MIMYGEIGNARDE Old Souls 8.3. Un garçon pour un autre

8.3. Un garçon pour un autre

Une main invisible compressa son cœur. Qu'avait-il pu causer de si terrible pour susciter le courroux du meneur de vampires le plus dangereux de Bangkok, en dehors de l'incident impliquant son sang ? Varney avait fait allusion à ses parents, dont il ne savait rien, ou si peu. Tout un pan de sa vie lui était inconnu, comme si on avait mis son héritage sous scellés.


— Que caches-tu, joli danseur, hein ? appuya Kao sans manifester de compassion.

— Je suis aussi perdu que vous !


Il se releva d'un mouvement rageur et tourna en rond dans le salon. Sa vie s'effondrait en morceaux, à l'image de son agresseur quelques heures plus tôt. Sa mémoire remonta soudain le fil des évènements, avant que le drame ne se produise. Le spectacle de danse. Il chercha son téléphone dans la poche de sa veste. Plusieurs appels manqués et des textos en attente. Sa famille devait être morte d'inquiétude.


— Je vais prévenir un proche.

— Fais donc, approuva Chayan.


Suni écrivit à Lamaï pour calmer son affolement, puis il contacta Giles, malgré l'heure tardive. Il avait besoin d'un visage humain, amical et responsable auprès de lui. L'historien se présenta moins d'une demi-heure plus tard à la porte du manoir, le visage blanc comme un linge et les cheveux hirsutes. Il jeta un regard chargé de reproches aux deux vampires.


— Suni, que se passe-t-il ?

— Longue histoire...

— Allons à l'essentiel, écourta Giles, lassé de ses péripéties. Est-ce qu'ils t'ont blessé ?

— Hé, vieux croûton, on l'a sauvé, donc sois reconnaissant, attaqua Kao depuis le canapé, flegmatique.


Giles l'examina, son esprit d'analyse en ébullition. Une fois encore, il ne parut guère impressionné par cet insolent vampire qui lui tenait tête.


— Est-ce qu'il dit vrai ? se méfia-t-il.

— Oui, mais on parlera des détails plus tard. J'ai besoin de savoir quelque chose. Comment mes parents sont-ils morts ?


Le libraire blêmit.


— D-dans un accident de voiture, tu le sais bien, bredouilla-t-il.

— Est-ce qu'il y a autre chose ? insista le jeune homme.

— Sur cette petite chose, par exemple...


Ils se tournèrent vers leur hôte. Au bout de ses doigts, Chayan faisait danser un médaillon rutilant. Suni retint son souffle ; il découvrait que le vampire était parvenu à le subtiliser au cours de l'affrontement. Giles fixa le bijou, horrifié.


— Où avez-vous trouvé ça ?


De sa voix atone transperçait l'effroi.


— Apparemment, il m'appartiendrait, souffla Suni. Tu confirmes ?


Une goutte de sueur dévala la tempe de Giles. Il était piégé par trois paires d'yeux braquées sur lui comme les phares d'une voiture. Dans le froncement de sourcils de Kao se lisait une vicieuse curiosité. Le regard grave de Chayan reflétait une sincère inquiétude, et celui de son protégé, une profonde déroute. Le silence était absolu et ne serait rompu que par sa parole, qui se devait de porter des révélations. 


Gagner du temps.


En cet instant, la capacité d'improvisation du libraire était pour le moins limitée. Il avait besoin de s'asseoir. Sans y être invité, il prit place sur le canapé à côté du plus jeune des vampires, ce soi-disant directeur d'école.


Dès qu'il avait eu connaissance de la vraie nature de cet individu, Giles s'était lancé dans quelques recherches, mais nul élément probant n'en était ressorti. Rien ne semblait indiquer qu'un vampire dirigeait le plus prestigieux conservatoire du pays. Son nom ne figurait sur aucun registre. Ce déficit d'informations chatouillait sa veine de chercheur obstiné.


Considérant l'aversion du gouvernement pour ces créatures, il n'était pas insensé de supposer qu'un tel silence de leur part conférait au secret d'état. Le conservatoire, bien que privé, touchait quelques subventions publiques. Comment pouvait-on ignorer ce détail en haut lieu ? Il se promit d'approfondir la question.


— Qui vous a permis de vous installer ? pesta Kao en le toisant avec mépris.


Les vampires étaient toujours aussi aimables, nota l'historien, et pas plus effrayants que des trolls sans cervelle. Le plus souvent, leur assurance démesurée les rendait fort idiot. Ce spécimen était le parfait exemple d'un égo boursouflé à la tête creuse.


