Fyctia
5.1. Liens de sang
Chayan pouvait sentir la crainte de l'humain imprégner l'atmosphère ; son parfum capiteux était teinté d'une note de nervosité. Il pressentait, aussi, à quel point son essence serait délicieuse. Il espérait réussir à se contenir. Il le fallait.
— C'est donc la seule option... souffla Suni.
— Les ravisseurs connaissaient mon état. Voilà pourquoi ils s'en sont pris à moi pour atteindre mon frère. Retrouver mes facultés et les prendre de court, c'est la seule échappatoire que je vois, expliqua Chayan avec dépit.
Suni fronça les sourcils.
— Ils auraient dû anticiper le risque de me laisser avec vous.
À cet instant précis, justement, la porte s'ouvrit sur un rire malfaisant. Le meneur de la milice, toujours masqué, se posta devant eux en braquant son arme sur leur front.
— Vous pensez vraiment qu'on vous aurait réunis sans surveillance ? Je vous déconseille de nous sous-estimer si vous tenez à la vie. C'était assez divertissant de vous voir essayer de défaire vos liens, ceci dit, s'amusa-t-il. Tu vois, ça ?
Masque de clown pointa son arme vers le coin supérieur de la pièce. Au niveau du plafond vétuste et envahi de toiles d'araignées, une tête de vampire décapitée était accrochée là, tel un trophée de guerre. Suni s'étrangla de terreur à cette image macabre.
— Il y a une caméra dans son œil. Vos moindres faits et gestes sont épiés. Alors faites pas les malins. C'est clair ?
Les prisonniers acquiescèrent, peu enclins à provoquer le garant de leur survie.
— Bien. Soyez gentils, maintenant.
Masque de clown s'approcha de Suni qui se recroquevilla sur sa chaise. Il resta planté devant lui un temps. Puis, il souleva son menton pour examiner sa gorge en détails, semblant vérifier quelque chose.
— Hum... Pas de marques. Alors, pute à vampire ou pas ? Tu as voulu aider ce monstre, et j'aimerais bien savoir pourquoi. Je repasserai plus tard. Ne vous avisez pas de comploter, c'est inutile.
Le ravisseur quitta les lieux d'un pas assuré. Il rejoignit sa base puis retira son masque sous lequel il étouffait. Ses frères d'armes observaient les images de la caméra de surveillance en ricanant. Les remarques fusèrent.
— Ils ont vraiment cru qu'on était des crétins finis, hein.
— Ils vont vite comprendre qu'on ne rigole pas, t'en fais pas.
— À ton avis, c'est qui l'humain ? demanda l'un d'eux tout en se gavant de chips, affalé dans un fauteuil éventré.
Le cerveau de l'équipe haussa les épaules.
— Peut-être un concours de circonstances. Ou alors... Il connaît notre cible. Nous le saurons bien assez tôt.
— Qu'est-ce qu'on attend, exactement ? s'impatienta leur dernière recrue.
— On les laisse mijoter. On fait monter la tension et la peur en eux, exposa le chef. Dès qu'ils seront bien mûrs, on ira les cueillir.
— J'ai hâte de le cogner ce vampire. Quelle aubaine qu'il soit tout faible ! Pourquoi il se nourrit pas, d'ailleurs ? J'avais jamais vu ça, un vampire vegan, gloussa grassement un quatrième homme, éminemment fier de son trait d'esprit.
Le chef se frotta le menton tout en réfléchissant.
— Je n'ai pas réussi à obtenir cette information. Mon indic m'a juste transmis que Ahunai ne se nourrissait qu'en cas de force majeure, et qu'il était en sale état. On l'a chopé pile au bon moment.
Les humains s'occupèrent en jouant aux fléchettes et en engloutissant diverses cochonneries, tout en échangeant des anecdotes sur leurs nombreuses chasses vampiriques. Enfin, un minuteur se déclencha, sonnant l'heure de l'interrogatoire : les prisonniers étaient à point. C'est alors qu'un bruit suspect se fit entendre.
