Fyctia
9.6. Ne pas être seul
— Les vampires ne sont pas des créatures diurnes, je te le rappelle.
— C'est faux...
Cette règle n'était pas immuable. Kao et Frankie avaient conversé une partie du jour, et Chayan avait déjà dormi avec lui à des heures indues.
— La nuit dernière était une exception, le devança-t-il.
— Tu avais besoin de t'éloigner de Frankie aujourd'hui, n'est-ce pas ?
Chayan se figea. Il relâcha son sac et s'accouda à la lucarne de la chambre. Suni s'approcha. Ce soir, les étoiles brillaient avec intensité dans la voûte céleste. Construit sur les hauteurs de la ville, le manoir offrait une vue imprenable sur un horizon dégagé, dénué de pollution lumineuse.
Côte à côte, leurs regards s'égarèrent dans le paysage nocturne.
— Je suis désolé d'avoir disparu. J'avais besoin de m'isoler. Frankie est une vraie tornade, impulsive, fougueuse et incontrôlable.
— Kao m'a tout raconté, avoua Suni.
Chayan ne parut pas contrarié outre mesure par cette révélation, et si ce fut le cas, il n'en montra rien.
— Je n'ai jamais réussi à la comprendre, ni à répondre à ses besoins. J'ai essayé, mais c'était trop pour moi.
— Pourquoi l'avoir sauvée ? demanda Suni.
Le vampire marqua un temps d'arrêt. Ses yeux s'emplirent d'une douleur aussi transparente qu'un lac de larmes.
— J'ai croisé son regard à l'instant où la vie quittait son corps. Ce regard, c'était celui de mon frère quand...
Il laissa sa phrase en suspens. À demi-mots, Suni comprit ce qui le hantait. Ils n'avaient pas besoin d'en dire davantage. Le silence filait, aérien. Il remarqua alors un télescope posé dans un angle de la pièce.
— Tu aimes les étoiles ?
— Observer le ciel, oui. J'ai l'impression que quelque chose me dépasse enfin et c'est en fait... très rassurant.
— Rassurant ? En ce moment tout me dépasse, et je ne me sens pas rassuré, gloussa Suni.
Chayan posa sur lui un regard indéfinissable. Timidement, il se plaça derrière lui pour l'enfermer dans la cage de son corps. Suni frissonna, puis se laissa aller à cette étreinte. Il sentit le souffle du vampire frôler sa nuque.
— L'univers est tellement infini qu'on ne peut le quantifier. Cette beauté profonde, sombre et insondable me réconforte, car elle me rappelle qu'on ne peut pas tout savoir, ni tout contrôler ou prédire. Elle m'apprend à lâcher prise.
Suni médita ses paroles. Noyé dans le velours indigo de la nuit, sa détresse reflua, son rythme cardiaque se stabilisa. Les mains de Chayan voyageaient sur ses flancs en une caresse légère, dépourvue d'arrière-pensées. Malgré le danger qui guettait, rien ne semblait pouvoir l'atteindre en cet instant. C'était un sentiment ridicule, irrationnel, défiant toute logique. Pourtant, une forteresse invisible tissait ses remparts autour de leurs deux corps enlacés.
— Alors, comment c'est de flotter dans l'infiniment grand ?
— C'est agréable, concéda Suni. Mais il n'y a pas que ça.
— Ah oui, qu'y a-t-il d'autre ?
Il ferma les yeux, savourant le souffle sur sa nuque. Une myriade de frissons s'enfonça dans sa peau comme autant de petites aiguilles. Il succomba à ce moment de tendresse accidentelle, puis tourna le visage pour capturer le regard pénétrant de son protecteur ; le voile scintillant de la nuit s'y reflétait.
— Il y a toi, aussi...
Les deux hommes se fixèrent. Leurs silhouettes se découpaient dans cette petite chambre. Ombres portées sur un carré de ciel bleu roi.
— Tu parviens, je ne sais comment, à m'apaiser.
Un sourire tendre fendit la joue de Chayan.
— Est-ce que tu m'hypnotiserais, vampire ? feignit de l'accuser Suni, amusé.
— Non, je crois que c'est plutôt toi qui m'hypnotises, humain.
Son cœur trébucha. Son regard oscillait des yeux de velours aux lèvres de sang, qui envahissaient désormais tout son espace mental, l'attiraient comme une oasis dans un désert ardent. Il fallait espérer que cette vision ne fût pas un mirage. Le bras de Chayan se solidifia autour de ses reins et il se trouva collé à son buste. Il brûlait de s'abreuver au miel de sa bouche. Le corps du vampire évoquait une sculpture antique, un marbre glacé et imperturbable, mais son souffle exhalait un vent brûlant ; un sortilège se faufila dans l'air, juste entre leurs lèvres entrouvertes.
Suni voulait le goûter, le ressentir. Une flambée de désir infusa ses sens.
Bientôt, une main se logea dans sa nuque, à la fois protectrice et possessive. Le chant d'un faible gémissement se fit entendre. Venait-il de lui, de Chayan ? Qu'importe.
Au ralenti, il fondit sur la chair écarlate. Un besoin primitif le guidait. L'instant se suspendit, irréel.
Leurs lèvres se rencontrèrent dans un soupir de bien-être. Deux agonisants revenants à la vie. À travers cet effleurement, Suni sentit son monde se fracasser et se reconstruire. Chayan affermit sa poigne. Ils s'explorèrent, timides mais aventureux. Baiser rempli de souffles, de tendresse et de brûlure. D'abord hésitante, la bouche de Chayan devint joueuse, gourmande. Suni goûtait enfin au fruit défendu. Et ce fruit avait la saveur de la transgression, de la vie elle-même. Comment pourrait-il s'en passer un jour ?
Sa nuque fut broyée avec douceur entre les mains expertes, ses cheveux tirés en arrière avec autorité pour le pousser à s'offrir davantage. Chayan gémissait et respirait à travers son souffle, en réclamant déjà plus. Suni accueillit la conquête de sa langue. Elle s'enroulait à la sienne dans une caresse urgente, rugueuse. Étourdi, il chavira. Le petit bateau en papier faisait naufrage. Et il ne voulait plus remonter à la surface.
C'était si bon de lâcher prise, d'être animal. Il n'était plus qu'une bouche, mordillée, embrassée, léchée. Chayan en embrassait les coins, le revendiquant avec tendresse et voracité. Suni avait passé ses bras autour de son cou et se laissait entraîner dans les flots tempétueux de ce premier baiser.
Bientôt, il entendit un grognement féroce. La douleur cuisante d'une morsure lui troua la lèvre. Il fut violemment repoussé. Déboussolé, il porta une main à sa chair abusée. Goût ferrugineux. Chayan s'était reculé sous la mansarde, dans un coin d'ombre, tremblant.
— Ne m'approche pas.
Son regard se voila. En un battement de cils, un plein été s'était évanoui à la faveur d'un rude hiver. Ses pupilles couvaient l'aube d'une tempête.
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Alors, ce premier baiser ? 🫣
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Sandie A
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MIMYGEIGNARDE
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Eva Boh
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