Fyctia
Chapitre 42
Pour une fois dans sa vie, mon père s’est rendu utile, même si c’était malgré lui.
Le portable de ma mère se met à beugler sa sonnerie atroce au moment où elle serre le poing pour, j’en mets ma main à couper, l’envoyer en pleine figure du père de Swann.
Elle grogne, desserre le poing lentement, puis elle récupère son portable dans le fond de la poche arrière de son pantalon de travail. Elle soupire en voyant le nom qui s’affiche mais décroche quand même. Swann en profite pour agripper le tee-shirt de son père. Ce dernier, frustré par la situation, finit tout de même par se résigner.
— Toi ! crache-t-il une dernière fois à mon attention, son index pointé dans ma direction.
Puis, il s’éloigne vers sa maison, Swann sur les talons. Ce dernier jette un dernier coup d’œil dans notre direction, le regard vide. Pourquoi est-ce que nos parents s’évertuent toujours à nous séparer ? Même si cette rencontre n’a pas été des plus agréables, j’aurais peut-être fini par réussir à m’expliquer.
Élie me tire par le bras, me sortant de ma torpeur.
— Il est vraiment canon, souffle-t-elle. Tu m’étonnes que tu sois tombé sous son charme dès le premier regard !
— On est bien d’accord, je réponds, une pointe dans la poitrine.
Elle me traine jusqu’au coffre de la voiture. Ma mère est déjà dans la maison. Élie tire son énorme valise du coffre à bouts de bras. Cette dernière s’écrase sur le pavé dans un fracas immense. Elle a mis quoi là-dedans ? Un âne mort ?
— Je suis une fille distinguée moi, grommelle-t-elle tandis que je la dévisage. J’ai besoin d’avoir le choix, ok ?
— Je sais…
— Aide-moi au lieu de juger.
— Je suis un peu handicapé, je te rappelle.
Je lève mes béquilles. Elle claqua le coffre en levant les yeux au ciel. Son énorme valise bute contre chaque marche du perron. Je sens la colère monter crescendo. Ma meilleure amie n’est pas de nature très patiente.
— C’est quoi… ces marches… de merde !
Sa voix chevrote chaque fois qu’elle parvient à faire grimper la valise d’une marche. Elle enfonce la porte trop violemment. Cette dernière cogne contre le porte-manteau et ma mère, assise sur la première marche de l’escalier, grimace.
— Élie ! articule-t-elle en silence en lui jetant un regard noir.
— Oups ! Désolée, Joce !
Ma mère secoue la tête, l’air de dire « C’est bon, je te pardonne. Je t’aime tellement que je te pardonne toujours tout, direct ». Je lève les yeux au ciel, exaspéré. Élie pose ses yeux gris sur les escaliers qui mènent à ma chambre.
— Sérieux ? Comment est-ce qu’on va la monter ?
— Ne me regarde pas. C’est à cause d’eux que j’ai fini comme ça, grimacé-je en désignant mon plâtre. Je ne t’aiderai pas.
— Qu’est-ce que tu veux que je te dise, Olivier ? soupire ma mère, toujours au téléphone avec mon père. Appeler tous les jours ne changera rien. Il n’est pas prêt.
Élie grimace puis pose une main rassurante sur mon avant-bras.
Ma mère finit par raccrocher et aide ma meilleure amie à monter son énorme valise, tout en jurant. Puis elle part se coucher, épuisée.
— C’est quoi, son délire ? ricane Élie, plantée devant la fenêtre de ma chambre.
Je suis son regard.
— C’est pour que je ne puisse pas faire mon voyeur, je suppose…
— D’accord, mais les rideaux ça existe ! ajoute-t-elle d’un ton moqueur.
— À priori, les journaux c’est plus tendance, ricané-je à mon tour.
Ma meilleure amie se laisse tomber sur le bord de mon lit défait.
— Pourquoi est-ce que c’est ta mère qui a ton téléphone ?
Elle plaque Patrick contre sa poitrine et caresse sa grosse tête ronde. Elle s’allonge sur mon lit, posant ses bottines sur ma couette. C’est à ça qu’on voit à quel point ma mère cède tout à ma meilleure amie.
— Tes chaussures, crado !
Elle les retire une à une à l’aide de ses pieds. Ses bottines tapent contre l’encadrement de mon lit avant de dégringoler sur le parquet. Je me laisse tomber à côté d’elle avant de me coller contre son corps chaud et rassurant. Élie glisse sa main libre dans mes boucles blondes.
— Tu n’as pas répondu à ma question.
— Euh… à cause de ça, soufflé-je en relevant la manche de mon sweat.
— Oh, Alix.
Ma meilleure amie lâche Patrick pour saisir mon bras mutilé. Mon corps entier frissonne lorsque ses lèvres douces se posent sur mes cicatrices encore fraiches. J’ai l’impression d’être un chaton sans défense, dont la mère lèche les bobos. J’enfouis mon visage couvert de honte dans le creux de son cou.
— Je t’aime, chuchote-t-elle avant de déposer un baiser sur mes cheveux.
— Tu m’as manqué. C’est pas pareil sans toi.
— Et moi alors, qu’est-ce que je devrais dire ? Ce lycée est vraiment naze.
— Viens habiter ici…
— Tu sais que je le ferais si je pouvais. Bon alors… comment notre charmant voisin a pris la nouvelle ?
— Laquelle ? Que je suis trans ou que je lui ai menti pendant un mois ?
— Euh… les deux, je suppose ? J’imagine que ça ne s’est pas très bien passé, vu les journaux…
Je tends le bras au-dessus du corps mince de ma meilleure amie pour attraper Patrick.
— Il n’a aucun problème avec le fait que je sois trans. Il m’a même dit qu’il l’avait deviné tout seul.
— Ah ouais ? C’est une très bonne nouvelle, non ?
— Oui, oui… mais il m’en veut vraiment beaucoup de lui avoir menti pour… Eryn.
— Mmh… C’est vrai que ce n’était peut-être pas une bonne idée finalement…
Je me mords l’intérieur de la joue.
— Avoue que parfois tu as des idées de merde, El.
Elle laisse échapper un long soupir.
— Bon ok, j’avoue… Désolée, j’aurais dû te pousser à lui dire la vérité plutôt que t’inciter à faire un truc aussi débile. J’aurais dû comprendre plus tôt qu’il était vraiment important pour toi.
Je me tourne vers elle pour l’enlacer.
— Merci. Et moi, j’aurais dû lui dire la vérité tout de suite. J’ai vraiment merdé, El. Je ne sais pas quoi faire pour qu’il me pardonne…
— On a vraiment merdé, me corrige-t-elle tout en massant mon crâne de ses ongles manucurés.
Je ferme les yeux pour mieux apprécier la chaleur de son contact, son parfum au monoï de chez Yves Rocher qu’elle porte depuis le collège et qui sent l’été et les vacances, sa main qui me masse le cuir chevelu, réconfortante.
— Allez, glisse-toi sous les draps. Il est temps de dormir un peu.
Je m’exécute, encore tout habillé. Ses massages m’ont presque endormi et je n’ai pas la force de m’agiter. Élie enlève son jean et son soutien-gorge, qu’elle balance sur le parquet avant d’éteindre la lumière. Puis elle s’allonge à mes côtés, Patrick entre nous deux et sa main glissée dans la mienne.
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