MIMYGEIGNARDE Old Souls 4.4. Attraction

4.4. Attraction

— Pourquoi tu me demandes ça, tout à coup ? interrogea-t-il en rangeant machinalement des ouvrages, dos à lui.


Appuyé sur le comptoir, Suni observait les réactions de Giles : il ne pouvait pas voir son visage mais sa main, elle, tremblait légèrement. La fatigue affectait ses nerfs, ces derniers temps. Attendre un enfant n'était pas de tout repos pour un homme de son âge.


— Je ne sais pas... Je suis curieux. La situation me préoccupe.

— Tu parles des affrontements de plus en plus fréquents, n'est-ce pas ?

— Oui. Les vampires sont-ils tous mauvais, comme le pense le Premier ministre. Comme le pense Khun Yâa, et littéralement tout le pays... ?


Il ne manquait pas d'indices pour répondre à cette question, après ce qu'il avait traversé. Mais il y avait forcément d'autres secrets à percer, d'autres vérités à comprendre.


Giles replaça un dernier livre sur l'étagère avant de rejoindre le jeune homme. Ses tremblements avaient cessé. Il s'assit près de lui et remonta ses petites lunettes rondes sur son nez.


Le quinquagénaire avait tout du bibliothécaire anglais bien sous tous rapports, ennuyeux comme la pluie. Qui pouvait se douter de son inclination pour la magie et autres curiosités ? Il paraissait plus proche d'un bureaucrate pétri de préjugés que d'Indiana Jones. Et pourtant, c'était un baroudeur chevronné, un puits infini de savoir ; fasciné par l'immensité du monde, ses peuples et ses mystères. Il pouvait parler des heures de ses voyages, de ses rencontres, de ses croyances. Mais Amnuay ne voyait pas d'un bon œil son appétence pour ces fantaisies. Elle y mettait fin chaque fois en recentrant la conversation sur des considérations plus prosaïques.


— Mon garçon... Les vampires ne sont rien d'autres que des humains qui ont vécu trop longtemps, déclara Giles, solennel.

— Alors, tu ne les crains pas ? s'étonna Suni.


Il connaissait l'empathie et la philosophie de l'historien, toutes deux aussi grandes qu'un continent, mais ce discours était rare et controversé.


— Pour tout dire... Je les ai craints. Je les haïssais, même.


Giles semblait évoquer un temps très lointain, révolu. Un autre monde vivait dans ses pupilles, assombries par les souvenirs du passé.


— Et aujourd'hui ?

— Je m'en méfie. Mais tout autant que n'importe qui. J'aime toutes les créatures sur cette Terre, tu sais. Les serpents venimeux, les plantes carnivores, les humains, parfois trop en colère ou blessés pour juger impartialement une situation, les vampires, premières victimes de leur condition... et même les loups-garous. Il ne tient qu'à nous de les comprendre. Le bien et le mal ne sont pas des notions figées, inhérentes à la nature des êtres vivants.


Suni médita ces paroles pleines de sagesse. Comment Giles et sa grand-mère faisaient-ils pour ne pas s'écharper sans cesse ? Ils étaient si diamétralement opposés. Une fois, enfant, il avait surpris une conversation houleuse entre ces deux parents de substitution. Amnuay crachait son aversion pour les créatures non humaines, tandis que Giles essayait de la raisonner à voix basse pour ne pas éveiller ce petit garçon encore traumatisé par la perte de sa famille. Après ça, il ne les entendit plus jamais aborder ces thèmes épineux, ou alors ils étaient balayés aussitôt.


— Pourquoi vous n'en parlez jamais avec Khun Yâa ? Les frasques des vampires font la une de l'actualité toutes les semaines. Et pourtant, on ne les commente pas. J'en sais si peu, sur tout ça, déplora-t-il.


Il entrevit une lumière étrange voiler les yeux las de Giles.


— Ta grand-mère n'aime pas particulièrement la politique. Elle a de toute façon des idées très arrêtées, tu le sais bien. On se contente de parler de sujets... neutres. C'est plus prudent, expliqua le libraire tout en lui adressant un clin d'œil.


