MIMYGEIGNARDE Old Souls 9.5. Ne pas être seul

9.5. Ne pas être seul

Kao et Frankie profitaient de leurs retrouvailles dans le salon, nostalgiques d'une époque plus insouciante. Quant à Chayan, il n'était pas réapparu depuis le matin... et Suni n'avait osé braver sa froideur. Replié dans un coin, il naviguait sur des eaux troubles. En sursis. Comme si un volcan, endormi toute sa vie, allait soudain déverser sa nuée ardente.


Giles se présenta en fin de journée, muni d'un sac contenant ses affaires. Avant même que Suni ne vienne à sa rencontre, Frankie se rua sur l'historien pour renifler sa gorge en guise de bienvenue.


— Et lui, je peux le goûter, puisque Suni est chasse gardée ?


Giles considéra l'inconnue aux cheveux bleus d'un air désapprobateur ; l'apparition de cette nouvelle prédatrice ne contribuait pas à alléger l'atmosphère, déjà sur des charbons ardents.


— Non. Contiens-toi un peu, modéra Kao à contre-cœur. On a besoin de lui.

— Je vois que j'ai trouvé plus tordu que vous, cher Kao.


Giles adressa une œillade méprisante à la femme vampire, tout en cherchant à fuir son contact, comme s'il chassait un insecte visqueux.


— Merci du compliment, s'enorgueillit-elle. Bon, c'est quoi le bordel ? Si j'ai bien compris, ce connard de Varney en a après Suni pour une raison qui nous échappe.


Frankie, dont la patience ne semblait pas être la qualité première, avait bien résumé la situation.


— Elle est fiable, assura Kao.

— Hum... permettez-moi d'avoir quelques doutes à ce sujet, se méfia Giles.


Suni perdit patience.


— Varney pense que je suis spécial et que j'aurais dû mourir avec mes parents, dont l'amour était contre-nature. Mais je n'en sais pas plus, puisque Giles préfère s'exprimer en énigmes, cingla-t-il.

— Quoi qu'il en soit, si tu es dans le collimateur de Varney, il vaut mieux partir. Le temps qu'il ressoude ses troupes, il pourrait être là dans quelques jours. Je sais de quoi je parle, alerta Frankie.


Un silence funèbre les écrasa. Partir. Mais pour aller où ?


— Elle a raison. Je réfléchissais justement à une solution de repli, nous ne pouvons pas rester. La vengeance de Varney ne s'arrêtera pas à l'humain. Nous sommes tous visés, annonça Chayan.


Il venait d'apparaître au pied de l'escalier, aussi discret qu'un fantôme. Un frisson parcourut l'assemblée. Personne ne pouvait nier l'évidence. Bien trop exposés, ils n'étaient plus guère en sécurité en ces lieux. Giles fit mine de réfléchir, puis il prit la parole :


— Je connais un repaire, dans les bois de Khao Sok. J'y pense depuis hier. Je peux vous fournir le plan d'accès. Emmenez-y Suni, pendant que j'avance sur mes recherches.

— Khao sok ? C'est à des heures d'ici ! protesta le danseur.

— Je sais bien, regretta Giles. Mais tu préfères attendre que Varney te mette la main dessus ? Nous ne savons encore rien de la particularité de ton sang, je ne peux garantir que ça te protégera. Ça me coûte de te laisser avec eux, mais c'est la meilleure chose à faire.


Suni avait déjà accepté de faire confiance à Chayan, son instinct s'en était chargé avant même sa conscience. Depuis cette étrange nuit dans la librairie, depuis que le sang avait été versé, échangé, goûté. Le problème était ailleurs : de nature farouche et solitaire, il devait désormais remettre sa vie entre les mains de créatures sanguinaires, se déposséder de toutes ses certitudes, pour suivre un chemin inconnu, tortueux, sans repère. En outre, il craignait d'être un poids.


« L'humain.»


Incarnait-il autre chose pour Chayan qu'un mortel à protéger, qu'une mission à résoudre ?


— Partir en cavale, sans même savoir pourquoi, escorté par des vampires. Rien de plus normal, après tout, siffla-t-il, sarcastique.

