Fyctia

— Salut.

— Euh… Salut, soufflai-je alors que Swann prenait place à côté de moi en littérature.

C’était le cours que j’attendais le plus. Déjà, parce que c’était ma matière préférée. Et… Parce que c’était l’occasion pour moi d’être proche de lui. De sentir l’odeur de sa lessive et de la cire qu’il mettait dans ses cheveux lorsqu’il les attachait. Mon voisin de table passait son temps à griffonner des phrases dans les marges de son cahier. J’essayais de ne pas les lire, j’essayais vraiment. Mais mes yeux n’écoutaient pas mon cerveau. Ils n’en avaient rien à faire de ce qu’il avait à dire. Ils voulaient tout voir, tout analyser et tout mémoriser.

— Bon, les jeunes, annonça la professeure, me sortant de ma contemplation, j’ai envie de m’amuser un peu. Je vous avais dit il y a quelques semaines que j’allais bientôt vous donner un devoir de groupe. J’hésitais entre plusieurs projets, et j’ai fini par me décider. Je vous entends déjà protester, mais je vous assure que ça va être amusant. Je vais vous demander de vous mettre par groupe de quatre.

Tout le monde se regarda, puis les chaises commencèrent à grincer. J’avais la boule au ventre. Je ne connaissais personne, et personne ne semblait vouloir de moi. Je passai la main dans mes cheveux, anxieux, et attendis que le silence retombe.

— Alix, Swann, vous ferez le projet tous les deux, puisqu’il ne reste que vous… Alors, vous aimez le théâtre, n’est-ce pas ? continua-t-elle en s’avançant vers le fond de la classe, les mains dans le dos.

Swann se dandina sur sa chaise avant de se tourner vers moi.

— Ça te convient ? me demanda-t-il.

Je hochai la tête, mortifié. Bien sûr que ça me convenait. Ce que je ne comprenais pas, c’était pourquoi il n’avait pas bougé pour trouver un groupe.

— Vous me faites peur, madame, intervint une élève dans le fond de la classe.

— Mais non, mais non, ne soyez pas comme ça. Que diriez-vous… nous nargua-t-elle en slalomant entre les tables, de nous montrer vos talents d’interprètes ? Lire, c’est très bien. Mais vivre une lecture, c’est autre chose. J’ai envie de voir ce que vous avez dans les tripes. J’ai envie de voir comment vous interprétez ce que vous lisez. Vous êtes libres de prendre n’importe quelle oeuvre, pièce de théâtre, ou non.

Des murmures parcoururent la salle. Je me recroquevillai sur ma chaise lorsqu’elle passa à ma hauteur.

— Disons que je vous donne un mois. En un mois, vous devez être prêts à monter sur scène pour… Allez, disons au minimum dix minutes, et maximum une demi-heure. Et cette note comptera pour la moitié du trimestre, donc je vous fais un immense cadeau, là.

Elle s’arrêta au niveau de Swann, qui griffonnait toujours dans les marges de son cahier. Il leva la tête, puis demanda :

— Quand vous dites n’importe quelle oeuvre, ça doit forcément être un ouvrage édité du coup ? Ou est-ce que ça peut être un oeuvre publiée en ligne ?

La professeure parut décontenancée une minute.

— Tant que l’écriture est professionnelle, ça me va, répondit-elle. Mais pas de fanfictions bidons, pour l’amour du ciel.

Je me ratatinai davantage sur ma chaise. J’avais moi-même eu ma période fanfictions. Est-ce qu’elle aurait trouvé ça bidon si elle avait pu les lire ? Toutes les fanfictions n’étaient pas bidons, loin de là. J’irais même jusqu’à dire que certaines surpassaient les oeuvres originales dans leur complexité.

— Je veux de l’émotion, les jeunes. Vous êtes des ados, vous en avez forcément à revendre.

Les murmures reprirent de plus belle jusqu’à la sonnerie. Je ramassai mes affaires et m’apprêtai à me lever quand mon voisin de table posa sa main sur mon avant-bras.

— Attends… Euh… Tu veux que je vienne chez toi après les cours, pour qu’on réfléchisse au projet ?

La boule dans ma gorge m’empêchait de répondre. Je hochai la tête avant de me précipiter vers la sortie sans me retourner.