Fyctia
9.3. Ne pas être seul
Le silence reprit son règne, lézardé par la respiration précipitée des deux hommes, dont on ne savait s'ils luttaient ou se chérissaient. L'odeur du vampire s'infiltrait en Suni. Une odeur boisée, masculine, dont il brûlait de goûter la sève. Comme un petit animal, il se blottit dans son étreinte pour inspirer son cou. La tension de Chayan se relâcha alors et il enferma l'humain dans ses bras. Un rire doux s'échappa de sa gorge.
— Adorable créature.
Il avait rendu les armes. Comment résister au chaton lové contre lui, dont la chaleur corporelle semblait raviver les cendres de son cœur flétri ? Il savait que c'était impossible, pourtant, une chose étrange se passait, juste là, sous l'écorce de sa poitrine. Il respira les cheveux du garçon à s'en éclater les poumons. La fragrance de jasmin lui apporta un intime réconfort. Au delà du désir de le faire sien, il se sentit apaisé. Il n'avait jamais été en mesure de comprendre ce que Kao avait éprouvé en se reproduisant. Grâce à cet humain qui lui offrait une confiance aveugle, sa solitude lui parut moins lourde.
C'est merveilleux de ne pas être seul, pensa-t-il.
Le sommeil l'avait fui, alors il veilla sur celui de cette candide créature, endormie sans crainte sur son corps. C'était ça, le plus beau cadeau qu'on pouvait lui offrir dans une vie nouvelle : la confiance.
Cette journée tumultueuse s'achevait sur deux silhouettes enlacées au creux de la nuit, arôme de jasmin enveloppé dans son cocon d'effluves boisées.
***
Un formidable boucan éveilla Suni.
Il aurait aimé se complaire davantage dans cet étau ; les bras protecteurs de Chayan le retenaient contre sa poitrine ciselée comme la plus précieuse chose au monde. Ses lèvres séduisantes, qu'il avait dû se retenir d'embrasser la veille, l'appelaient violemment. Mais un ouragan à la crinière bleue déboulait déjà dans la pièce, coupant court à ses fantasmes interdits.
— Je suis rentrée ! s'exclama une voix féminine.
Chayan sursauta, la main toujours logée au creux de ses reins en un geste inconscient de possession.
— Bordel, Frankie, qu'est-ce que tu fous ici ?
La jeune fille aux cheveux bleus les fixait d'un air éberlué. Un rictus malicieux plissa ses lèvres carmin, alors qu'elle laissait tomber au sol son lourd paquetage sans la moindre grâce. Elle s'approcha d'un pas lent et souple, à la manière d'une panthère embusquée prête à fondre sur sa proie.
— Qu'est-ce que je vois là ? Quelle est cette jolie créature dans les bras de monsieur le glaçon ?
Le concerné laissa échapper un profond soupir, peu enthousiaste à l'idée de revoir Frankie. Cette fille ne laissait que des problèmes dans son sillage. Imprévisible, incontrôlable, immature et trop intelligente pour son propre bien, elle n'était que chaos. Un chaos moulé dans du cuir et surmonté d'une tignasse indomptable, couleur de ciel. Chayan raffermit malgré lui son emprise sur le corps doux et chaud qui avait élu domicile entre ses bras.
— Qu'est-ce que tu fiches ici ? Je croyais que tu avais mieux à faire que supporter des vampires « chiants comme la mort » ?
Frankie s'installa au bord du lit, indifférente à l'espace personnel qu'elle envahissait sans vergogne. Son regard ne quittait pas la petite biche tremblante. Ses narines se dilatèrent pour inspirer son délicieux fumet, puis elle se lécha les babines, animale, révélant des canines qui ne laissaient aucun doute sur sa nature.
— Qui es-tu, toi ? questionna-t-elle, doucereuse.
Elle tendit une main vers le visage de Suni, mais Chayan intercepta son geste. Il se redressa d'un bond et plaqua l'intruse contre le mur avec une violence âpre, mais contrôlée.
— Que veux-tu, Frankie ? Tu débarques sans prévenir après un an de silence radio. Tes mauvaises manières n'ont pas changé, à ce que je vois.
Une moue boudeuse, toute enfantine, égratigna le visage de marbre de la jeune femme.
— Bah alors, on n'est pas content de me voir ? provoqua-t-elle.
Les deux adversaires se fixèrent longuement, sous l'œil perplexe de Suni qui émergeait à peine du sommeil. Cela dit, il commençait à avoir l'habitude des affrontements musclés entre vampires. Cette espèce ignorait manifestement comment communiquer en bonne intelligence. Ils ne savaient qu'aboyer et se sauter à la gorge, jeunes chiens fous testant à l'envi leurs limites. Une animalité brute exsudait de toutes leurs actions. Chayan, en revanche, parvenait à maîtriser sa propre force et à mettre en déroute celle des autres, tel un patriarche, un chef de meute capable d'imposer respect et discipline.
— Tu câlines des petits humains, maintenant ? Je croyais que ta foutue sorcière t'avait coupé toute envie ? ricana Frankie.
— Ça ne te regarde pas, feula Chayan.
— Rien ne m'a jamais regardé. Les sentiments de ta part ? Je peux bien m'asseoir dessus. J'ai l'habitude.
— Je ne te permets pas...
— Oh, Frankie ! Le retour de l'enfant prodigue ! s'exclama Kao, bras ouverts.
La discrétion et l'intimité étaient-elles étrangères aux mœurs vampiriques ? Frankie se jeta dans l'étreinte qu'on lui offrait, préférant ces retrouvailles chaleureuses au premier accueil glacial. Son attitude avait changé du tout au tout : l'adolescente effrontée et réfractaire laissait entrevoir le charme mutin de l'innocence.
— Ne fais pas attention à ce vieux bougon, il est mal disposé le matin.
— Matin, midi et soir, maugréa Frankie en embrassant Kao sur la joue avec une affection maniérée. C'est qui, le petit humain ?
— Longue histoire. Viens dans le salon, on doit parler.
Pendue à son bras, la fauteuse de troubles s'éloigna en jetant un dernier regard hanté de chagrin à Chayan. Ce dernier reprit place sur la couchette. Une aura sombre, orageuse, bourdonnait autour de lui. Suni était confus quant à cet échange. Quelle surprise allait-on encore lui réserver ? Quand il se croyait enfin gratifié d'un répit temporaire, une nouvelle tempête venait chasser l'embellie. Il tendit une main timide vers son épaule.
— Ça va ? murmura-t-il.
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