— Si Varney en a après toi, rien ne sera plus jamais normal, petit, s'adoucit Frankie.


Suni était partagé entre colère sourde et amère résignation. Sa vie lui échappait. Comme un petit bateau en papier, il était ballotté par le courant. Depuis le couloir, il sentait les yeux de Chayan le fixer avec insistance, brûler sa peau au fer rouge ; y inscrire des messages secrets. Le petit bateau en papier pourrait peut-être trouver un port où s'amarrer.


— D'accord, céda-t-il. Mais Giles, je te conjure de me dire tout ce que tu sais rapidement. Je ne vais plus tenir.

— C'est promis. Dès nos retrouvailles, que j'espère imminentes. Je dois investiguer avant de te faire part de mes conclusions.

— Embrasse fort Khun Yâa pour moi. Dis-lui que tout ira bien. Elle doit être morte d'inquiétude ?

— Je ne te le fais pas dire. J'étais à deux doigts de la ligoter pour l'empêcher de se lancer à ta recherche à travers la ville.


Suni ne put retenir un faible sourire. Il imaginait, comme dans un cartoon, son aïeule étrangler Giles de ses petits bras pour lui tirer les vers du nez. Son fort caractère, à la fois inflexible, maternel et protecteur allait cruellement lui manquer. Une nouvelle angoisse pétrifia son cœur. Reverrait-il jamais sa grand-mère, et Lamaï ? Il partait pour mieux les retrouver, il ne pouvait en être autrement.


— Quand doit-on partir ?

— Il ne faut pas traîner. Ce soir.


Le gong fatidique de la vieille horloge sonna bientôt dix-neuf heures. Tout le monde se mit en branle pour le départ. Même Frankie était désireuse de les accompagner. Elle redoutait sûrement la confrontation avec Varney, puisque les raisons de sa fugue n'étaient pas étrangères au chef de gang.


Il entendit la voix de Giles, écho à la fois inquiet et pressant, lui enjoindre de se dépêcher. Comme un automate, il ramassa le sac qu'on lui tendait et monta à l'étage. Il gravit les escaliers dans un état second, absent. La mâchoire de l'impuissance percluait ses membres. Son téléphone vibrait au creux de sa paume : Lamai cherchait à le joindre.


Il avait l'impression de ne plus appartenir à cette vie, dansant en équilibre sur un fil, funambule écartelé entre deux mondes inconciliables. Il fit un brin de toilette, puis entreprit de se vêtir. Son corps agissait, son esprit dérivait. Il ne pouvait dire si quelques minutes ou heures s'étaient écoulées.


Fin prêt, il s'apprêtait à rejoindre les autres au rez-de-chaussée quand il fut attiré par la lumière chatoyante d'une bougie. Une porte était entrouverte. Il pénétra dans la chambre de Chayan, guidé par l'odeur envoûtante qui y régnait.


Le vampire préparait un paquetage. La pièce, semblable à son bureau, exhalait une senteur de forêt, bouquet d'arômes à la fois subtils et puissants, comme Chayan. Instantanément, il s'y sentit bien, enveloppé au creux d'une intimité secrète, déjà familière.


— Ah, Suni, te voilà. Tu es prêt ?


Cette voix grave le tira de sa prostration. Elle l'aida à se rééquilibrer et à s'extraire des sables mouvants de son esprit.


— Où étais-tu passé toute la journée ?

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11 commentaires

Sarah B

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Il y a un an

La vie de Suni a basculée en un rien de temps. Le mystère planant sur lui me plaît. Il me permet d'imaginer mille et une chose et me donne envie de connaître l'issue que tu as choisit. Et puis, il y a sa relation avec Chayan... 😏

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

Merci !! Oui tu as bien résumé les enjeux ^^ l'identité de Suni et sa relation avec Chayan 😏😏

Sandie A

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Il y a un an

Pas évident pour Suni, ce départ précipité. Je m'inquiète pour Giles. Une promesse de ce genre, il va lui arriver quelque chose, avant de pouvoir tout dire à Suni.

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

On croise les doigts pour Giles !
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