Fyctia

— Merde, tu es en vie ! cria-t-elle après la première sonnerie.

— Désolé, ricanai-je.

— Pourquoi tu as ignoré mes appels ? demanda-t-elle, plus sérieusement.

— Je… Je ne me sentais pas très bien, admis-je. J’ai fait une boulette avec mon charmant voisin.

Elle me poussa à tout lui raconter dans les moindres détails. Son visage se décomposa au fur et à mesure de mon monologue.

— Putain de merde, s’écria-t-elle. Putain, le monde est petit quand même, nan ? Il fallait qu’il te connaisse ! Et en plus, il veut utiliser un de tes textes pour un devoir ? Putain, je l’aime vraiment trop. Faudra que tu me le présentes quand je viendrai te voir aux prochaines vacances.

— Tu viens aux prochaines vacances ? m’écriai-je.

— Bah oui. C’est évident. Je te manque trop, je le sais. Tu vas mourir sans moi.

— Et après c’est moi qui passe mon temps à exagérer ? me moquai-je.

— Assume ! insista-t-elle. Assume que tu ne peux pas te passer de moi.

— Je l’assume, m’offusquai-je. C’est bien pour ça qu’on s’appelle dix fois par jour !

— Mhh, c’est pas faux. Bon, alors… Qu’est-ce que tu as décidé ?

— De me noyer dans ma tasse de chocolat chaud pour ne pas avoir à affronter la réalité, maugréai-je. Comme ça, je pourrais boire du chocolat à l’infini, coincé dans ma boucle temporelle. N’est-ce pas une belle fin ?

— Mon dieu. Tu me désespères tellement, parfois. Je vais faire comme si je n’avais rien entendu, et te donner un conseil, plutôt.

— Et si je n’en veux pas ? risquai-je.

— Eh bien, je te le donnerai quand même, répondit-elle, le nez plissé. Tu devrais le faire, dit-elle.

— Faire quoi ?

— Tu devrais faire ce projet sur Boy next door. Ce roman est excellent. Et tu sais que je suis capable d’être objective. Quand je trouve que ce que tu écris est merdique, je te le dis.

— Et tu ne mâches pas tes mots, soufflai-je en regardant par la fenêtre.

— En effet. Ça fait partie de mon charme. Les sujets que tu abordes dans ton roman prennent aux tripes. Tu as une plume d’une telle sensibilité que même mon coeur de pierre pleure parfois. Ce Swann a très bon goût. Tu devrais lui faire confiance.

— Mais… et si les autres détestent ? Je ne suis pas prêt à recevoir des critiques de vive-voix, admis-je.

— Tu es au lycée, ricana-t-elle. Y aura forcément des trous du cul qui vont dire que c’est de la merde juste pour t’humilier. Mais personne ne saura que c’est de toi. Donc, qu’est-ce que tu as à perdre ?

— Ma dignité ? risquai-je.

— Tu as une dignité, toi maintenant ? me provoqua-t-elle.

— Tu es vraiment de la pire espèce, m’offusquai-je. Mais tu n’as pas tort, quelque part. Et… J’ai déjà le passage idéal, ajoutai-je, les yeux perdus dans le paysage.

— Tu vois. En vrai, tu meurs d’envie de réinterpréter Boy next door. Lance-toi. Je suis certaine que tu vas tout déchirer.

— Tu as beaucoup trop d’estime pour moi, ricanai-je. Mais merci pour ton soutien. Vraiment. Je… Je vais essayer de voir mon charmant voisin aujourd’hui.

— Fonce, bébé ! m’encouragea-t-elle. Habille-toi super canon et donne tout ce que t’as. Au moins, avec toute cette histoire, tu es fixé sur un point. Je te l’avais bien dit : ce mec est gay !

— Ouais, soupirai-je. Mais qu’il soit gay ne signifie pas que je lui plais. Je tiens quand même à te rappeler que ce n’est pas parce que tu as une attirance pour les personnes du même sexe que toi que tu veux sauter tout ce qui bouge.

— Merci, je suis au courant ! Tu me prends pour qui ? beugla-t-elle. Je raccroche, pétasse !

Elle me fit son plus beau doigt d’honneur et mit fin à notre appel vidéo. Qu’est-ce que je l’aimais, cette fille. Je serai perdu sans elle.

Je pris une grande inspiration et attrapai une feuille volante posée à côté de mon imprimante. Je m’appliquai à écrire le plus gros et plus épais possible à l’aide de mon fidèle Posca doré « J’ai réfléchi » avant de coller la feuille sur le double vitrage de ma fenêtre.

Puis je m’assis à mon bureau pendant ce qui me parut une éternité, avant que Swann se pointe à sa fenêtre, tenant à bout de bras une feuille avec écrit : « Je passe ? ». Le coeur battant, je hochai la tête avant de me rendre compte que je n’étais pas coiffé, en pyjama et que je ne ressemblais à rien.