Le leader leva une main autoritaire pour imposer le silence.
— Attendez... Je pense qu'on a de la compagnie...
À peine eut-il prononcé ces mots que la porte de leur cachette s'ouvrit avec fracas. Devant eux se dressait une horde de vampires toutes dents dehors, l'air bestial.
— Putain de merde !
Les humains se remirent en condition d'attaque et se saisirent de leurs armes prestement.
— C'est donc bien là qu'ils se cachaient, ces petits rats. Le repas est servi ! clama le vampire de tête avec satisfaction, les yeux brillant d'une lueur de folie.
Tout s'enchaîna à une vitesse spectaculaire. Les crocs aiguisés s'élancèrent sauvagement, prêts à en découdre et à anéantir leurs antiques adversaires sans la moindre pitié. Humains et vampires disparurent dans un nuage macabre d'hémoglobine et de balles en argent.
***
Des coups de feu retentirent, ainsi qu'une alarme de sécurité.
— Que se passe-t-il ? demanda Suni.
— Bizarre...
Ils attendirent quelques minutes. Ni l'alarme, ni les coups de feu ne cessèrent.
— Suni... Je crois que c'est le moment.
— Le moment... ?
— De mettre en pratique ce que nous avons évoqué plus tôt, si tu es d'accord. Il ne faut pas perdre plus de temps.
Suni était paralysé de peur, mais il acquiesça, le souffle court. Chayan pouvait entendre sa respiration effrénée, ainsi que les battements anarchiques de son cœur.
— Écoute, je serai doux. Je te le promets.
Qui sait ce qui se tramait au-dessus d'eux ? La sirène de sécurité résonnait inlassablement et personne ne se manifestait. Le champ était libre, mais pour combien de temps encore ? Il fallait saisir cette chance, aussi infime soit-elle.
— D-d'accord.
— Viens là.
À cette voix grave et profonde, Suni réagit d'instinct, comme hypnotisé. Il se pencha pour tendre son cou. Chayan se guidait à l'odeur.
— Voilà, c'est bien... Ne crains rien, murmura-t-il.
Le parfum de Suni satura les sens de Chayan. Il sentit, malgré lui, le frisson d'un désir oublié le parcourir. Ses crocs percèrent ses gencives dans un petit bruit sec, faisant sursauter le jeune homme d'appréhension. Il glissa ses crocs sur la peau soyeuse.
— Chhh... Ce sera doux et rapide. Respire. Je ne vais pas te faire de mal.
Bercé par les paroles prévenantes du vampire, Suni parvint à réguler ses émotions. L'extrémité des crocs se planta alors dans la peau tendre, avec une infinie douceur.
— Ah !
Suni gémit, mais ne fit pas le moindre mouvement, pétrifié. La morsure n'était pas plus douloureuse qu'une piqûre. Il ferma les yeux et s'efforça de se détendre. Le vampire expirait lourdement contre son cou, s'abreuvant de son sang. Cette intimité, qui aurait dû le révulser, le fit frissonner d'un plaisir inattendu ; ambivalent.
Chayan buvait sans se presser, mobilisant toute sa volonté pour ne pas perdre le contrôle et aspirer encore et encore ce divin nectar. Jamais il n'avait goûté pareille saveur !
Le champ de jasmins de son enfance se matérialisa à nouveau. Le passé vint à lui tel un rêve, un songe plus réel que le monde tangible. Son humanité semblait presque lui être ré-insufflée... La sensation était incroyable. Son corps se régénéra rapidement, avec une efficacité inouïe. Les gémissements prononcés de Suni le réveillèrent de son extase, le poussant à s'éloigner. Il lécha une dernière fois la plaie sur la gorge offerte et reprit sa respiration.
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Eva Boh
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Il y a un an
Siha
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Il y a un an
MIMYGEIGNARDE
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Il y a un an
Mary Lev
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Il y a un an
MIMYGEIGNARDE
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Il y a un an