Fyctia
7.3. Confrontation
Kao profitait allègrement de sa nuit. Des danseurs nus s'éparpillaient autour de lui ; nuée de corps alanguis sur le tapis persan, gorges et hanches offertes. La définition même d'une soirée réussie, se félicitait-il, se gorgeant du bouquet de leur entêtant parfum. La sève des humains, dans l'écrin de leur fragile écorce, possédait une odeur unique. Pas autant que celle de Suni, certes, mais il saurait s'en contenter. Il avait promis de se tenir loin de lui. Et quand son frère ordonnait, il abdiquait.
Il se repaissait d'une gorge tendre lorsque des coups insistants furent frappés à la porte du manoir. Il fit la sourde oreille, préférant se vautrer dans la luxure, une activité sacrée que nul n'avait le droit de troubler. Ses doigts effleuraient le mamelon sensible d'une jolie blonde, dont les gémissements le ravissaient.
Tout à cet abandon charnel, il prit conscience trop tard d'une présence malvenue. Sans s'embarrasser de salutations, un individu fit irruption dans le salon, le pas lourd.
— Je peux me joindre à vous ?
Ses amants sursautèrent à la vision de cet intrus d'apparence monstrueuse, tâchant de dissimuler leur nudité.
— Hmapa, que me vaut le plaisir ? Je suis un peu occupé, comme tu vois...
— Où est ton frère ?
Kao adressa un signe de main paresseux à ses invités, les priant de les laisser seuls.
— Nous reprendrons ça plus tard, mes chéris. Attendez-moi dans la chambre.
Il claqua une paire de fesses pour appuyer sa promesse, puis s'installa dans le canapé en se couvrant d'une robe de chambre. Hmapa observait patiemment ce numéro, habitué aux excentricités de ce vampire de téléfilm.
— Ne t'ai-je pas déjà dit qu'il était réglo ?
— C'est à nous de le déterminer. Chayan n'a plus bonne réputation. Il aime un peu trop cet humain, ce petit danseur, tu sais... Ton frère pue la traîtrise.
— La milice a été décimée par un autre gang. Vérifiez par vous-mêmes.
— Aucun gang n'a les couilles de nous doubler dans le secteur. Ahunai sait quelque chose. Et Varney a hâte de l'entendre.
— Il peut attendre encore longtemps, répliqua Kao, indifférent.
— Je ne crois pas, non, prédit Hmapa avec une satisfaction visqueuse.
Un sourire carnassier barrait son visage rocailleux. Kao, qui regardait distraitement ses ongles avec ennui, montra enfin un embryon d'intérêt pour la conversation.
— Développe ?
— Nous détenons quelque chose qui pourrait l'intéresser, révéla le Loup d'un air supérieur.
Kao se refroidit, malgré la chaleur humaine qui régnait encore dans la pièce. Le Loup jubilait beaucoup trop pour ne pas se targuer d'un coup de maître à leur encontre. À ce moment précis, Chayan surgit, comme s'il avait volé depuis sa chambre. Il se planta devant Hmapa, furibond.
— Où est-il ?
— Tiens donc, lirais-tu dans les esprits, Ahunai ? s'amusa Hmapa. Bonsoir à toi aussi.
— Ils détiennent Suni, expliqua brièvement Chayan.
— Comment tu sais ça ? interrogea Kao, les sourcils froncés d'incompréhension.
— Je le sais, c'est tout. Où est-il, bon sang ?
Chayan attrapa la veste de l'indésirable, expression menaçante, verbe haut. Son immuable impassibilité s'effritait dangereusement. Sous le calme apparent de sa nature, nichait un potentiel de fureur auquel personne ne souhaitait assister. En être la cible, encore moins.
— Tout doux, le chevalier servant. Alors tu l'aimes vraiment bien, hein... On a visé juste, on dirait.
— Pourquoi vous en prendre à lui ? Il n'a rien à voir avec vos guéguerres grotesques, plaida Chayan.
