Fyctia
Chapitre 10
Swann était allongé sur mon lit, une part de pizza coincée dans la bouche. Il griffonnait frénétiquement dans un petit carnet qu’il avait acheté exprès pour ce projet. De mon côté, ça faisait bientôt deux heures que je faisais des recherches sur la façon d’écrire une pièce de théâtre parce que c’était un domaine qui m’était totalement étranger, même si j’en avais déjà lues. Et plus je faisais de recherches, plus je commençais à douter de mes capacités. Et si on était trop ambitieux ? Et si notre choix ne plaisait pas ? Et si on faisait quelque chose à côté de la plaque ? Et si… Et si on se plantait ?
— Tu ne manges pas ? me demanda Swann, me sortant des méandres de mon cerveau.
— Euh… Je n’ai pas faim, mentis-je.
— Je peux manger ta moitié ? risqua-t-il.
— Oui, bien sûr, lui souris-je.
Il me remercia d’un signe de tête et attrapa une autre part. Il jura quand un morceau d’oignon tomba sur mon oreiller.
— Désolé, souffla-t-il avant de le ramasser et de le manger.
— C’est rien, le rassurai-je. Ça me forcera à changer les draps, ris-je.
Swann me dévisagea, la bouche ouverte.
— Euh… Ça fait pas si longtemps, hein, balbutiai-je. Je… Je ne suis pas un crado… couinai-je.
Il se mit à rire avant d’enfourner la pizza dans sa bouche.
— Tu m’as fait peur, ricana-t-il.
Il me bouscula, et je m’étranglai avec ma propre salive.
— Alors, tu avances bien dans tes recherches ? demanda-t-il.
Je me ratatinai en soupirant.
— Je ne sais pas si j’en suis capable, admis-je.
Il lâcha son carnet et se redressa pour me faire face.
— Et moi je suis sûr que si. J’ai confiance en toi, Alix.
L’entendre dire mon prénom me fit l’effet d’une claque. Il allait me rendre complètement dingue avec son visage parfait, son sourire magnétique, ses yeux si bleus et sa main sur ma cuisse.
— Tu sais ce qu’on va faire ? ajouta-t-il.
Je secouai la tête, incapable de parler.
— Je vais aller chercher ma guitare, et on va improviser quelque chose.
Je secouai la tête plus vivement cette fois. J’en étais incapable.
— Allez, insista-t-il. On va s’amuser.
Swann attrapa ma peluche et la mit entre nous deux.
— On va bien s’amuser, dit-il avec une voix insupportable, comme si Patrick avait la capacité de parler.
Puis il quitta la pièce, Patrick sous le bras. La porte d’entrée claqua derrière eux, et je me laissai tomber sur le lit, le coeur battant.
***
Ça faisait une heure que Swann était parti chercher sa guitare. Il habitait la maison collée à la mienne. Ce n’était pas logique. Son sac était toujours par terre et son carnet gisait sur mon oreiller. Il ne s’était pas enfui. Et puis, il retenait Patrick en otage, et je ne pouvais pas dormir sans lui. Je me redressai pour aller regarder par la fenêtre. La nuit était en train de tomber, ma mère n’allait pas tarder à rentrer. Ma peluche panda était posée sur le rebord de la fenêtre de Swann. Et, au dessus d’elle, un papier collé sur le double vitrage : « Mon père ne veut pas que je sorte, désolé ». Mon coeur se ratatina dans ma poitrine. Je me laissai tomber sur ma chaise, le regard perdu dans le vide. Une ombre passa, puis Swann s’avança avec un autre papier : « J’ai passé une super journée ». Je souris et attrapai une feuille : « Moi aussi 💛 ». « Je prendrai soin de Patrick », brandit-il. « Et moi, de toutes tes affaires », répondis-je. « Bonne nuit », écrit-il avant de disparaître et d’éteindre la lumière de sa chambre.
J’étais d’humeur à ranger, étrangement. Peut-être à cause des miettes de pizza éparpillées sur mon oreiller et mes draps. Je m’affairai en me faisant violence pour ne pas toucher aux affaires de Swann. Je posai son carnet sur mon bureau et son sac au pied de ma chaise. Je mourrais d’envie de fouiller dans tous ses cahiers pour regarder ce qu’il griffonnait. Mais ça ne se faisait pas. Il me les montrerait s’il en ressentait le besoin. Je n’avais aucun droit.
