AnnaShaw One Night Only 4

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New York, Juilliard, septembre trois ans plus tôt


  • Est-ce que tu crois que les pingouins ont des genoux ?
  • C’est qui ?

L’air perplexe d’Adelie est aussi adorable qu’hilarant. Plantée au milieu du couloir, elle fixe son portable, les sourcils froncés. C’est une bonne journée, une très bonne journée !


Je n’ai jamais trop aimé l’école, mais depuis que je suis entré à Juilliard, chaque nouvelle année qui commence est une fête. Et d’autant plus cette année, parce que qui dit rentrée dit revoir Adelie.


Je ne l’ai pas recroisée depuis notre rencontre explosive il y a quelques jours au café. Bien sûr, j’ai tenté d’en savoir plus sur elle. Mais si je me croyais discret, Samuel et Adrian se sont rapidement chargés de rétablir la vérité. Et comme ces deux enfoirés n’aiment rien de plus que se foutre de moi, ils ont passé leur temps à rire quand j’essayais de remettre le sujet sur le tapis. C’est quand Elena s’y est mise aussi que j’ai laissé tomber. Nous avons donc passé la semaine à faire semblant de ne pas parler d’elle.


Mais à l’instant où j’ai passé les portes de l’école, auréolé de ma gloire toute relative de troisième année, je me suis mis en quête de son visage parmi les dizaines des petits nouveaux et ceux de certaines de mes anciennes « élèves ».


Les étudiants de Juilliard se divisent en trois catégories : les musiciens et les chanteurs, identifiables aux partitions et instruments qu’ils trimballent avec plus ou moins de facilité. Les flûtistes et les violonistes ont clairement moins de soucis de mobilité que les contrebassistes ou les harpistes.


Ensuite viennent les comédiens qui traverseront bientôt les couloirs dans des tenues improbables, déblatérant à voix haute ou dans leurs barbes des répliques à mémoriser, le visage maquillé avec plus ou moins de discrétion.


Enfin viennent les danseurs avec leurs collants, leurs étranges chaussures fourrées et leurs chignons stricts pour les filles. Défaire ces chignons, de préférence dans un lit a constitué le passe-temps favori de ma première année. Et de la suivante aussi d’ailleurs !


Les danseuses sont les partenaires que je préfère : souples et magnifiques, si sages et si rigoureuses quand elles répètent, si sauvages une fois leur justaucorps retiré !


Les comédiennes arrivent en seconde position, mais je m’en méfie depuis qu’une certaine Anaïs, un peu trop impliquée dans son rôle, m’a menotté au lit avant de disparaître avec les clefs quand, en plein milieu de notre partie de jambe en l’air, elle a exigé que je lui promette un amour éternel, un bébé et un mariage. Il a fallu faire venir un serrurier pour me libérer et mes colocataires en rient encore à l’occasion. Les Françaises sont cinglées !


Les seules que j’évite comme la peste sont les musiciennes. Je serais sûrement amené à travailler avec certaines d’entre elles et je préfère ne pas mélanger boulot et plaisir. On ne sait jamais derrière quel joli minois se cache la prochaine Taylor Swift. Aucune envie de devenir célèbre parce que mes prouesses auront inspiré un tube, voire un album complet...


Les visages défilent sous mes yeux, connus, inconnus, avenants ou clairement hostiles. Et soudain, un bandeau rouge attire une nouvelle fois mes yeux, savamment mêlé aux boucles blondes de sa queue de cheval. L’air concentré, elle consulte son téléphone et je ne résiste pas à lui envoyer une question idiote. Ce qui nous ramène à sa mine perplexe. Je la laisse patienter dix secondes de plus, puis je m’avance vers elle :


- C’est qui ? Après notre rencontre de l’autre jour, je pensais t’avoir laissé un souvenir impérissable, ma beauté. Tu me vexes, sache-le !


Elle relève les yeux vers moi et me fixe avec un mélange d’agacement et de gêne.


- Comment tu as eu mon numéro ?


Avant que je n’aie le temps de répondre, Samuel débarque et écrase sa sœur dans un énorme câlin.


- Mon bébé ! Prête pour ton premier jour ?

- Sam, pose-moi ! J’ai pas six ans et tout le monde nous regarde.


Il la repose au sol et tente de lui ébouriffer les cheveux. Il est stoppé net par un regard noir. Regard qui se pose ensuite sur moi.


- Comment tu as eu mon numéro ? répète-t-elle.

- Sam me l’a donné.

- Tu lui as donné mon numéro ?!

