MIMYGEIGNARDE Old Souls 8.5. Un garçon pour un autre

8.5. Un garçon pour un autre

Enfin seul, ses jambes cédèrent. Suni s'appuya sur le rebord de la baignoire, assommé par l'ouragan des évènements récents. Il s'efforça de réunir ses pensées effilochées et de décoder les menus indices laissés par Giles. Comment pouvait-il reconstituer le puzzle avec si peu d'éléments ? Un amour contre nature, un danger pour la civilisation vampire... Pas la moindre lueur de compréhension ne clairsema son esprit nébuleux. Il était si las et ne désirait qu'une chose : dormir du sommeil du juste, chasser les mauvais rêves et les dangereuses créatures peuplant cette réalité nouvelle.


Il aspirait à un monde sans tourment, où la danse serait impératrice. Mais le sort en avait décidé autrement. Il n'était plus cet enfant chaussé de ballerines blotti sous son lit, effrayé par les monstres terrés dans le placard. Ce n'était plus un enfant et les monstres n'étaient plus dans le placard. Il était temps d'étouffer les perfides illusions de sa boîte à musique.


Il devait aussi affronter les prémices de ce qu'il ressentait pour Chayan. Son intérêt débordait le simple cadre de la curiosité, il en était conscient. Le vampire éveillait en lui des désirs secrets, insoupçonnés. Mais pour l'heure, sa priorité allait à la quête de son identité profonde. Ses pensées bataillaient dans son crâne ; nuée de papillons aux ailes agitées. Il prit une longue douche brûlante, chassant les sensations visqueuses engluées à sa peau.


Il rejoignit la chambre d'amis en traversant l'interminable et étroit couloir, tapissé d'une moquette amarante et de tableaux inquiétants, parmi lesquels figuraient des portraits d'ancêtres de la famille Ahunai. Habitué aux équipements modernes et à la décoration rustique de son habitation, cette atmosphère surannée le mettait mal à l'aise. Une pièce aux tons pastel l'accueillit, celle-là même où il s'était réveillé lors de sa première visite en ces lieux. Chayan attendait dans une posture similaire, dans toute sa beauté glaciale. À l'apparition de son invité, ses iris pâles se réchauffèrent. Il se leva et fit quelques pas vers lui.


— Voilà, tu peux dormir ici. Tu y seras bien. Ma chambre est à l'autre bout du couloir, près de la salle de bain, si besoin.


Suni décrypta la chambre en silence. L'épuisement écrasait son corps. Il avait besoin de s'allonger, ses membres ankylosés le portaient à peine.


— Ne t'inquiète pas pour Kao. Il est sous contrôle. Il a beau se conduire comme un parfait crétin, il obéit au moins à ma volonté, la plupart du temps.


Suni acquiesça, déjà loin. Un doux fantasme de sommeil le guettait.


— Tu vas bien ? s'inquiéta Chayan.

— J'ai mal partout.

— Approche.


Suni s'exécuta, timide.


— Encore.


Quand son visage fut à hauteur du vampire, ce dernier posa une main fraîche sur son cou. Il sursauta, puis se pétrifia sous ses yeux sombres, aussi autoritaires qu'hypnotiques. Chayan fit légèrement glisser son vêtement, dévoilant une clavicule fine, dorée, bleuie par endroit. Suni grimaça à ce contact.


— Tu as d'autres traces comme ça, sur le corps ? interrogea Chayan d'une voix contrariée.


Suni resta muet, brûlé par l'intensité de ce regard effilé.


— Suni ?

— Je... Oui. Je marque vite et j'ai été un peu malmené par Varney et son loup-garou.

— Ne bouge pas.


Chayan quitta la pièce un instant, avant de reparaître muni d'un tube de crème contre les contusions.


— Les vampires aussi peuvent avoir des blessures, se justifia-t-il. Allonge-toi, maintenant.

— P-pardon ?

— Tu as été durement éprouvé, ces derniers jours. Et bizarrement, je me sens un peu responsable de ton état. 


Suni prit peur à l'idée d'être touché de manière si intime par le vampire. Il n'était pas tactile et n'avait jamais supporté une telle proximité avec quiconque, à l'exception de sa meilleure amie. Encore que, Lamaï était souvent la seule à initier des gestes d'affection. Offrir sa vulnérabilité à cette créature le mettait en émoi.


— Tu es libre de refuser mes soins. Je ne cherche pas à envahir ton espace personnel.

— Non, c'est bon tu... tu peux.


Un fin sourire retroussa les lèvres vermeilles du vampire.