Une fois mon ménage fait, je me souvins que je n’avais toujours pas répondu à Griminal. Et il m’avait renvoyé des messages entre temps.
@Griminal - 9h13
Vraiment désolé pour le harcèlement. Je crois que je vais pouvoir arranger le coup avec lui. Je vais chez lui, là 🤞
@Griminal - 17h55
Eryn, je suis sur un petit nuage… Je crois que je lui plais. Je ne sais pas trop comment l’expliquer. J’ai l’impression que le feeling passe bien… Bref.
@Griminal - 17h58
En plus, son passage préféré de Boy next door, c’est le même que moi. C’est un signe du destin, tu ne crois pas ?
@Griminal - 17h59
Et en plus, j’ai sa peluche. Elle sent bon son odeur. J’ai l’air d’un taré, je sais. Mais je n’y peux rien, je crois que… Tu crois aux coups de foudre, toi ? Wouah, qu’est-ce que je suis ridicule. Bref. Désolé, j’ai recommencé à te harceler 😅 PS : J’ai donné un petit nom à sa peluche parce qu’elle n’en avait même pas ! Je l’ai appelée Patrick. Ça me fait rire. Patrick 🤭
Je me redressai violemment. Quoi ? Je remontai la conversation jusqu’au pavé. Mon dieu. Mon dieu, mon dieu, mon dieu. C’était impossible. Impossible. Griminal et Swann… étaient la même personne ? Quelle était la probabilité que quelque chose d’aussi délirant m’arrive ? Je n’en revenais pas. Le monde était-il si petit ? Je me sentais tellement mal. J’étais un imposteur. Swann se confiait à moi depuis des années. Je savais plein de choses sur lui, sur ses problèmes. C’était à moi qu’il avait fait son coming-out en premier. C’était à moi qu’il parlait quand il n’allait pas bien. J’étais son confident, parce que c’était plus facile pour lui de se confier à quelqu’un qu’il était certain de ne jamais croiser dans la vraie vie. C’étaient ses mots. Il n’avait confiance en personne. À part en Eryn. Et maintenant ? Je ne pouvais pas faire comme si de rien n’était. Ce ne serait pas correct. Mais je ne pouvais pas non plus lui dire la vérité. Il allait me détester. Ou alors, pire, il allait profiter de moi et de ma « notoriété ». Et puis, ça impliquerait qu’il sache pour ma transidentité. C’était hors de question.
Je pouvais juste arrêter de lui répondre. Mais il n’allait pas comprendre pourquoi d’un coup je l’ignorais alors que j’avais toujours mis un point d’honneur à lui répondre. Et puis, je tenais énormément à Griminal. Il avait toujours été là, depuis mes débuts. Il m’avait toujours soutenu, épaulé. M’avait remonté le moral chaque fois que j’avais eu des coups de mou. Je ne pouvais pas lui faire ça. J’étais tiraillé. La vie me souriait enfin. Pourquoi est-ce que le destin s’évertuait toujours à me cracher dessus ? Qu’est-ce que j’avais fait pour mériter un tel acharnement ? Malgré moi, je m’étais immiscé dans son intimité. Il avait confié ses sentiments pour moi à Eryn, pas à moi. Je me sentais tellement coupable d’avoir lu tout ça. Ça ne m’était pas destiné. Je n’aurais jamais dû y avoir accès. Je n’arrivais même pas à m’en réjouir alors qu’au fond, j’avais envie de pleurer de joie. Parce que j’étais un imposteur. Un putain de mensonge ambulant.
***
Merci pour votre soutien, vraiment 😍
56 commentaires
La Plume d'Ellen
-
Il y a 2 ans
Mauranne BP
-
Il y a 2 ans
Célinha
-
Il y a 2 ans
Mauranne BP
-
Il y a 2 ans
Lyaure
-
Il y a 2 ans
Mauranne BP
-
Il y a 2 ans
Lyaure
-
Il y a 2 ans
Arca Lewis
-
Il y a 2 ans
Lyaure
-
Il y a 2 ans
Arca Lewis
-
Il y a 2 ans