Fyctia

— Il est forcément gay !

Élie venait de me broyer les tympans.

— Selon quelle théorie ? grommelai-je.

— Un mec qui n’est pas gay ne te rattrape pas de manière aussi héroïque alors que tu fais le danseur étoile sur la glace, et ne te sourit pas comme ça en avouant t’avoir vu le mater par la fenêtre de sa chambre, comme si c’était quelque chose qui se faisait ! Même si moi, je ne me gênerais pas pour m’en donner à coeur joie si mon voisin était un jeune homme tout à fait charmant et pas une vieille de pratiquement quatre-vingt balais. Disons qu’on n’a pas tous les mêmes chances dans la vie… se plaignit-elle.

— Tu parles d’une chance ! couinai-je avant de ramper sous la couette. J’ai tellement honte ! Je me suis enfui, Élie. Je me suis enfui ! En glissant ! Plusieurs fois ! Alors qu’on va au même lycée. Et qu’on est dans la même classe ! À quoi est-ce que je pensais ? J’aurais mieux fait d’essayer de me trouver des excuses. Il doit me prendre pour un taré. J’ai dû éviter son regard toute la journée. Et même quand il m’a parlé en littérature, j’ai fait comme si je ne l’avais pas entendu… Mon Dieu, tuez-moi qu’on en finisse, pleurnichai-je en m’enfonçant un peu plus sous la couette.

— Arrête de dramatiser ! beugla ma meilleure amie. Bon, ok, on ne peut pas dire que ton comportement d’aujourd’hui joue particulièrement en ta faveur…

Je laissai échapper ce qui pourrait s’apparenter à un cri de baleine.

— Mais tu peux toujours te rattraper, reprit-elle. Tu sais, la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Et parfois, on tombe pour mieux se rele…

— Oh, tais-toi, couinai-je. Laisse-moi mourir. Et apporte-moi de la glace.

— Je le ferai si je n’étais pas à 600km de toi, et tu le sais. Tout ce que je peux faire pour toi là maintenant, c’est t’apporter mon soutien moral sans failles. Et te demander comment s’est passée ta journée, si on laisse de côté l’incident « beau brun ténébreux » de côté…

— Je ne veux pas en parler. On peut regarder un dessin animé plutôt ? la suppliai-je.

— Tant que tu me demandes pas de regarder le… Encore ? s’écria-t-elle alors que je venais de lui envoyer le lien GroupWatch de Disney+ sur Discord. Ça fait trois fois en un mois, gémit-elle.

— Je souffre, pleurnichai-je. Et en plus ma mère n’a pas acheté de glace depuis qu’on a emménagé ici, alors je dois bien noyer mon chagrin quelque part…

— Bon, ok, soupira-t-elle. Mais je vais me chercher de la glace. Parce que moi, ma mère m’aime, me nargua-t-elle.

Quelques minutes plus tard, alors que je me faisais violence pour ne pas ramper jusqu’à ma fenêtre dans l’espoir d’apercevoir mon voisin tout à fait charmant se déshabiller, Élie me hurla dans les oreilles :

— Hakuna Matata !

***

Le week-end. Enfin. J’avais survécu à ma première semaine. Personne ne s’était moqué de moi, personne ne m’avait insulté. Personne n’avait cherché à me connaître non plus, mais ça aurait pu être pire. J’avais suffisamment réussi à me fondre dans la masse pour qu’on ne me remarque presque pas. Par contre, l’inconvénient de changer d’école en cours d’année, c’était qu’il n’y avait aucun répit. Je croulais sous les devoirs. Certains professeurs avaient tenu à me voir après les cours pour discuter du programme de mon ancien lycée, afin de s’assurer que je n’avais pas de retard ou de lacunes. Ils avaient été agréablement surpris par mon assiduité et mon implication.

J’étais ce qu’on pouvait appeler un lèche-cul. Ou ce que moi j’appelais un très bon élève. Avec une mère comme la mienne, je n’aurais pas pu faire autrement, de toute manière. Mais heureusement pour moi, j’aimais apprendre. Et même si certaines matières m’horripilaient, je faisais de mon mieux pour réussir. J’en faisais même trop parfois, jusqu’à m’épuiser moralement et physiquement. Mais j’étais comme ça, j’étais perfectionniste et je m’en demandais trop, comme ma mère.