous en avons conscience l’un comme l’autre. Les yeux d’Adelie sont deux fentes vertes et si nous étions dans un film de super héros, je serais probablement réduit à un tas de cendres sur ma chaise.
- Je suppose que je lui dirais calmement que je ne suis pas intéressée et que, s’il devient trop insistant, j’en réfèrerais à mon supérieur, lâche-t-elle, les dents tellement serrées qu’elles grincent.
Puis un sourire machiavélique étire ses lèvres et elle ajoute :
- À moins qu’il soit vraiment mignon, dans ce cas, je prendrais peut-être son portable. Rien ne l’interdit dans le règlement du café, n’est-ce pas ?
J’ai envie de lui répondre que si, mais mes collègues auront vite fait de lui montrer le tableau de numéros de téléphone qu’on garde dans la réserve.
- Non, rien ne l’interdit. En revanche, on ne tolère pas le harcèlement, donc si quelqu’un te met mal à l’aise, n’hésite pas à le signaler.
- Et si ce quelqu’un est mon collège de travail ?
Le petit sourire sur son visage m’indique qu’elle plaisante. Mais à ce jeu-là, je suis le plus fort.
- Au fait, est-ce que tu sais chanter ?
- Chanter ?!
- Sam ne t’a pas dit ? Toutes les heures, pour divertir les clients, le personnel chante. Du coup, je vais devoir vérifier tes capacités. Je t’écoute !
Elle me fixe, se demandant visiblement si je me moque d’elle puis, face à mon air sérieux, elle rougit un peu et s’exécute.
- Start spreading the news, I’m leaving today. I want to be a part of it, New-York. New York.
Une fois encore, Adelie me prend à mon propre jeu. Sa voix chaude et veloutée est encore plus envoûtante quand elle chante. Je pourrais l’écouter des heures. Mais mon service va bientôt finir et j’étais sérieux quant à mon rendez-vous de seize heures.
- Bravo ma beauté, si le violon ne marche pas, tu devrais te reconvertir. J’aurais presque envie d’instaurer vraiment un tour de chant toutes les heures pour profiter de ta douce voix.
À l’instant où elle comprend ce que j’insinue, ses joues se colorent encore davantage et ses poings se serrent sur la table.
- Tu es vraiment un gros…
- Oh ! J’ai oublié de te prévenir, en tant que supérieur direct, tu seras obligée de m’appeler patron pour t’adresser à moi.
- Va te faire foutre !
Plusieurs têtes, dont celles de mes collègues, se tournent vers nous et Adelie rougit encore. Quel pourcentage de son sang peut remonter jusqu’à son visage avant qu’il n’y en ait plus assez pour faire fonctionner le reste de son corps ?
- C’est prévu…mais pas avant seize heures.
Elle se lève, attrape son sac et m’adresse un doigt d’honneur quand, alors qu’elle s’en va, je lui lance :
- Félicitation Hewitt, tu es embauchée ! On se retrouve à 15 heures demain pour ton premier jour.
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