- Juste en cas d’urgence. Qu’est-ce que tu lui as envoyé ?! Benn, je te jure que si c’est des photos de ta bite, je vais t’enfoncer mes baguettes dans un endroit où la lumière du jour ne pénètre jamais.

- Aussi tentante que soit cette proposition, je vais décliner. Tu joues du violon, ma beauté ?


Question idiote puisqu’elle tient l’étui dudit violon dans sa main et que je me doute qu’elle ne le trimballe pas pour l’aérer. Ce qu’elle ne se gêne évidemment pas pour me faire remarquer.


- Bravo génie, tu as deviné ça tout seul ? Et je ne suis pas ta beauté !

- Pas la peine de sortir les crocs, ma toute belle, c’est juste un petit nom affectueux.

- Tu me dégoûte ! Et petit nom qui a déjà dû servir vu les regards de certaines demoiselles.

- Jalouse ?


Elle roule des yeux tellement fort qu’un instant, je crains qu’elle ne reste bloquée dans cette position.


- Un jour, tu vas finir par apercevoir ton cerveau, je lui fais remarquer.

- Une prouesse qui n’est donnée qu’à ceux qui en possèdent un, répond-elle du tac au tac.


Samuel s’étouffe presque de rire. Rien de comparable malgré tout à son fou-rire quand il a compris que j’avais accidentellement dragué sa sœur avant de la reconnaître. Et que je m’étais fait rembarrer bien comme il faut. Mais j’ai eu ma vengeance lorsque Adelie lui a fait remarquer que ce ne serait pas arrivé s’il avait été à l’heure, au lieu de s’envoyer en l’air. Le spectacle de mon meilleur pote, les joues rouge vif et bégayant une tentative de mensonge, restera gravé dans mon esprit pour de nombreuses années.


- Crois-moi, tu ne préfères pas savoir de quoi mon cerveau est capable, Hewitt. Mais je me sens d’humeur charitable aujourd’hui et t’offre une visite privée des lieux pour t’éviter de te perdre. Non me me remercie pas c’est normal ! Sache que certaines tueraient pour être à ta place.

- Dans ce cas je la leur laisse volontiers. Je n’ai pas prévu de finir la nuque brisée dans un escalier, poussée par une de tes groupies. Et puis on m’attend. Bonne journée les garçons.


Et avant que je ne puisse la retenir encore un peu, ou lui demander qui l’attend, elle nous adresse un sourire, un signe de la main et disparaît dans le couloir, avalée par la foule.

Tu as aimé ce chapitre ?

70

70 commentaires

Jodie P.M

-

Il y a un an

Je trouve ça très intéressant que ton histoire se déroule en partie à Juilliard, je n'ai pas pour habitude de lire des romances qui se déroulent dans tout ce milieu artistique et j'adore ! Tu poses bien le décor sans trop en dire, mais juste le fait d'imaginer les trois catégories que tu as citées suffit à nous dresser l'image de l'école 😊. Et la répartie d'Adelie ? j'adore 😂

AnnaShaw

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Il y a un an

Adelie est dingue ! Et je suis ravie que l’ambiance un peu déjanté de Juillard te plaise !

Laureline Maumelat

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Il y a un an

les réparties sont savoureuses, parce qu'il faut bien avoué que Bennett est assez insupportable à lui donner des surnoms

Jenn Bl Writes

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Il y a un an

Juilliard : ma passion!! 🥰 Et la réf a Taytay 😍🎶

Poppy Sloan

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Il y a un an

Leurs échanges m'ont fait tellement rire 😆 J'ai passé un super moment avec ce chapitre et j'aime beaucoup l'humour que tu as insufflé dedans

EnolaPritchard

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Il y a un an

Ok je suis complètement conquise par ce chapitre. Les joutes verbales de tes persos sont juste hilarantes et franchement je passe un excellent moment en te lisant. C’est frais, c’est drôle, c’est addictif. Bref rien à dire

AnnaShaw

-

Il y a un an

Oh mais merci milles fois ! 🥹🥹🥹

Laura Luceo

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Il y a un an

Les joutes verbales sont incroyables ! Ça s’annonce explosif entre eux !

AnnaShaw

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Il y a un an

Ah ça, ça ne va pas être de tout repos !

Justine B

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Il y a un an

Accro aux joutes verbales de tes personnages 😂✋️ Et franchement si ça c'est un premier jet je suis hyper admirative de la qualité de ta plume, je l'aime toujours autant et mes commentaires seront de moins en moins constructifs 🫠❤️
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