Fyctia

— Bonjour, Alix. Je me présente, Céline Thomas.

Les murs du cabinet de la psychologue Thomas sont immaculés. Des diplômes et quelques tableaux d’art contemporain sont disséminés par-ci par-là. Le mobilier est très moderne, ce qui n’est pas forcément à mon goût. Mais le canapé est confortable, et c’est le principal.

Je me suis excusé une bonne dizaine de fois pour mon retard de cinq minutes. Elle a dû me pousser gentiment vers le canapé tellement je paniquais. Je ne suis pas à l’aise avec le changement. Surtout pour des choses aussi importantes que ma santé mentale. J’appréhende beaucoup ce rendez-vous. Et si nous ne sommes pas compatibles, elle et moi ?

Une grande bibliothèque blanche habille une partie du mur sur ma droite. Les livres y sont classés par couleur, j’adore ça. Bleu, vert, jaune, orange, rose, violet, rouge. Un vrai arc-en-ciel, comme on en voit tant sur Bookstagram. Un jour, j’aurai une bibliothèque comme ça, moi aussi.

Est-ce que je dois parler, maintenant ? Madame Thomas finit par briser le silence.

— Est-ce que tu veux me parler un peu de toi ?

— Euh… je…

Je prends une grande inspiration alors que la panique commence à me nouer la gorge.

— Je m’appelle Alix… J’ai… j’ai seize ans. Je suis en première. Et… euh… je suis transgenre.

La psychologue croise les jambes et pose son carnet sur ses genoux. Elle est installée face à moi, dans un fauteuil vert foncé qui a l’air vraiment confortable, lui aussi. Il a même des accoudoirs rembourrés, et des roulettes. J’adore les chaises à roulettes. Ça me détend de tourner dessus.

— Et qu’est-ce que tu aimes dans la vie ? Tu as des passions ?

Je gratte la peau autour de mes ongles, nerveux.

— Euh… oui, j’aime beaucoup… lire et… écrire.

— Oh ! Tu veux bien me raconter sur quoi tu écris ?

— Euh… j’écris des romans pour ados

— C’est formidable, m’encourage-t-elle.

Sa voix est douce, posée, comme je les aime. Elle a un visage rond, chaleureux. Ses cheveux sont retenus par un chignon mal fait, ce qui lui donne un air moins… intouchable ? Les professionnels peuvent parfois être très intimidants. Mais madame Thomas a cette étincelle qui la rend accessible. Elle me plait, pour l’instant.

— On m’a dit que tu venais d’intégrer un nouveau lycée en cours d’année, poursuit-elle. Comment est-ce que tu te sens ?

Je m’enfonce un peu plus dans le canapé. Ma mère l’at appelée. Elle ne peut pas s’en empêcher. Il faut toujours qu’elle dépasse les limites. Je sais que c’est pour se rassurer, mais c’est insupportable.

— Euh… c’est assez compliqué, en fait. Je… j’ai été victime de harcèlement dans mon ancien lycée, c’est pour ça qu’on a déménagé ma mère et moi… J’ai pensé naïvement que le fait d’intégrer un nouveau lycée me ferait aller mieux, mais… non.

Mes doigts fouillent mon sac à dos et se referment sur Patrick. Je l’attire à moi, nerveux. Madame Thomas hoche lentement la tête.

— Ce harcèlement que tu as subi, est-ce qu’il est dû à ta transidentité ?

— Oui.

— La situation a été gérée ?

— Mmh… plus ou moins. Mais après ça, je ne me sentais pas capable de rester dans cet établissement. Voir ces garçons tous les jours me rendait malade. Et même s’ils ne me frappaient plus, ils avaient toujours des choses déplacées à dire…

La psychologue penche légèrement la tête sur le côté.

— Je comprends. La décision que vous avez prise, ta mère et toi, était courageuse. Tout quitter pour reprendre à zéro ailleurs… tout le monde n’est pas capable de le faire. Surtout à ton âge. Est-ce que tu t’es fait des amis dans ton nouveau lycée ?