— Écoute bien. Tu as peut-être des centaines d'années à ton actif, mais tu restes un petit avorton à l'immaturité crasse. Je te saurais donc gré de me respecter. Maintenant, va me chercher de quoi me désaltérer, veux-tu ?


La mâchoire de Kao se décrocha. On ne lui avait jamais parlé de la sorte, du moins depuis une paire de siècles. Il se tourna vers son frère, en quête de soutien, mais Chayan dissimulait mal son amusement. Ce dernier reprit son sérieux et opina du chef :


— On n'a pas toute la nuit, ramène-lui ce qu'il demande.

— Je ne peux pas laisser passer un tel irrespect ! s'offusqua Kao, à deux doigts de bondir sur l'auteur de l'affront.

— Kao ! S'il te plaît.


Une fois encore, les simagrées du fauteur de trouble fondirent sous le feu de l'autorité fraternelle. Il se rendit à la cuisine en maugréant, nostalgique d'une « époque bénie où les serviteurs se chargeaient des basses besognes. »


— Un Whisky, sec de préférence ! commanda Giles.


Chayan considéra un moment le quinquagénaire. Son aplomb le fascinait. Aucune peur ne transparaissait sur son visage sage. Son odeur charriait des relents de nervosité latente, mais pas cette frayeur coutumière qu'éprouvaient les humains en présence des vampires. Il paraissait trop serein, à peine irrité par d'inoffensifs trublions.


Il fut tiré de son observation par la chaleur corporelle de Suni ; son épaule l'effleurait à peine mais son contact le brûlait de l'intérieur.

Qu'il sentait bon... Il se mordit la lèvre pour chasser certains bas instincts non sollicités.


Kao revint d'un pas agacé et tendit un verre au liquide ambré à Giles, qui avala une longue gorgée sous l'air exaspéré des trois autres.


— Désolé. Depuis la grossesse de ma femme, je n'ai plus le loisir de m'accorder ce genre de douceur.


Suni leva les yeux au ciel, ennuyé par ce numéro, une mascarade pour gagner du temps et masquer son embarras, devinait-il. Après ce qu'il venait de traverser, ces louvoiements incessants brusquaient sa patience.


— Giles, s'il te plaît ? le pria-t-il.


Un lourd soupir lui répondit.


— Je ne peux rien révéler pour le moment, je suis désolé, lâcha enfin l'historien, penaud mais inflexible.

— Tu n'as pas le droit ! s'écria Suni. Si tu sais des choses que j'ignore sur mon enfance, tu dois me le dire. Je suis en danger, au cas où tu ne l'aurais pas remarqué.


Chayan posa une main sur la nuque de Suni ; le garçon était au bord de la rupture. Par cette caresse purement instinctive, il cherchait à l'apaiser. Il ne supportait pas cette vive souffrance ressentie en lui-même ; les émotions de l'humain le contaminaient tout entier. Il pouvait les sentir crépiter sous sa paume, telles des particules lumineuses, des braises chaudes.

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10 commentaires

Eva Boh

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Il y a un an

Meuf, Giles a intérêt à parler sinon je vais t'accuser d'utiliser une technique littéraire grossière pour faire durer le suspense. Sinon t'as intérêt à avoir une très très très bonne justification !! 🙏🏻 (tu sens la menace à peine voilée ??)

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

🤣🤣🤣 Il va dire certaines choses... Mais pas tout 🙈🙈🙈 pardooon. Mais promis tout va arriver en temps et en heure ! 😏 Enfin... Si mes chapitres se débloquent après le concours 😬

Eva Boh

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Il y a un an

Après le concours tout sera débloqué. Sur la mienne aussi. Tu vas tout publier ???? 🙏🏻

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

Ah ?? Je pensais que le blocage continuait. Bon eh bien ça me rassure. Oui je vais tout publier au fur et à mesure, au même rythme à peu près. Mais la fin n'est pas encore écrite cela dit, il y aura donc un entracte xD

Eva Boh

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Il y a un an

🫶🏻🫶🏻🫶🏻

Sandie A

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Il y a un an

Complétement déconcentrée par la main de Chayan sur la nuque de Suni, les " particules lumineuses " , les "braises chaudes". Ouh là là. Mais j'attend les explications de Giles, complètes dés le chapitre suivant! Quasi complètes ? 🙏

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

Attends de voir la suite si ça, ça te déconcentre hihihi. Et il y aura un embryon d'explication très intéressant dans le prochain chapitre. 😏
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