Fyctia
Chapitre 3 (2/2)
J’attrapai le tas de vêtements que j’avais soigneusement plié et posé sur ma chaise de bureau et m’enfermai dans la salle de bain. J’évitais un maximum le miroir jusqu’à être recouvert de vêtements. C’était tous les jours la même routine. Enfiler ce foutu binder que je portais quotidiennement depuis deux ans, puis enfiler ce foutu harnais et ce foutu pénis en plastique et recouvrir le tout de couches de vêtements jusqu’à être assez loin de ma peau pour ne pas avoir envie de vomir.
Je dirais que les pires commentaires que je pouvais lire sur d’autres comptes d’autres trans ou sous mes propres posts, c’était ceux qui osaient penser qu’être trans était une mode. À quel moment ? À quel moment c’était possible de s’imaginer une seconde qu’être trans puisse être à la mode ? Ou encore pire, un caprice ? Comme on ne choisit pas d’être hétéro, ou d’être homo, ou asexuel ou je ne sais quoi d’autre, on ne choisit pas d’être trans. Notre corps nous est imposé à la naissance. On est condamné à grandir en inadéquation avec ce corps. Certains toute leur vie. Certains s’autorisent à transitionner après soixante ans de mensonges et de honte. Alors qu’au fond d’eux, ils ont toujours su. Ils ont juste préféré taire la voix dans leur tête, jusqu’à ne plus pouvoir le supporter.
Quelque part, je devais avoir de la chance, d’avoir su que je n’allais pas attendre de vieillir pour être qui j’étais. À aucun moment, c’est une mode de vouloir s’infliger ça. S’infliger un coming out qui a détruit ma famille, s’infliger une transition qui m’a permis de voir le vrai visage de personnes que je pensais être mes amis, de mes camarades de lycée, de certains professeurs, de l’épicière du coin et j’en passais. Mon « caprice » avait fait fuir mon père, mon modèle. Sa fille chérie allait devenir un garçon, et c’était trop dur à supporter pour lui. Alors il a préféré nous laisser tomber ma mère et moi. Comme ça.
Ma mère ne m’en avait pas voulu, du moins elle avait insisté sur le fait que ce n’était pas ma faute mais celle de mon père. Mais encore aujourd’hui, je ne pouvais pas m’empêcher de m’en vouloir. Si j’avais juste fait comme si de rien n’était pendant les quarante prochaines années de ma vie, le mariage de ma mère n’aurait pas volé en éclats à cause de moi. Donc non, ce n’était pas une mode, ni un caprice. Mais un mal être profond, que peu de gens pouvaient comprendre.
Je me forçai à engloutir mon petit-déjeuner sous le regard inquiet de ma mère, l’embrassai sur la joue en lui souhaitant une bonne journée et jetai mon sac à dos sur mon épaule. L’air glacial du petit matin me fouetta le visage. J’enfilai ma capuche, tirai sur les lacets pour la resserrer au maximum même si ça me faisait une tête d’abruti et partis d’un pas déterminé. Peut-être trop déterminé, compte tenu de la couche de glace qui recouvrait le trottoir devant chez moi.
Mes bras moulinèrent instinctivement l’air et mes pieds firent des allers retours sur la glace tandis que je jurais à voix basse quand quelqu’un me tira le bras et me plaqua contre lui. Je me débattis violemment, pris d’une angoisse lancinante et me remis à glisser. D’instinct, ma main chercha à attraper celle de l’inconnu et je bredouillai un « Merci » quand il la saisit. Je laissai mes yeux glisser le long de ses chaussures à plateformes puis de son pantalon oversize avant de les poser sur son visage à moitié dissimulé sous son bonnet couvert de pins en tout genre et ses cheveux bruns et bleus.
— Salut monsieur le voyeur, me sourit-il, ma main toujours serrée dans la sienne.
Et je sentis la chaleur me brûler les oreilles.
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La Plume d'Ellen
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