Fyctia
Chapitre 36 (1/3)
Ma mère a mis ma chambre sens dessus dessous et m’a confisqué tout ce que j’avais de coupant ou pointu, jusqu’à mon coupe-papier, qui de toute évidence, ne coupe pas. Par contre, ce qu’elle a oublié de prendre, c’est mon ordinateur.
Malheureusement pour moi, parce que j’ai passé la quasi totalité de la nuit à scruter le moindre commentaire me concernant ou concernant Eryn sur Instagram. Les gens s’étaient fait plaisir avec des théories plus farfelues les unes que les autres pour trouver ce qui nous relie, @Eryntrans et moi.
Élie me faisait des avatars depuis des années, parce que forcément, je refuse de montrer mon visage sur les réseaux. Ils avaient comparé ses illustrations aux photos de moi qui avaient tournées grâce à mes anciens harceleurs. Et tout ça sous mon dernier post Instagram puisqu’Eric, le garçon de ma classe avait supprimé le sien.
Je me retrouve noyé sous les mp. Mes abonnés s’inquiètent pour moi. D’autres me harcèlent et je ne sais pas comment réagir. Est-ce que je dois répondre ? Leur dire de me laisser tranquille, leur dire que je n’ai rien à voir avec ce garçon prénommé Alix ? Est-ce que je dois supprimer mon compte ? Ça paraîtrait suspect, et j’avais mis tant d’années à me créer ma communauté que l’idée me rend malade. Je passe la main sur mes traits fatigués. J’avais dû dormir trois heures à tout casser.
Je me connecte à Wattpad pour me changer la tête et poster le prochain chapitre du premier tome de In Between. Bon, on m’a harcelé là-bas aussi. Alors que c’est un réseau social d’écriture, purée. Je suis démuni. Comment est-ce que je dois réagir face à cette vague de haine qui me tombe sur le coin de la figure ?
Le pire, c’est que j’avais connu le harcèlement pendant des années. Je devrais avoir les ressources nécessaires pour me défendre, cette fois. Mais, sur internet, sous couvert d’anonymat, les harceleurs sont encore cent fois plus abjectes. Parce qu’ils savent pertinemment qu’ils ne craignent presque rien.
Et pour couronner le tout, Swann m’avait écrit un pavé. J’avais évité de l’ouvrir une bonne partie de la nuit, parce que j’ai peur de ce qu’il contient. Et s’il m’insulte, lui aussi ? Et s’il ne veut plus entendre parler de moi ? Genre, plus jamais jamais ? Cette pensée me rend malade.
Je sors ma tête de sous la couette et jète un coup d’œil nerveux par la fenêtre. Malheureusement, je n’ai plus accès à Swann. Il a décidé de recouvrir son double vitrage de pages de journaux pour que je ne puisse plus le voir. Je comprime la grosse tête ronde de Patrick contre ma poitrine et chuchote :
— Toi aussi, j’ai du mal à te regarder maintenant. Pourquoi est-ce que tout me fait penser à lui ? Pourquoi est-ce qu’il a fallu qu’il te donne un nom ?
Je le détache un peu de moi et fixe ses grands yeux noirs. Il ne peut pas me répondre, ce n’est qu’une foutue peluche, mais son regard posé sur moi me donne le courage d’ouvrir le message privé de Swann. Une bonne fois pour toutes.
@Griminal -
Si je suis tout à fait honnête avec moi-même, je pense que je savais au fond de moi. Que c’était toi. Je ne voulais juste pas l’admettre. Je ne voulais pas que ce soit vrai. Je n’ai jamais voulu te rencontrer, Eryn. Tu devais rester virtuel, mon ami virtuel. Le seul à qui je me confiais. Tu devais rester un idéal, quelqu’un d’intouchable quelque part, de spécial. J’ai vraiment du mal à digérer le fait que tu saches toutes ces choses sur moi alors que maintenant, tu es réel.
Quelle était la probabilité que ça arrive ? Je veux dire, est-ce que l’univers a décidé de me la mettre à l’envers ? En tout cas, là tout de suite, ça y ressemble. J’avais tellement d’admiration pour Eryn, depuis mes treize ans. Il m’a aidé à surmonter tellement d’obstacles, tellement de passages à vide pendant lesquels je ne voulais qu’une chose, disparaître. Ses histoires m’ont littéralement sauvé la vie.
Et toi, Alix, tu débarques de nulle part, et tu piétines tout. Tu envoies valser la seule amitié que j’avais. Et tu fais semblant de ne pas savoir pendant des semaines. Mon monde vient de s’écrouler par ta faute. Si seulement, tu avais eu l’honnêteté de me dire les choses… Je me doute qu’apprendre que ton voisin se trouve être, comme par hasard, l’un de tes abonnés soit perturbant, et je comprends que tu aies eu peur pour ta réputation ou je ne sais quoi…
Mais dans ce cas, pourquoi est-ce que tu ne m’as pas envoyé promener ? Pourquoi est-ce que tu m’as laissé venir à toi ? Pourquoi est-ce que tu m’as laissé tomber amoureux de toi et pourquoi est-ce que tu m’as trahi comme ça ? Sans parler du fait que je t’ai parlé de toi sans arrêt depuis que tu as débarqué au lycée, je t’ai avoué mes sentiments pour toi alors qu’on se connaissait à peine…. Je me sens tellement honteux. Et en même temps, tu me manques. J’aimerais tellement ne plus rien ressentir…
Les larmes s’agglutinent aux coins de mes yeux. Je n’ai jamais voulu ça. Tout ce que je voulais, c’était qu’on m’aime. Non, pas qu’on m’aime… Qu’il m’aime. Je l’ai voulu dès la seconde où je l’avais vu, en cours de littérature. J’ai déjà eu des sentiments pour d’autres garçons avant lui, mais ils n’étaient rien en comparaison de ce que je ressens pour Swann.
Je passe l’heure d’après à tenter de trouver une réponse à lui envoyer, mais tout ce que je peux bien écrire n’est jamais à la hauteur. Je ne suis pas à la hauteur.
Je ferme toutes mes pages internet, désactive le wifi, et ouvre un nouveau document Pages. Je laisse échapper un long, très long soupir et lui donne un nom : On both sides.
Je ne peux plus m’arrêter de vomir des mots. Les pages se noircissent à mesure que le soleil monte dans le ciel. J’ai mal aux yeux, parce que je suis épuisé, mais l’inspiration pousse mes doigts à glisser sur le clavier comme des possédés.
Cette nouvelle histoire est la nôtre. C’est la façon que j’ai trouvé pour m’excuser. La seule qui fonctionne vraiment. C’est facile, fluide, naturel. Je peux y déposer toutes mes peurs, mes appréhensions, ma douleur, ma culpabilité. Je peux rejouer les scènes qui m’ont le plus touché. Enjoliver celles qui se sont moins bien déroulées. Fantasmer sur ce qui aurait pu se passer, aussi. Je suis maître de mon histoire, il n’y a aucune place pour l’inconnu. Enfin, dans une certaine mesure, car parfois mes personnages prennent le dessus sur moi, et réécrivent l’histoire à leur convenance.
14 commentaires
Arca Lewis
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Il y a 2 ans
Mauranne BP
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Il y a 2 ans