Fyctia
8.4. Un garçon pour un autre
— Je regrette, persista Giles. J'ai prêté serment de...
— Je m'en fiche ! explosa Suni. J'ai vécu la nuit la plus terrible de mon existence. Le vampire le plus puissant de la ville, Varney, en a après moi pour une obscure raison et tu oses me priver d'un savoir qui me concerne ?
— Varney... murmura Giles pour lui-même.
Il soupira en se pinçant l'arête du nez. Suni n'allait pas décolérer de sitôt. Il méritait des explications.
— Pourquoi aurait-on voulu tuer mes parents ? Et se débarrasser de moi ? Qui suis-je ? l'abreuva-t-il d'un flot ininterrompu de questions légitimes.
Le silence s'imposa encore. Les yeux de Giles se voilèrent de lourds nuages. Les vampires assistaient à la scène comme deux spectateurs clandestins, osant à peine respirer, de crainte de troubler cet instant suspendu aux aveux.
— Tes parents ne sont pas morts dans un simple accident. Ils ont payé leur amour contre-nature.
La voix de Giles résonna, claire et solennelle ; sentence irrévocable. Le cœur de Suni se décrocha de sa poitrine, aussi lourd qu'un morceau de pierre broyant ses entrailles. Un amour contre-nature ? Il sentit la main de Chayan saisir son épaule. Pourquoi cette fermeté était-elle si douce ? Le corps du vampire l'aimantait, altérait sa concentration. Il se déroba à ce contact trop vif et s'assit près du quinquagénaire sur le canapé. La confusion proliférait dans son esprit.
— Contre-nature...? Et mon sang, pourquoi est-il contaminé ?
Le visage de l'historien devint plus livide encore, si c'était possible. La stupeur peignit ses traits tendus.
— Qu'est-ce que tu viens de dire ?
Suni lui expliqua alors le phénomène dont il avait été à l'origine plus tôt et la débâcle des pantins de Varney. Au fil du récit, l'assurance artificielle de l'homme se fissurait à vue d'œil.
— C'est de la folie... Suni, avant de t'en dire plus, je dois réfléchir, mener des recherches. Des personnes mal intentionnées pensent que tu es une menace pour la civilisation vampire. Tu cours un sérieux danger.
— Et le médaillon ? s'immisça Chayan en tendant l'objet luminescent.
Giles s'en saisit et l'étudia, voyageant à travers son toucher. Le lettrage minutieusement ciselé, la surface polie toujours aussi brillante, même après l'inexorable passage des années. Un sourire nostalgique fleurit sur ses lèvres.
— Ce médaillon a été forgé par tes grands-parents maternels. C'est une amulette, symbole de l'alliance entre l'ombre et la lumière. Mais des créatures lisent en lui l'incarnation de l'obscénité, proféra Giles. J'ai échoué à sauvegarder ton anonymat, je suis incapable de te protéger. Reste ici, c'est plus prudent. Bientôt, je te dirai tout.
— Cette énigme est censée m'aider à y voir plus clair ? protesta Suni, désemparé.
La détresse froissait son visage innocent. Il semblait avoir gagné quelques années en l'espace de ces dernières heures fatidiques. Giles pinça les lèvres, contrit, puis se tourna vers Chayan :
— Je peux vous le confier, n'est-ce pas ?
— Vous pouvez avoir toute confiance en moi, assura Chayan, secrètement honoré de cette délégation.
— Et pour lui ? Vous ferez en sorte qu'il se tienne tranquille ? cracha Giles en désignant Kao du menton, qui écoutait discrètement la conversation dans l'embrasure de la porte.
— Je vous en fait le serment. S'il touche à un de ses cheveux, son immortalité n'est plus garantie.
— Hé ! se scandalisa l'intéressé. En voilà des manières de traiter son frère.
Les yeux de Giles portaient la promesse qu'il ne tolérerait aucun écart de conduite. Sous sa figure d'intellectuel, une autorité naturelle vibrait. Les deux vampires pressentirent, d'un même instinct, que Giles n'était pas l'inoffensif libraire qu'il prétendait être. Pour la première fois, Kao ne pipa mot. Chayan sourit en lui-même. Avait-il enfin trouvé le bienfaiteur capable de clouer le bec de cet incorrigible fanfaron ?
Sur le pas de la porte, il observa Giles offrir une accolade affectueuse à son protégé. Le sien, désormais. L'idée de veiller sur lui le remplissait d'une inavouable fierté. Son ego s'éveilla d'outre-tombe. Enfin, il avait une mission. Enfin, il était utile à quelqu'un. Ce sentiment se mêla d'une crainte secrète ; celle de souffrir mille maux d'une nouvelle perte. Il fit taire son appréhension. La faiblesse n'avait pas lieu d'être quand Suni, lui, se tenait sur un fil au-dessus des abîmes.
Giles expliqua au garçon qu'il préviendrait Amnuay et Lamaï de la situation, il n'avait pas à s'en faire : les réponses à ses interrogations viendraient en temps et en heure. Il lui apporterait aussi quelques affaires, le lendemain.
Il scella un ultime regard de confiance sur son nouvel allié, puis il partit, le médaillon emprisonné dans la paume.
Seuls. Chayan et Suni étaient seuls. Le vampire fut submergé d'une étrange timidité en sa présence. Il fit la traversée d'un territoire inconnu ; camaïeu d'émotions contraires. Agacement, inquiétude, fébrilité, excitation... Il déglutit avec difficulté, honteux de sa sensibilité nouvelle. Comment un humain à peine né pouvait-il engendrer un tel saccage en lui ? Personne ne l'avait affecté de la sorte depuis un temps immémorial. Il détestait ça. Il se racla la gorge, dans une piètre tentative de recouvrer sa contenance.
— Bon... Tu es fatigué, j'imagine, après cette épreuve. Veux-tu prendre une douche et aller dormir ?
Suni arqua un sourcil.
— C'est quoi, du babysitting ?
Chayan se gratta la tête d'embarras.
— Désolé. Je ne suis pas très à l'aise avec... tout ça, je crois.
— Moi non plus. Mes repères sont bouleversés.
— Je sais ce que tu traverses. J'ai vécu ça, il y a quelques centaines d'années.
Chayan accompagna cette confession d'un clin d'œil malicieux. L'atmosphère se détendit, subtilement. La perte de repères, ça le connaissait : autrefois, il était une créature insouciante, avide de sang et de plaisirs charnels, privé de moralité. Et avant même sa transformation, un humain calme, mature et un brin torturé qui évoluait dans le monde avec des rêves d'aventures plein la tête. Aujourd'hui, il errait dans les ténèbres de ses illusions perdues. Son existence comportait plusieurs strates ; mille-feuille de vies et de tourments.
Il invita Suni à le suivre dans les étages pour lui indiquer la salle de bain. À l'image du reste de la demeure, l'élégance était de mise. Une baignoire à pieds de lion dorés se dévoila dans toute sa grandiloquence victorienne. Suni ne put contenir un rire à cette vision d'un baroque extravagant.
— La décoration est d'un autre temps, certes. Ne te moque pas, sinon tu n'as pas fini. Dois-je préciser que ce sont les goûts de Kao ? Il veut toujours trop en faire.
Une certaine légèreté teintée de complicité flottait dans l'air. Chayan lui mit à disposition une serviette, un long tee-shirt blanc et un short de nuit. Puis, il lui intima de le rejoindre, une fois ses ablutions terminées, dans la chambre au bout du couloir.
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Mary Lev
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Cécile Marsan
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Siha
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