MIMYGEIGNARDE Old Souls 6.2. Embrasement

6.2. Embrasement

Le jeune homme fondit en larmes ; le contrecoup de sa nuit le frappait de plein fouet, le dégrisant en une fraction de seconde. Voilà des années qu'il n'avait cédé à un tel déferlement d'émotions. Son esprit était comme assiégé par une nuée d'obscurs corbeaux dévorant toute la lumière en lui.


Giles s'élança pour l'enlacer, inquiet de le voir s'effondrer de la sorte.


— Mon garçon... que s'est-il passé ? demanda-t-il d'un ton adouci.


Il lui caressa le crâne d'un geste affectueux. Suni s'efforça de tempérer la panique qui menaçait de le gagner.


— La nuit la plus étrange de toute ma vie, souffla-t-il.

— Calme-toi, ça va aller. Ce vampire... Il t'a fait du mal ?

— Non. Des humains.


Giles fronça les sourcils d'incompréhension. Suni se ressaisit puis trouva le courage de tout lui raconter. Il omit quelques détails, mais lui livra l'essentiel des événements. Quand il eut fini, Giles le considéra avec gravité. Il n'avait jamais eu l'air si sérieux. Mêmes ses petites pattes d'oies au coin des yeux ne lui donnaient plus guère cet air de bonhommie familière.


— Suni... Ne t'approche plus de lui. Tu joues un jeu dangereux, surtout si ce vampire appartient à un groupe terroriste.


Suni se raidit et se dégagea de son étreinte.


— Il ne fait pas partie d'un groupe terroriste, seulement son frère...


C'est en la verbalisant, qu'il se rendit compte du caractère ridicule de sa défense.


— C'est pareil, abrégea Giles.

— Je croyais que tu n'avais rien contre les vampires.


Le libraire soupira et se laissa choir dans une chaise près du comptoir, l'air abattu. Il passa une main nerveuse dans sa tignasse grisonnante.


— Fais-moi confiance. Je ne veux pas que tu le fréquentes, j'ai mes raisons.

— Ce n'était que de beaux discours de tolérance en l'air, alors, siffla Suni, en référence aux sages paroles que le libraire avait prononcées quelques semaines auparavant.


Ce dernier resta interdit, embarrassé par la justesse de ce reproche. Il chercha ses mots, balbutiant de vagues arguments.


— C'est injuste, peut-être, mais je ne veux que ton bien. Je le dois à tes parents. Tu n'as rien à faire avec les vampires. Ne me dis pas que tu aurais voulu le revoir ?

— Je...

— Pourquoi as-tu essayé de le sauver ?

— Je me sentais redevable.

— Et la première fois, pourquoi être allé dans le quartier vampire alors que tu connaissais les risques ?

— Lamaï sait se montrer convaincante.

— Lamaï a bon dos. Quoi d'autre ?


Giles affichait une expression inflexible. Suni se rendit, acculé par cet interrogatoire irrespirable.


— Eh bien... c'est comme si mes pas m'avaient porté vers lui. Je le craignais mais ma volonté de le recroiser était plus forte, avoua-t-il avec sincérité.


Troublé par cette confession et toute cette situation inédite, Giles se gratta le menton, un geste qui témoignait chez lui d'une profonde réflexion.


— Les vampires dégagent des ondes hypnotiques, et tu sembles y être réceptif. J'ai peur pour toi. La milice, si elle n'est pas entièrement décimée, connait ton visage. Quant aux vampires, ils pourraient vouloir te mettre la main dessus s'ils pensent que tu as confié des informations sensibles à ceux qui les recherchent. Alors plus d'escapade dans le quartier rouge, c'est bien compris ? Il serait sage également d'éviter toute sortie le soir.


— Je suis donc assigné à résidence ?

— Je ne veux pas avoir à annoncer une autre mauvaise nouvelle à ta grand-mère, tu peux comprendre ça ?


Suni capitula, légèrement honteux. Les yeux de Giles s'écarquillèrent soudain de stupeur. Il se leva et saisit Suni par le cou, à peine caché par son sweat noir.


— Par tous les dieux !