Il n'ignorait pas l'inanité de cet argument désespéré. Varney n'agissait jamais avec raison. Ses actes étaient dictés par la vengeance, le vice et le profit personnel. Il se flagella ; jamais il n'aurait dû approcher Suni.
— Nous avons noté ton obsession pour lui. Tu croyais qu'on allait te laisser t'en tirer, alors que tu nous l'as mis à l'envers ?
— Je. n'ai. pas. parlé. Combien de fois dois-je le répéter ?
— Ta loyauté est discutable depuis longtemps. Si tu veux revoir ton petit humain de pacotille vivant, t'as intérêt à te montrer coopératif.
— Dis-moi où il est, gronda Chayan.
— Tu le sauras bien assez tôt. Je suis venu te délivrer ce message : si Varney met en doute ta version, il tuera le gosse de ses propres mains, et lui fera peut-être d'autres choses, selon son bon plaisir. Compris ?
Une sueur aussi glacée que la mort elle-même s'infiltra entre les reins de Chayan. Sa vision se brouilla, l'espace d'une minuscule seconde. Mais cela lui suffit pour comprendre ; son intérêt pour Suni transgressait toutes les lois naturelles.
— Putain de connard. Sale chien.
Hmapa expulsa un rire sinistre, trop heureux d'émouvoir enfin le vampire maudit de Bangkok.
— En voilà un vampire transi pour son humain insignifiant. Tu sauras où nous trouver, ne t'inquiète pas. On va bien prendre soin du petit en t'attendant.
Chayan grogna comme un animal blessé, toutes dents dehors, prêt à égorger le Loup. Kao dut intervenir pour l'empêcher d'empirer la situation en massacrant le second de Varney.
— Il viendra, garantit-il, maitrisant Chayan d'une main ferme.
— Bien. Je suis ravi de m'être fait comprendre.
Le parasite se sauva, un sourire suffisant ornait ses lèvres cruelles. Chayan fulminait.
— Il a intérêt à réparer notre porte, commenta Kao après son départ.
Chayan le fusilla du regard.
— Sérieusement ? C'est le problème qui t'occupe en cet instant ?
— Honnêtement ? Oui. J'en ai rien à faire de Suni. Pourquoi tu t'intéresses tant à lui ? Ce n'est pas normal, Chayan. Je comprends les soupçons de Varney quant à ta loyauté envers notre espèce.
Chayan repoussa son jeune frère avec colère, épuisé par ce déferlement d'émotions nouvelles.
— Tu as choisi le camp de ces salauds plutôt que celui de ton propre frère, cracha-t-il.
— Tu te trompes ! rétorqua Kao, indigné. Je ferais tout pour te protéger. Tu es la seule personne qui vaille la peine sur cette terre infâme. Par contre, toi... Tu t'es entiché d'un humain, encore ? Je ne comprends pas. Parle-moi.
La tension reflua ; les mots de Kao atteignirent Chayan et le ramenèrent lentement vers les rives d'une trêve. Il se laissa tomber dans le canapé, assommé par cette tempête intérieure, vouté sous le poids de son désarroi.
— Je ne me suis pas entiché. Je... Je ne sais pas. C'est étrange. Depuis que j'ai bu son sang, une chose s'est produite. Une chose vraiment étrange.
Kao se mit à genoux devant lui.
— Quoi donc ? l'encouragea-t-il.
— Je me sens comme... lié à lui.
Son frère écarquilla de grands yeux, surpris par cette confession si intime, qui dépassait l'entendement.
— C'est proprement impossible. Ursula, elle...
— Je sais ! le coupa Chayan, excédé. Je ne peux l'expliquer. C'est son sang... son odeur... Il possède une particularité troublante. Il éveille en moi des sensations oubliées. J'aimerais découvrir qui il est, tu comprends ?
Kao plissa les yeux, en proie à une intense réflexion. Il soupira, semblant céder après un rude débat intérieur.
— Okay, allons sauver ton petit humain de mes deux.
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Cécile Marsan
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Il y a un an
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Il y a un an
Sandie A
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Siha
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Il y a un an