— Quoi ? bredouilla Suni, embarrassé.

— Tu viens de me tutoyer.

— Oh... Eh bien, j'imagine que nous avons traversé suffisamment d'épreuves communes pour nous permettre cette proximité.

— Tu es toujours comme ça ? s'amusa Chayan.


Il fit glisser sa main sous une mèche humide de cheveux pour dégager le visage du danseur.


— Comment ?

— Aussi distant, sur la défensive ?


Suni se mordilla la lèvre.


— C'est juste... Je ne suis pas à l'aise avec les autres, je n'aime pas qu'on me touche.

L'enfer, c'est les autres*, murmura Chayan, songeur.

— Pardon ?

— Rien, c'est une citation d'un écrivain français.


Observation silencieuse. Dans les replis de leur souffle erratique, une litanie d'hésitations, de questions et de désir contenus. Un rayon lunaire poudrait la pièce d'un halo translucide, chargé de grains de poussière. L'impression troublante que leurs battements de cœur se fondaient en un même écho profond, même si rien ne vivait en Chayan. Suni déglutit.


— Mais là... Je crois qu'un massage ne me ferait pas de mal, accepta-t-il, les joues empourprées.


Fuyant le regard de son intimidant hôte, il s'allongea sur le ventre sans attendre sa réaction.


Chayan se sentit coupable de ne lui avoir fourni qu'un tee-shirt et un short aussi léger. Où avait-il la tête ? Sous le fin tissu blanc, se devinait le galbe de son doux fessier. Les braises d'un désir éteint se ranimèrent. Il bannit cette dérangeante divagation de son esprit et s'installa sur le bord du lit, renonçant à dévisager cette silhouette magnétique entrée par effraction dans sa morne réalité.


Il tira le vêtement sur le côté ; une omoplate teintée d'un bleu sombre se découvrit. Ce sale chien de Varney ne l'avait pas loupé. Il ouvrit le tube, dont il recueillit quelques noisettes de crème. Soigneusement, il en appliqua sur les ecchymoses marbrant ses épaules. Il fut bientôt gêné par l'entrave de tissu.


— Je vais devoir le soulever, Suni. Ça ne te gène pas ?


______________________________


* Citation tirée de la pièce de théâtre Huis clos, de Jean-Paul Sartre.

Tu as aimé ce chapitre ?

17

17 commentaires

Emmy Jolly

-

Il y a un an

💖🍀🤞Je la connais cette citation merci de nous en apprendre l'origine

Eva Boh

-

Il y a un an

Grrrrrr. 🔥 (oui, j'ai conscience que ces commentaires n'ont absolument rien de constructif)

MIMYGEIGNARDE

-

Il y a un an

Hihihi ils sont parfaits ces commentaires 🤭

Sandie A

-

Il y a un an

De plus en plus déconcentrée ! Un sans faute ce nouveau chapitre 😁.

Eva Boh

-

Il y a un an

(j'étais sûre que ton commentaire serait aussi enjoué que le mien !)

MIMYGEIGNARDE

-

Il y a un an

Merci 🥰 Vivement que je puisse vous partager la suite !

Sarah B

-

Il y a un an

Ça fait longtemps que je n'ai pas laissé de commentaire alors me voici, moi et ma frustration. J'aime toujours autant ton histoire, tes personnages, tes tournures de phrases pleines de poésie. Maintenant que Suni est obligé de vivre chez Chayan, j'ai hâte d'assister à chaque moment de rapprochement entre les deux (même si j'en ai un aperçu ici).

MIMYGEIGNARDE

-

Il y a un an

Merci beaucoup 🥰 Moi aussi j'ai hâte de vous partager tout ça !! 😊

Siha

-

Il y a un an

Plein de jolies phrases dans ce chapitre qui nous rappelle vraiment ta belle plume. C'est vraiment appréciable. Moi, je suis fan en tout cas. Et sinon, Suni me fait de la peine en début de chapitre, le pauvre. Tout ce qu'il a vécu dernièrement, et en plus il apprend qu'il y a plein de secret autour de sa nature, de ses parents etc... Il doit être complétement déboussolé. Et en même temps, il a conscience d'éprouver des sentiments pour Chayan... d'ailleurs, j'ai hâte de lire la suite car il y va y avoir gros rapprochement là j'imagine ! Je me demande si ça va déraper, haha!

MIMYGEIGNARDE

-

Il y a un an

Merciii !! Il est en effet complètement déboussolé... Qui ne le serait pas ? Bon, ça ne l'empêche pas d'apprécier les attentions de Chayan ahah. A bientôt pour la suite :)
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.