Cette réponse était assez peu convaincante, estima Suni, mais il ne creusa pas davantage, au risque de trop en révéler sur son trouble.


—  Tu es sûr que tout va bien ? Tu peux me parler, si tu as le moindre problème. Est-ce que Lamaï s'est mise dans le pétrin ?

— Non, rien de tout ça, je m'intéresse juste aux événements du pays, éluda-t-il.


Il n'était pas prêt à livrer ses pensées les plus obscures et transgressives, même à un homme aussi érudit et dénué d'a priori que Giles. Toute la matinée, Suni sentit qu'il l'observait en silence.


***


Le temps passait, mais l'obsession de Suni refusait de s'estomper. Au contraire. Il dormait mal, dansait mal. Un monde si différent du sien vibrait, juste là, en parallèle. Comment pouvait-il simplement le renier ? C'était comme si on l'avait tiré d'un sommeil long de plusieurs siècles. Il continuait à vivre normalement, mais ces pensées intrusives violaient sans cesse son esprit.


Sang, puissance, drogue, affrontements, terrorisme, obscénité, fracture, réconciliation inespérée, Chayan. Quelle était la solution de cette impossible équation ?


Un soir, son cours de danse termina plus tard qu'à l'ordinaire. Leur professeur les poussait à s'exercer sans relâche avant la représentation de fin d'année. Pour la première fois depuis sa dernière confrontation avec Kao, la nuit était tombée. Qu'est-ce qui empêchait le directeur de mettre ses menaces à exécution ?


Vulnérable, il se dépêcha de prendre ses affaires et de quitter le conservatoire, se mêlant à ses camarades. Noyé dans la foule, il se prémunissait d'une attaque ciblée. Malheureusement, la plupart des danseurs avaient des chauffeurs privés ou rejoignaient le cœur de ville pour la fête de l'hiver. Où était Mean quand on avait besoin de lui ? Il croisa quelques passants, mais plus il approchait de l'embarcadère, plus la foule s'amenuisait, déjà ramassée vers le centre. L'heure de pointe pour rallier l'île était passée depuis longtemps.


Alors qu'il cherchait son téléphone afin d'informer Lamaï de sa position, au cas où (il était devenu paranoïaque), il perçut des bruits en provenance de la ruelle perpendiculaire à l'artère principale.


— Espèce de salopard ! Dis-nous où est ton frère ou on t'découpe.


Suni se raidit. Une altercation se déroulait à quelques mètres de lui. Il accéléra.


Saleté de vampire !


Cette insulte peu commune en ces lieux coupa son élan. Un vampire rôdait ici ? Kao ? Il se colla quelques instants au mur adjacent de la ruelle pour se fondre dans l'ombre et continuer à écouter en toute discrétion. Des bruits de coups et des gémissements étouffés lui parvinrent. Il resta immobile et s'abstint même de respirer, de peur de tomber nez à nez avec la bande d'humains qui s'en prenaient à une créature de la nuit.


Une des milices fascistes, devina-t-il. Que faisaient-ils par ici ?


— Putain d'suceur de sang ! Tu vas tout nous dire où on te plante une balle en argent dans le cœur.


Un rire sans joie éclata, sinistre.


— Vous ne ferez jamais ça, vous avez trop besoin de moi.


Une voix que Suni reconnut immédiatement.

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25 commentaires

Cécile Marsan

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Il y a un an

Haha ! Est ce que Chayan attendait Suni ??? 😃😃

Marion_B

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Il y a un an

je sens que cela va etre au tour de Suni de s'improviser sauveur..cela va rétablir quelque peu l'équilibre

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

Hehe possible 😊

Eva Boh

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Il y a un an

Ah, ça sent l'inversion des rôles...

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

héhé

Jakae chappinj

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Il y a un an

Intéressant d'avoir eu le point de vu de Giles, il est très intriguant je trouve ^^ Hâte de lire la suite 😊

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

Merci 😊
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