Fyctia
Chapitre 38 (1/2)
— Elle était très gentille et très à l’écoute, n’est-ce pas, Olivier ?
Mon père hoche la tête, pensif. Je l’observe dans le rétroviseur. Pourquoi est-ce qu’il conduit la voiture de ma mère ? Qu’est-ce qu’il fait vraiment ici ? C’est presque comme s’il n’avait jamais quitté la maison. Sauf qu’il l’a quittée. Pendant quatre putains de longues années. Ma mère est drôlement calme à son contact, ce qui m’inquiète beaucoup. Ils ne vont quand même pas se remettre ensemble, si ?
— Je suis contente qu’elle ait pris notre plainte au sérieux. En même temps, on a la chance si j’ose dire, de connaître au moins quelques uns de ces gnomes dans la vraie vie…
— Trolls, la reprend mon père, les lèvres pincées en un petit sourire.
— Trolls, se corrige-t-elle en levant les yeux au ciel. J’espère que leurs parents vont prendre ça au sérieux cette fois. J’en ai ma claque de toutes ces conneries.
— Langage, couiné-je, recroquevillé sur mon siège, ma capuche vissée sur mes cheveux en bataille.
Ma mère me tire la langue à travers le rétroviseur, et je lui rends la pareille.
— Elle est moche, ta langue. Bon, qu’est-ce que vous voulez faire du reste de l’après-midi les garçons ? Pour une fois que j’ai une journée complète de repos, je me suis dit qu’on pourrait faire quelque chose de spé…
— Euh… Tamara va s’inquiéter si je passe tout mon temps avec vous… chuchote mon père en se penchant vers ma mère.
— Oui, enfin c’est quand même ton fils, ricane ma mère. Tu n’as qu’à l’inviter à se joindre à nous.
— Euh… c’est qui, Tamara ? me risqué-je, même si je pense avoir déjà compris.
— La fiancée de ton père, balance ma mère sans prendre de gants.
— Fiancée ? m’étranglé-je.
— Je voulais te le dire moi-même, répond mon père en jetant un regard accusateur à ma mère. Mais on n’a pas vraiment eu l’occasion de parler toi et moi…
— On ne peut pas dire que tu aies vraiment fait d’efforts pour, balancé-je avant de le regretter immédiatement. Désolé…
— Non, tu as raison.
Ma mère intime à mon père de tourner à la prochaine à droite.
— J’ai rencontré Tamara il y a un peu moins d’un an, reprend-il, les yeux fixés sur la route. Elle m’a fait ouvrir les yeux sur énormément de choses… c’est en grande partie grâce à elle que je suis ici aujourd’hui.
— Elle doit vraiment être géniale alors, grommelé-je.
Il jète un rapide coup d’œil dans le rétroviseur.
— Oui, elle l’est. Je suis sûr que tu l’adorerais.
Je croise les bras sur mon torse, boudeur.
— Si tu le dis.
— Tiens, prends par là, nous coupe ma mère en pointant son bras vers la gauche.
Son index s’écrase contre le nez de mon père qui étouffe un cri de surprise. Je ne peux m’empêcher de rire.
— Désolée !
Elle baisse la vitre côté passager. L’air marin chatouille mes narines.
— Regardez-moi ça ! Ce magnifique soleil… C’est une journée idéale pour aller nager.
— Maman, on est au mois de février. Ça va pas, la tête ? On va mourir d’hypothermie !
— Oh mon dieu, ce que tu es rabat-joie ! C’est toi l’ado, et pourtant tu as déjà la mentalité d’un vieux croulant.
— Quoi ? m’exclamé-je, outré.
— Regarde ces surfeurs, dit-elle en pointant le doigt vers l’horizon bleutée. Ils profitent de l’instant, eux.
— Oui, enfin ils ont des combinaisons exprès, hein.
Les pneus crissent sur la terre battue et caillouteuse du parking, puis la voiture s’arrête juste avant la falaise rocheuse. Mon père enclenche le frein à main avant de détacher sa ceinture.
— Allez, on va aller respirer le bon air ! Et propose à Tamara de nous rejoindre, ajoute-t-elle en tapant gentiment l’épaule de mon père de son poing.
C’est quoi, ce geste étrange ? Depuis quand ma mère chahute avec mon père, du genre « T’es mon bro » ? Je cligne des yeux, troublé. Au moins, la case « possible rabibochage de parents » peut être rayée, et c’est un réel soulagement. Ma mère mérite mieux. Et moi aussi.
L’air marin me frappe de plein fouet quand je descends de la voiture. Ma mère compte vraiment se baigner avec ces températures ? Elle est encore plus givrée que je le pensais. Ses longs cheveux châtains volent au vent lorsqu’elle dévale la pente sablonneuse en courant. Le sable s’engouffre dans ma Van’s et les plis de mon plâtre alors que je lui emboite le pas.
Mon père ferme la marche, accroché à son téléphone. Ma mère se baisse pour enlever ses chaussures. Elle roule le bas de son jean et se remet à courir en riant. Elle est si belle, si libre, là tout de suite. Son visage est lumineux. On dirait une enfant qui voit l’océan pour la première fois.
Je retire ma chaussure et la dépose à côté des siennes. Le vent s’engouffre dans ma capuche et libère mes cheveux indomptables. Mes boucles blondes dansent autour de mon visage, incontrôlables. Je hume l’air. Ça sent les algues et le sel. Je ferme les yeux et écarte les bras. Le vent s’enroule autour de moi, s’insinue sous mon sweat, m’arrache des frissons. Mes oreilles sifflent mais je souris. Je me sens libre, moi aussi. Ma mère attrape ma main et m’entraine en avant. Je trébuche, surpris. Elle me rattrape in extremis.
— Maman ! m’écrié-je, mais c’est trop tard.
Elle passe son bras sous mes jambes et me soulève. Puis elle entre dans l’eau qui doit être glaciale. Son corps tremble. Elle me fait tournoyer. Les vagues s’écrasent sur nous, éclaboussent nos vêtements et mon plâtre. Ma mère a de l’eau jusqu’au dessus des genoux. Je m’agrippe à sa veste et serre les fesses à chaque vague qui vient mordre le bord de la plage.
— Maman, pose-moi par terre…
— Pourquoi ? On est pas bien là ?
— Je… euh… mon plâtre va prendre l’eau…
— Mais non ! Allez, relâche la pression, Alix.
Elle me fait tournoyer à nouveau sans que j’ai le temps de m’y préparer. Je serre les dents. Pourquoi est-ce que j’ai honte, comme ça ? Il n’y a personne autour pour nous juger. Hormis les mouettes, qui semblent nous observer et rire quelques mètres au dessus de nos têtes.
— Olivier ! Viens mettre les pieds dedans !
Mon père, dont le portable est vissé à l’oreille, secoue la tête. Ma mère sort de l’eau et me repose par terre.
— Maman ?
— Oui, mon cœur ?
— Ça va ?
— Oui, pourquoi ? demande-t-elle, sincèrement étonnée.
— Bah… papa a l’air d’avoir refait sa vie…
— Et alors ? C’est bien pour lui, non ?
— Je... suppose ?
Elle glisse sa main dans la mienne avant de se mettre à marcher le long de l’océan.
— Ça m’a pris du temps pour faire le deuil de notre relation. Mais j’ai fini par me rendre à l’évidence qu’il ne reviendrait pas. C’est la vie, dit-elle en haussant les épaules. Je suis sincèrement contente pour lui qu’il se soit trouvé quelqu’un.
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