La marque de crocs était discrète — le processus de cicatrisation étant déjà bien avancé grâce aux propriétés régénératrices du sang de vampire —, mais toujours visible pour les yeux attentifs de l'historien.


— Tu l'as laissé te mordre ?

— Il était au plus mal...

— Non, non, non... Ça ne va pas du tout !


Suni n'avait jamais vu Giles dans un tel état de nerfs, à part quand Hannah avait fait une première fausse couche l'année passée.


— Giles, je suis désolé. Je voulais juste l'aider.

— Il aurait pu se nourrir d'un autre humain. Il n'allait pas mourir, grand dieu !

— Pourquoi pas moi, après tout ? J'étais là...

— Tu ne comprends pas...

— Alors explique-moi.


Giles le fixa longuement, impassible et mutique ; son esprit paraissait avoir quitté son enveloppe corporelle pour se réfugier dans un lointain souvenir.


— La cicatrice est presque imperceptible... Tu as bu son sang ? reprit-il.


Suni ne dit rien, mais ne nia pas.


— Tu as donc été drogué, tu le sais, ça ?

— Je n'ai presque rien bu, Giles. Calme-toi.

— Si Amnuay savait ça, elle me tuerait. Elle nous tuera tous les deux, se lamenta Giles en se prenant la tête dans les mains.

— Tu dramatises.


Le libraire faisait les cent pas dans la boutique. Le ciel semblait lui être tombé sur la tête. Le silence s'étira, à peine troublé par ses pas nerveux. Il se tourna vers Suni, porté par un élan d'urgence.


— Écoute... Fais-moi le plaisir de ne plus le recontacter et d'éviter les ennuis. C'est tout ce que je te demande. Tu me le promets ? Et puis, cache-moi ce cou.


Pute à vampires.


Suni devait admettre que Giles avait certainement raison, comme toujours.


— Je te le promets.

— Bien.


***


L'ondulation des vagues créait un clapotis mélodieux à ses oreilles ; un envoûtant chant nocturne. Niché dans son ciel d'encre, la lune étincelait d'une lueur aveuglante, baignant la plage d'un clair-obscur surnaturel.


Suni était allongé, nu. Nu ? Allait-il encore subir une humiliation publique ? Pourtant, il était seul. Il n'y avait ni scène, ni spectateurs. Son corps brûlait autant que le sable sous sa peau. Bientôt, une créature le rejoignit. Une ombre immense, flottante, se découpa dans la lumière opaline.


Chayan.


Ses yeux brillaient d'un éclat étrange ; affamés et sauvages. Il s'allongea sur Suni de tout son long et huma son cou. Le jeune homme pouvait sentir la rigidité de son corps puissant l'écraser, la fraîcheur de son épiderme diaphane et la brûlure de ses lèvres sur sa peau frémissante.

De grandes mains vinrent se refermer sur sa taille, des dents effleurer sa gorge. Son rythme cardiaque monta en flèche.


— Suni... Adorable créature... est-ce que je peux... ? implorait Chayan d'une voix aussi douce qu'une caresse.


Suni crut qu'il allait se transformer en torche humaine à ces mots. Il gémit de désir...


— Suni ! Suni ! Tu vas être en retard !


Il se redressa dans son lit comme si on lui avait jeté un seau d'eau glacée sur la tête. Amnuay se tenait devant lui, les poings sur les hanches, arborant un air perplexe.


— Un cauchemar, n'est-ce pas ?

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ? grommela Suni d'une voix rauque en fourrageant dans ses cheveux en bataille.


— Tu gémissais.


Une rougeur lui monta aux joues. Il se retourna dans le lit pour se cacher la tête dans l'oreiller.


— Encore un incendie ? insista sa grand-mère.


Si incendie il y avait, il était sous sa peau.

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26 commentaires

Mary Lev

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Il y a un an

Suni est … mordu 😂 désolée jeu de mot pourri du dimanche

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

Jeu de mot parfait 🤣

Siha

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Il y a un an

Beau final pour ce chapitre !

MIMYGEIGNARDE

-

Il y a un an

Merci beaucoup 😊😊
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