Fyctia
5
New York, Lincoln Center, 7 décembre
Je suis pratiquement arrivé. Face à moi, sur le trottoir, se dresse le Lincoln Center, auréolé de la lumière chaude des trois bâtiments qui le composent et de cette aura des lieux qui ont vu passer plus de stars qu’on ne peut les compter.
La place est pour l’instant déserte, à l’exception de quelques touristes venus prendre des photos. Mais bientôt, les gens sortiront de l’Opéra, de la Philharmonique et du Ballet et l’endroit grouillera d’amateurs de spectacle en tenues de soirée.
Moi la seule chose qui m’intéresse, c'est la fontaine en métal noir qui trône au milieu de l’esplanade.
En l’approchant, je devine la silhouette d’Adelie, assise sur le rebord, qui se découpe en ombre chinoise. Elle fixe ses pieds et ne lève pas la tête quand je m’assieds à côté d’elle.
Elle a l’air tellement vulnérable comme ça, le dos courbé comme si elle portait tout le poids du monde et l’air abattu.
Un instant, j'envisage de la prendre dans mes bras. Mais je me ravise. Adelie ne tolère les contacts physiques que d’un très petit groupe de personnes et ma carte de membre est restée à New York quand je suis parti.
Pas de câlin donc, en revanche, je ne peux pas résister à entremêler mes doigts aux siens. À ma grande surprise, elle ne retire pas sa main. Au contraire, il me semble même qu’elle ressert un peu sa prise, mais difficile à dire avec mes gants.
Pendant plusieurs minutes, nous nous taisons. Et ce silence me fait plus mal que tout le reste. Parce qu’il n’y a jamais eu le moindre silence entre nous. Il y a quelques mois encore, on pouvait passer des nuits entières à discuter de tout et n’importe quoi. Aujourd'hui, je ne sais même plus comment entamer la conversation. Alors, quand se taire devient insoutenable, je lâche la première chose qui me passe par la tête, celle qui me brule les lèvres depuis que j’ai posé les yeux sur elle.
- Tu m’as manqué.
Aussitôt, elle retire sa main. Clac ! Je peux presque entendre le bruit de son esprit qui se ferme.
- Arrête tes conneries, Bennett, gronde-t-elle.
Mais elle manque de conviction, de la hargne à laquelle elle m’a habitué. C’est une supplique plus qu’un ordre, et quand je lève les yeux vers son visage à la recherche des siens, je les vois : les larmes qui ont roulé sur ses joues.
Adelie pleure. Adelie pleure à cause de moi. Une fois encore, je me retiens de justesse de l’enlacer.
Mais déjà, elle se lève, s’éloigne, croise les bras sur sa poitrine et se place face à moi, à distance, là où je ne peux pas l’atteindre. Malgré tout, je me penche et attrape ses poignets pour l’attirer plus près. Ses jambes viennent se caler entre les miennes, mais seules nos mains sont en contact.
- Ce ne sont pas des conneries, Hewitt. Tu m’as manqué.
Elle m’échappe à nouveau quand elle détourne le regard.
- Je croyais que tu avais quelque chose à me proposer.
C’est maintenant que tout se joue. J’inspire un coup pour me donner du courage et l’air glacial me brûle la gorge et les poumons.
- Une nuit.
- Quoi ?
- C’est tout ce que je te demande. Donne-moi une nuit, cette nuit, pour te prouver que tu m’as manqué, que je t’aime. Une nuit, jusqu’à ce que le soleil se lève, et si demain matin, tu n’as pas changé d’avis, si tu ne veux plus rien avoir à faire avec moi, alors je te laisserai tranquille. Il n’y aura plus de drague, plus d’amitié. Passe une nuit avec moi, Delilah. Une nuit, s’il te plaît.
Elle se mord la lèvre. Elle hésite. Je peux voir la bataille intérieure qui l’anime. J’entends presque les rouages de son cerveau tourner, ses neurones s’activer à peser le pour et le contre.
- Et si j’avais des projets pour ce soir ?
- Je te demanderais une nuit, une autre nuit, mais une nuit quand même. Mais je sais que tu n’as pas de projets pour ce soir.
Elle lève un sourcil, étonnée. Mon sourire entendu lui répond et la lumière se fait dans son esprit.
- Bande de traîtres !
Puis son regard se braque sur moi, noir comme la nuit.
- Tu arrives toujours à mettre tout le monde dans tes combines, hein ?
- Tu es la seule qui résiste à mon charme, Hewitt, tu le sais.
Je parle d’un ton taquin, mais mon cœur bat la chamade. Et si elle disait non ?
- Pas toujours.
Les deux mots quittent ses lèvres dans un souffle, pleins de peur, de chagrin et de regrets.
- Pas ce soir ?
Nouveau soupir, puis :
- Toi aussi, tu m’as manqué.
Et elle tourne les talons, s’en va. Elle n’a pas répondu. Il n’y a pas eu de oui, pas eu de non, juste l’ambiguïté de cette dernière phrase qui me cloue sur place alors que je la regarde partir pour la deuxième fois de la soirée. À la dernière seconde, elle s’immobilise et se retourne.
- Tu viens ou quoi ? J’ai vraiment envie de manger des pancakes.
La vague de soulagement qui s’empare de moi manque de me faire tomber quand je me lève précipitamment pour la rejoindre. Elle vient d’accepter le marché à demi-mot. Elle me donne une nouvelle chance, encore une, la dernière. Mais la nuit ne fait que commencer.
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Jodie P.M
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